La gare fantôme

Depuis sa construction en 1994, la gare TGV de Saint Exupéry n'a jamais été utilisée et valorisée comme une véritable plateforme multimodale.

Le préjudice est lourd, déplorent en substance les parties prenantes de l'aéroport. « Lors de sa construction, on nous avait promis que la barre des 12 millions de passagers à Satolas serait franchie en 2000... », se remémore Bernard Soulage, vice-président de la Région Rhône-Alpes délégué aux Transports. Le chiffre est explicite: moins de 500 000 voyageurs transportés en un an (2008) contre 100 000... par jour à la Part-Dieu. La gare de Saint-Exupéry, joyau architectural érigé par Santiago Calatrava et inauguré en 1994, demeure fantomatique.

Un joyau architectural vide

En cause ? Principalement la rivalité, endémique et inertielle, que la SNCF livre aux compagnies aériennes, Air France KLM en tête. Le courroux de Philippe Bernand, directeur général de l'aéroport, est symptomatique. « La SNCF n'a aucune vision moderne, et demeure empêtrée dans ses archaïsmes. Elle demeure convaincue que tout passager amené à Saint-Exupéry est un client perdu. Hallucinant! Cette position va à l'encontre du processus, capital y compris en matière de développement durable, d'intermodalité. Vous rendez ¬vous compte qu'aucun TGV en provenance de Marseille ou Montpellier ne fait halte dans cette gare ? On perd là un outil déterminant pour développer les synergies air-rail-route qui profiteraient à tout le monde ».
D'Yves Guyon, président du directoire de la Société Aéroports de Lyon, à Bruno Allenet, président du Club des entrepreneurs des aéroports de Lyon, chacun exhorte les protagonistes à enterrer la hache de guerre et à construire un modèle qui harmonise leurs stratégies dans le sens d'une réciprocité des intérêts et consubstantiellement du redimensionnement de l'infrastructure aéroportuaire. En vain. « La complémentarité train- avion révèle un potentiel fort et une réalité faible », résume sobrement Patrick Diény, directeur général adjoint du Conseil général du Rhône. Les propositions de Bernard Bazot, directeur régional d'Air France KLM, appelant à substituer progressivement les trains aux vols court-courriers de moins de deux heures - Montpellier, Marseille... - par le jeu d'une densification des trajets ferroviaires vers Saint-Exupéry qui, en contrepartie, accroîtrait le nombre de clients des vols moyens-courriers, sont refoulées par son homologue de la SNCF : « Nous avons pour territoire l'Europe de l'ouest, jusqu''aux villes que les TGV pourront desservir à 4h30 de l'Hexagone », justifie Josiane Beaud. Ce qui, explicitement, place - sur le papier, à défaut d'une réalité - les deux établissements en concurrence frontale sur une grande partie du vieux continent... et donc concomitamment paralyse toute coopération et sclérose la gare de Saint-Exupéry - qu'empruntent chaque jour seulement vingt-quatre trains -.
« Ce qui distingue l'Allemagne de la France, c'est que la Deutsche Bahn au contraire de la SNCF exploite pleinement les gares liées aux aéroports », plaide Bernard Bazot, qui fut en poste à Francfort. Josiane Beaud, précisant que l'édification de cette gare « onéreuse » émane du Conseil régional Rhône-Alpes « mais d'aucune façon de la SNCF », circonscrit à trois le nombre de responsabilités de cet échec : « L'absence d'une liaison aérienne intercontinentale, le refus d'adouber Saint-Exupéry troisième aéroport de Paris, la vive concurrence de Genève ». Et d'égrener les « preuves » - « Dijon réclame des dessertes vers Roissy, pas vers Lyon » - comme de prophétiser de plus heureuses perspectives lorsque les liaisons à grande vitesse véhiculeront Chambériens et Annéciens vers Saint-Exupéry. Des liaisons à ce jour toutefois aucunement programmées et dont Josiane Beaud promet l'accélération de la construction si Annecy - hypothèse hautement fragile - est consacrée pour organiser les JO d'hiver de 2018... Bref, chacun reporte sur l'autre la culpabilité et attend de l'autre l'initiative.

Face à face

Autre sujet de discorde, l'avenir d'une gare de la Part-Dieu qui implose et dont la stratégie de désengorgement divise. «Deux camps se font face », assure Bernard Bazot. L'un, regroupant « l'Aéroport, la CCI, la Région, et Air France KLM », soutient le développement de la gare de Saint-Exupéry - facilitée par la prochaine mise en circulation du tram-train RhôneExpress reliant l'aéroport au centre de Lyon - afin d'absorber une partie du trafic de la Part-Dieu. L'autre, composé du tandem « SNCF - Grand Lyon », envisage de doubler la capacité de la Part-Dieu et d'y héberger un hub ferroviaire international. Ce qu'un vice-président du Grand Lyon corrobore confidentiellement: « Gérard Collomb redoute un développement de la gare de Saint-Exupéry qui affaiblirait la Part-Dieu et générerait le déplacement vers l'aéroport des investissements dans le secteur tertiaire ». Enjeux politiques et territoriaux auxquels Josiane Beaud refuse de souscrire, indiquant officiellement comme timidement « qu'il n'est pas exclu de réfléchir à quelque translation vers Saint-Exupéry pour « dessaturer» la Part-Dieu. Avec toutefois pour limite que l'on ne peut pas imposer aux Lyonnais vingt minutes de transport supplémentaire pour emprunter le TGV ». Seul espoir : que la SNCF destine à la gare de Saint-Exupéry l'accueil des passagers de l'est de Rhône-Alpes une fois les dessertes assurées à grande vitesse vers les capitales alpines. Un vœu à ce jour chimérique.

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