Les fraternelles au cœur des dérives

Certains réclament leur éradication avec force, d'autres la souhaitent avec moue. Certains les jugent respectables mais assurent ne pas en faire partie. D'autres reconnaissent y participer mais jurent qu'elles n'hébergent aucune dérive affairiste.

Le Grand Maitre provincial de la GLNF affirme leur suppression, mais l'un de ses membres reconnaît y évoluer, expliquant « que l'aide se limite à épauler un collègue en recherche d'emploi » et que « jamais » il n'y a constaté le moindre dérapage… Les « fraternelles », qui rassemblent des maçons par quartiers, par activité, ou au sein d'une institution, cristallisent les admonestations.
La consanguinité ou la complémentarité des métiers affecte l'une des substantifiques moelles de la plupart des ateliers : la pluralité sociologique, intellectuelle, professionnelle des membres - relativisée par le montant substantiel de la cotisation, d'environ 350 euros -. « Ce principe de concentration est antinomique de la maçonnerie, car l'enrichissement de notre réflexion se nourrit au contraire de la diversité » examine Yves Jacob, chirurgien et Grand secrétaire aux affaires extérieures du GO. Ce regroupement identitaire constitue un creuset d'intérêts « intellectuellement » respectables, mais aussi l'humus de tentations et de dérives délictueuses et éthiquement condamnables.
Les fraternelles du bâtiment sont les plus blâmées. En leur sein peuvent être décidés les partages de marchés publics - ceux des lycées d'Ile de France sont tristement célèbres -, les ententes de prix, ou l'octroi d'un chantier par une municipalité. Michel Charmont (lire encadré) en témoigne. Comment dissuader en effet architectes, charpentiers, entreprises générales, de « s'entendre », officiellement au nom de la…fraternité, et plus prosaïquement d'un intérêt mercantile ? La plupart des frères interrogés considèrent, en substance, qu'on y établit des « liens anormaux » qui favorisent le dévoiement des valeurs maçonniques. « J'y suis opposé, car on se lie les mains et on s'expose à une logique de mafia. Or la liberté individuelle du maçon n'a pas de prix » résumé Bernard Platon.
Selon l'un de ses membres, Jean-Louis Mandinaud, la Fraternelle du Conseil économique et social rassemble une centaine de frères, dont soixante en activité…sur un totale de 236 élus ! Une proportion étonnante, due à la forte concentration des maçons dans les sphères mutualiste, syndicale, paritaire, associative à des natures de travaux similaires - « la tradition d'échanges d'idées, de prospective, de diversité des profils est commune aux exercices de la maçonnerie et du CES » analyse Olivier Diederichs, énarque, inspecteur général de l'administration et Grand Orateur du GO - et qui « pèse » sur le fonctionnement de l'institution. Côté pile, la Fraternelle aiderait à dénouer des situations bloquées et à revitaliser le dialogue lorsque par exemple des frères du Medef et de la CGT ne se sentent pas capables de gérer convenablement un affrontement. Côté face, il existe bel et bien des « votes maçonniques », sans qu'on puisse en mesurer la motivation : défendent-ils de manière louable l'intérêt de la collectivité, ou de manière peu éthique la cause d'un ou de plusieurs de leurs membres ?
La Fédération européenne des fraternelles est censée « surveiller » leur fonctionnement. C'est pourtant au nom de son impuissance et de son inefficacité que le GO, « hostile » aux fraternelles, s'en est récemment retiré. « C'est un cache-sexe, incapable d'assurer une régulation éthique. Il est techniquement impossible de séparer le bon grain de l'ivraie et d'empêcher que des actes louches soient pratiqués dans les fraternelles » juge Olivier Diederichs.

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