Cheminots grévistes : le suicide

Voilà trois jours que les grévistes de la SNCF sont à l'œuvre. La lâcheté et l'irresponsabilité de tels comportements corporatistes font bien plus que fracturer l'harmonie des groupes socio-professionnels : elles exacerbent le dégoût des citoyens et crédibilisent les arguments des dépeceurs de services publics.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

11 juin 2014. Le contraste est saisissant. Ce jour démarrait le Salon des entrepreneurs de Lyon, une manifestation particulièrement utile aux futurs et déjà créateurs ou repreneurs d'entreprises, un événement emblématique de l'identité et de la culture lyonnaises, une clairière de souffle et de projets perdue au coeur d'une forêt de désespérance économique et sociale.

Ce même jour, CGT-cheminots, SUD-rail, FO décrétaient la paralysie du trafic ferroviaire, afin d'infléchir le contenu du projet de réforme qui doit être débattu le 18 juin à l'Assemblée nationale. Une réforme destinée à harmoniser, aux plans organisationnel et financier, l'offre ferroviaire française, à la « muscler » avant l'ouverture totale du marché à la concurrence, enfin à juguler les dysfonctionnements SNCF- RFF que l'ubuesque commande de rails de TER inadaptés à la taille des quais a cristallisés.

Funeste

Le contraste est davantage que saisissant : il est funeste. Funeste puisque l'action des seconds a pénalisé le déroulement du premier - même si l'engouement populaire aura finalement pris le meilleur, puisque 14 000 personnes ont assisté aux deux journées du Salon -, ou plus exactement a rudoyé les mois de travail auxquels l'équipe d'organisation, brutalement plongée dans un contexte anxiogène car incontrôlable, s'était consacrée.

Les promoteurs de l'entrepreneuriat et, dans leur sillage, les aspirants à entreprendre punis par une corporation qui incarne la négation de l'entrepreneuriat : l'ambivalence illustre ce que le neuropsychiatre Boris Cyrulnik partagea le 3 juin, lors de la cérémonie de remise des Prix Acteurs de l'économie - CJD - La Tribune, opposant aux entrepreneurs, empreints de créativité, d'anticonformisme et d'insubordination, ceux qui privilégient la soumission, tranquillisante et déresponsabilisante.

Interdépendance

Ce cas - qui vaut aussi pour certains festivals, dont les concepteurs, spectateurs, artistes sont sanctionnés par la contestation d'une partie des intermittents du spectacle hostiles à reconsidérer leur (avantageux et inéquitable) régime d'indemnités - illustre ce qui caractérise la société française, c'est-à-dire dans ses « mauvais jours » la compartimente, la fracture, l'antagonise : l'interdépendance des groupes socio-professionnels.

Cette interdépendance constitue pourtant le ciment de la société : elle fait (le) lien et sens, puisque chacun participe, à sa manière et à son niveau, au bon déroulement du quotidien mais aussi aux perspectives de chaque autre. S'est-on amusé à répertorier le nombre, inimaginable, de contributeurs qui, au seul instant de lire cette phrase, conditionnent notre « bien vivre individuel » et le « bien vivre ensemble » ? Encore faut-il l'inexpugnabilité d'une règle : agir individuellement dans la considération des autres parties prenantes, ne pas sacrifier l'intérêt de l'autre sur l'autel de ses propres revendications, particulièrement lorsqu'elles sont inaudibles des « victimes ».

Spectre

Or jamais peut-être l'incompréhension voire le rejet n'ont été aussi vifs entre les familles socio-professionnelles. Ce 13 juin, croyons bien que l'artisan, le patron de PME, le simple salarié regardent avec profond dégoût « l'entreprise SNCF ». Or, la cohorte de grévistes qui les nargue du haut de son statut et de son pouvoir de nuisance n'est pas « l'entreprise SNCF » ni même l'ensemble de ses salariés.

Cette situation est symptomatique d'un spectre : celui de créer indistinctement des « groupes » dans lesquels chacun, selon son prisme éducationnel et culturel, parque et enferme l'autre, tous les autres ainsi amalgamés, dans l'ignorance ou la négation de ce qui fait pourtant humanité : la singularité et l'unicité. Ces prémices du totalitarisme doivent continuellement être combattus. Mais pour cela il faut aussi que les réflexes corporatistes s'effacent au profit de l'intérêt général.

Choix

Lundi 16 juin débutent les épreuves du baccalauréat. Après les millions d'individus (salariés, touristes, etc.) punis depuis mercredi par la lâcheté des grévistes, c'est au tour des lycéens de trembler. Il faut espérer que les leaders du mouvement aient eux-mêmes des enfants en situation de passer l'épreuve : leur sens aigu de l'égoïsme assurera alors la levée des blocages. Il faut aussi qu'ils prennent conscience que chaque manifestation supplémentaire d'irresponsabilité fait progresser de quelques pas la rupture des tabous et le déplacement, même imperceptible et lent, vers la privatisation.

Ils programment leur propre suicide. Car le jour pourrait venir où la situation socio-économique et l'état des finances publiques provoquent une pression sociétale, un ras-le-bol citoyen, et une hiérarchisation des arbitrages singuliers. Plus personne ne voudra alors défendre un corps social coupable d'avoir commis l'indéfendable. Entre ambitionner un système de soin ou d'éducation de qualité pour tous, et maintenir les régimes spéciaux, j'ai fait mon choix... Sanctuariser le si noble vocable de "services publics", socle de la société, ne réclame-t-il pas de condamner les comportements qui le déshonorent ?

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Commentaires 23
à écrit le 19/06/2014 à 10:46
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Bravo vous avez très bien décrit ce qui tue la France....rien d'autre a dire...

