Borello, Bartabas, Ziegler : leçons de conscience

Ce mercredi à 18 heures à la Cité des congrès de Lyon débute la 11e édition du Prix Acteurs de l’économie (en partenariat avec le Salon des entrepreneurs). Avec un président, Bartabas, et un Grand Prix, Jean-Marc Borello (groupe SOS), qui incarnent une vision particulièrement audacieuse de l’esprit d’entreprendre. Les cinq autres lauréats à découvrir ce soir complètent un plateau exceptionnel. Feu d’artifice assuré.
(Crédits : Laurent Cerino/Acteurs de l'Economie)

Deux sacrés patrons. Deux grands bâtisseurs. Deux singuliers entrepreneurs. Et surtout, deux immenses personnes (à découvrir dans notre supplément). Bartabas - président de l'édition 2017 du Prix Acteurs de l'économie (qui se déroule ce soir à Lyon) - et Jean-Marc Borello - lauréat du Grand Prix ad hoc - incarnent deux formes d'histoire et de sève entrepreneuriales particulièrement exemplaires. A priori, rien ou presque ne permet de repérer une quelconque similarité. L'un est créateur de spectacles équestres (Zingaro) et d'une académie de formation mondialement réputés, aux commandes desquels il s'emploie à partir d'une caravane qui demeurera, "jusqu'à ma [sa] mort", son seul toit.

L'autre a constitué un empire de 16 000 collaborateurs et de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, le groupe SOS, fer de lance de l'économie sociale et solidaire européenne qu'il a initié puis développé au profit des personnes vulnérables - malades atteints du VIH ou de handicaps lourds, exclus du système éducatif, du logement ou du travail, seniors... Et pourtant, ce que leurs trajectoires, leurs convictions, leurs engagements signifient, semble sortir, pour l'essentiel, d'une même voix. Ou plus exactement de deux âmes qui révèlent, en chœur, une même célébration de l'œuvre d'entreprendre.

"Voir fleurir les gens"

La raison est limpide. L'un comme l'autre ont fondé leur aventure entrepreneuriale, ont forgé leur exploration des émotions entrepreneuriales les plus extatiques - et aussi les plus indicibles - dans un objet, une destination résolument altruistes. Le cheval, l'enseignement, le plaisir - des spectateurs - pour l'un ; les plus fragiles de la société et l'épanouissement des collaborateurs pour l'autre. Ce qui constitue leur "moteur entrepreneurial", ce qui au quotidien nourrit et fait progresser leur vocation, permet de rebondir et d'avancer en dépit des - innombrables - obstacles, in fine donne une justification au sacerdoce, c'est cet autre au service - social, éducationnel, psychique, humain, émotionnel, professionnel - duquel ils se placent. Et, tout aussi essentiel, ont invité leurs équipes à se placer.

La quête de sens qui caractérise la volonté aujourd'hui et demain d'entreprendre forme bel et bien l'axe cardinal sur lequel Bartabas et Jean-Marc Borello arriment leur exemplaire cheminement. "Voir fleurir les gens, confie le premier au moment de résumer sa "raison d'être" d'entrepreneur, voir des personnalités se dévoiler, éclore, dépasser le maître." En définitive, se révéler à elles-mêmes.

Couverture supplément

Puissant message

La noblesse de leur démarche entrepreneuriale est toute entière contenue dans cette déclaration de l'écuyer ; entreprendre a du sens lorsque la finalité porte sur ceux - ici donc les populations les plus fragiles, les collaborateurs, les apprentis, les spectateurs, les chevaux - dont le grandissement fait grandir l'auteur. Bien sûr, on devine que du vœu à son exaucement, la réalité est contrastée, et souvent complexe. Car cette réalité de l'entreprise est en premier lieu celle des paradoxes, des ambiguïtés, des écart(èlement)s qu'il faut arbitrer, parfois au prix de reniements et d'une obligation d'incohérence douloureux.

Il n'empêche, même idéaliste, même chaotique, même imparfaite, l'exigence humaniste que l'un et l'autre s'escriment à mettre en œuvre constitue un puissant message. Y compris sur le sens, éminemment sensible, de l'argent. Celui qui permet d'entreprendre, celui qui récompense d'entreprendre. Ce sens-là revêt bien sûr des propriétés - tour à tour vertueuses et délétères, utiles et amorales - distinctes voire antinomiques selon les motivations et les actes d'entreprendre. Et il en est de même de son indivisible corolaire : le pouvoir.

Réinitialiser la vocation de l'argent

La détermination de Jean-Marc Borello à avoir toujours tenu bon face aux sollicitations de la haute fonction publique et aux tentations des ors ministériels illustre cette discipline de salutaire distanciation d'avec l'exercice du pouvoir en premier lieu narcissique, du pouvoir davantage utile à soi qu'aux autres, du pouvoir qui ligote et non du pouvoir qui émancipe. Bref du substantif et non du verbe.

Les réalisations entrepreneuriales des deux bâtisseurs composent avec cette double donnée ; tour à tour elles s'en accommodent et s'en servent, leur résistent ou y succombent, la lorgnent ou la chassent. Une coexistence délicate, mais qu'ils semblent maîtriser, et contenir aux frontières de l'admissible et du tolérable, ces frontières qui distinguent le compromis de la compromission. Ou comment entreprendre réinitialise la vocation de l'argent et de pouvoir.

"Nous sommes ce que nous faisons"

Beaucoup des deux parcours fait honneur au principe de réciprocité, cher à Emmanuel Kant estimant que "l'inhumanité infligée à un autre détruit l'humanité en moi", "osé" par Michel Rocard définissant l'utopie comme "le désir de tout autre", et consubstantiel de l'œuvre intellectuelle et diplomatique du sociologue suisse Jean Ziegler (à découvrir dans le n°136 d'Acteurs de l'économie, en kiosques le 28 juin).

"Je suis l'autre, l'autre est moi" poursuit l'homme de foi, vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l'homme et ex-rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'alimentation. Et ainsi de proclamer que tout Homme est en obligation de responsabilité et en obligation de sens, puisqu'il est ce qu'il initie, construit, ose, partage. Et donc puisqu'il est en conscience du principe, "fondateur de toute civilisation", de singularité. Conscience de la singularité de soi, et donc de la singularité de chaque autre - "ce dernier étant chacun de ceux qui nous ont précédés, chacun de ceux qui sont nos contemporains, chacun de ceux qui nous succéderont."

La conscience de cette singularité est déterminante, poursuit l'octogénaire auteur de Chemins d'espérance (Seuil, 2016), pour qui veut participer à modeler non seulement une actualité, son actualité, mais aussi un avenir, qui dépassent sa finitude et embelliront l'actualité puis l'avenir de chaque autre dans vingt ou cent ans. La conscience de la réciprocité elle-même constitutive de la conscience de l'identité conditionne le degré de conscience de la singularité. "Nous sommes ce que nous faisons", estime Jean Ziegler. L'examen de nombre d'aventures entrepreneuriales le démontre. Celle de Jean-Marc Borello et de Bartabas l'illustre merveilleusement.

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