à écrit le 15/06/2014 à 12:06
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Quelle honte d'écrire de tels articles ! J'ai bien étudié le projet loi découlant de la directive européenne. On recolle ensemble les deux entités: gestion et matériels (RFF) avec l'objectif de faire supporter à la gestion SNCF l'endettement de RFF p...

le 19/06/2014 à 10:49
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La SNCF est aujourd hui un scandale...qui prend les gens qui bossent vraiment en otage et qui fait payer les usagers qui sont surtout des clients des sommes faramineuse qd on voit l'état du parc....et qd t on lit des articles comme la mise en cause q...

à écrit le 14/06/2014 à 16:36
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OK, ce type de grève n'est plus supportable, ajoutant encore du stress là où il y en a déjà assez. Sud Rail et CGT pourraient être plus vindicatifs en étant créatifs : mettre Guillaume PEPY "aux fers", ou le souder aux rails, pendant son week-end l'a...

à écrit le 13/06/2014 à 18:25
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La critique est facile mais encore faut il savoir de quoi on parle... Dire que la réforme renforce la SNCF est un non sens. Est ce que quelqu'un en a expliqué le contenu et montré comment cette société est entrain d'exploser. Parler d'une mise à ni...

le 19/06/2014 à 10:52
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Oui tuons le service publique qui ne sert a rien a part a couter de l'argent...

à écrit le 13/06/2014 à 17:22
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Le conditionnel n'est plus de mise. Vous pouvez écrire, Mr. LAFAY, que "le jour viendra" et non pas "le jour pourrait venir". La goutte d'eau n'est pas loin. D'ailleurs qui aujourd'hui soutient ce combat égoïste ? D'ailleurs, qui défend encore ces sy...

le 15/06/2014 à 12:07
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Je soutiens totalement et nous sommes des milliers comme moi !

le 19/06/2014 à 10:52
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Surtout quand on voit les salaires qu'ils gagnent et les primes qui vont avec et qu'ils s en plaignent alors que bcp de Français triment comme des dingues pour gagner un smic...UNE HONTE

à écrit le 13/06/2014 à 17:22
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Bravo !!!! enfin une opinion claire et forte sur le ras-le-bol de ces grèves exécrables, menées par des nantis qui prennent les millions de français en otage et qui ne craignent rien pour leur emploi. A quand le changement en France ??? Aura-t-on to...

le 13/06/2014 à 23:11
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Je tenais a apporter un petit eclaircissement.evitons de mettre tout le monde dans le meme panier puisqu il existe 3 fonctions publiques : cele d etat, hospitaliere et territoriale. Je suis moi meme fonctionnaire d etat et je n.ai pas le droit de gre...

à écrit le 13/06/2014 à 14:14
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Un seul régime pour tous (avec des aménagements si nécessaire) En finir maintenant avec tous ces régimes spéciaux voilà la vrai réforme à mettre en place.

le 19/06/2014 à 10:54
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Il faut aussi et surtout que les gens du privé arrêtent de payer pour les régimes spéciaux du public qui sont concernant la SNCF puisque c est ce qui nous interresse aujourd hui tout a fait obsolète...donner la retraite a 51 ans aujourd hui a un chem...

à écrit le 13/06/2014 à 11:09
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Le "Service Public", c'est un ensemble d'orgnaisations où l'on se sert du public pour obtenir de nouveaux "avantages acquis"

à écrit le 13/06/2014 à 11:00
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"Quand ce qui est au centre n'en a plus la légitimité alors la notion de révolution est possible" C'est ce qui s'annonce. La perte de confiance, le découragement et l'écœurement pour les comportements outranciers des édiles, l'incompréhension des...

à écrit le 13/06/2014 à 9:54
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Il est normal que chacun defende ses interets..vous ne regardez que par le petit bout de la lorgnette..chacun defend son emploi..vous jetez un pavé ds la mare ..attention vous allez etre eclaboussé..en bref votre chronique est un peu minable..et simp...

le 13/06/2014 à 10:19
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Ne soyez pas caricatural. Les revendications des syndicats sont très éloignées de ce qui sera débattu au Parlement. La réforme prévue va même dans le sens du renforcement de l'entité SNCF. Mais dans un contexte de concurrence syndicale, tout est bon ...

le 13/06/2014 à 17:16
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Quand l'égoïsme d'une corporation guide ses actions, l'heure est grave. Quel mépris d'un peuple, d'une France qui travaille, qui agit, qui entreprend ! Quelle image donne t'il de leur profession, de leur entreprise ? C'est à hurler..

à écrit le 13/06/2014 à 9:46
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Vive Pinochet Je dirai que, comme institutions pour le long terme, je suis complètement contre les dictatures. Mais une dictature peut être un système nécessaire pour une période transitoire. Parfois il est nécessaire pour un pays d’avoir, pour un ...

à écrit le 13/06/2014 à 9:45
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Que faire? Faut-il tout sacrifier à l'autel des bénéfices et des intérêts des actionnaires? J'aurais aimé entendre autant de voix s'élever contre des irresponsables qui, pendant des années, ont volé le budget des lignes de banlieue pour le TGV. La ré...

le 15/06/2014 à 12:12
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je partage ce point de vue ! Il est temps de changer radicalement les dogmes de gestion archaïques qui guident la gestion de nos services publics comme de nos entreprises. La vraie richesse se sont les hommes, leurs savoirs, leurs qualifications, c'e...

à écrit le 13/06/2014 à 9:38
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Un article de bon sens que beaucoup de français confronté à l'économie concurrentielle ne peuvent que soutenir. Le corporatisme poussé à son paroxysme, par la faute des politiques qui ont toujours refusé de reformer ces régimes scandaleux et leur po...

le 13/06/2014 à 13:43
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Bon article. Nuancé et clair. La SNCF scie la branche sur laquelle elle est installée.

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