Management : Doitrand joue la carte de la confiance avec ses salariés

Horaires libres, grille de salaires nettement au-dessus de la moyenne, intéressement des salariés aux résultats de l'entreprise... Depuis plusieurs décennies, la société Doitrand fonctionne selon son propre modèle, basé sur la confiance et la responsabilisation de chaque salarié. Un management original qui fait aujourd'hui des émules et qui n'obère en rien la santé de cette PME familiale des monts du Forez (Loire), devenue leader français dans la fourniture et la pose de portails automatiques pour l'habitat collectif.

Depuis 80 ans, l'entreprise est enracinée au cœur de Grézolles, petite commune des monts du Forez qui, au nord de la Loire, compte moins de 300 âmes. Le long bâtiment à la façade beige crépie des établissements Doitrand contemple un paysage de campagne vallonné et verdoyant. Au moment de franchir la porte d'entrée, le visiteur est accueilli par une statue d'acier figurant un pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Le début de journée est ensoleillé et quelques vaches flânent paisiblement dans la prairie voisine. Seul le bruit sourd d'une poinçonneuse à l'œuvre vient rythmer l'air de sa cadence industrielle.

Ici, depuis quatre générations, la famille Doitrand travaille l'acier. La saga débute avec un aïeul maréchal-ferrant qui transmet le virus à ses deux fils, fondateurs de la société en 1935. À l'origine, celle-ci œuvre dans la serrurerie. Elle se diversifie rapidement vers la fabrication de persiennes métalliques et se repositionne au début des années 1960 sur le marché des portes de garage basculantes et coulissantes.

Une spécificité qui ne saute pas aux yeux

La société, qui figure aujourd'hui parmi les plus belles PME du Roannais, revendique être le leader français dans la fabrication et la pose de portails automatiques pour l'habitat collectif.
Vue de l'extérieur, Doitrand présente le profil type de l'entreprise familiale. Sa spécificité ne saute pas aux yeux. Cela tient davantage à une manière d'être, à un rapport au travail dont pourrait s'inspirer plus d'un ayatollah du management. Ici, par exemple, les horaires sont libres.

« Nous avons instauré ce système en 1973, explique le dirigeant de l'entreprise, Roland Doitrand. À l'époque, nombre de nos salariés étaient également paysans. Or, nous rencontrions une forte activité chaque année aux mois de juin et juillet, en même temps que la période des foins. Grâce au système des horaires libres, ils pouvaient commencer à l'atelier de 4 h à 10 h du matin, puis enchaîner avec le travail à la ferme. »

Si désormais la plupart des salariés n'ont plus d'activité agricole, la tradition a perduré. Ainsi, dès lors que le travail est fait et que les commandes sont respectées, chaque salarié peut adopter les horaires qu'il souhaite.

« Un tiers de l'effectif embauche tous les jours à 5 h du matin, de manière volontaire », note Roland Doitrand.

À l'atelier, la pointeuse trône pour la forme car « 90 % des compteurs sont positifs ». Il y a une dizaine d'années, le personnel de bureau a lui-même demandé à pointer. Question de transparence.

« Nous réalisons combien les horaires libres constituent un avantage », reconnaît Nadine Morin, secrétaire et salariée depuis 30 ans. « Si j'ai besoin de prendre une demi-journée, je fais la demande et elle est tout de suite acceptée », ajoute cette mère de deux enfants, qui est entrée dans l'entreprise à l'âge de 17 ans.

Jusqu'à 6 000 euros d'intéressement

Dans le vaste atelier de l'entreprise, les ouvriers déplient les massives bobines de tôle galvanisée. L'odeur de soudure alourdit l'air. Chacun à son poste est autonome. Et l'encadrement quasi inexistant. Il n'y a aucun contrôle individuel de la productivité, seulement un contrôle global.

« Lorsque je suis arrivé dans l'entreprise en 1969, nous avions une quarantaine de salariés et deux contremaîtres, se souvient Roland Doitrand. Quand ces derniers sont partis, j'ai décidé de ne pas les remplacer. J'ai fait moi-même office de chef d'atelier. Cela m'obligeait à accorder une grande confiance aux salariés. »

Parmi les ouvriers, cela fait bien longtemps que le travail n'est plus distribué. Chacun se sert dans la pile de commandes.

« Le système des horaires libres les oblige à une certaine polyvalence, et ils le font d'eux-mêmes », constate le chef d'entreprise.

Et les mauvaises surprises sont rares : « Chez nous, il n'y a pas d'absentéisme et le planning de livraison est respecté. »

Autre particularité des établissements Doitrand, le niveau de rémunération. En moyenne, le salaire brut s'établit à 2 300 euros, avec un rapport de seulement un à cinq entre le salaire le plus bas et celui le plus élevé. À cela s'ajoute un intéressement qui représente chaque année de 5 000 à 6 000 euros par salarié.

« Pour moi, le résultat de l'entreprise, c'est un tiers d'impôt, un tiers d'investissement et un tiers d'intéressement, résume Roland Doitrand. En 1984, nous avons enregistré notre premier exercice avec un résultat net de 3 à 4 %. Nous avons immédiatement mis en place l'intéressement des salariés aux résultats de l'entreprise. Surtout, je voulais que le montant soit important et qu'il soit le même pour tous, quels que soient la qualification et le salaire. »

Le dirigeant met également un point d'honneur à ne fixer aucun objectif à ses commerciaux.

« Je n'ai pas d'ambition en termes de chiffre d'affaires. Mon seul critère est de maintenir l'excédent brut d'exploitation entre 15 et 20 %. »

Sérénité du climat social

Les conditions de travail concourent au maintien d'un climat social serein. Malgré ses 165 salariés, la société Doitrand ne compte aucun syndicat.

« Il n'y en a pas besoin, tranche Jean-Louis Vernay, soudeur depuis 32 ans au sein de l'entreprise. Si un conflit intervient, nous le réglons directement entre nous. Ici, nous sommes à la campagne. L'état d'esprit n'est pas le même. C'est un peu comme une grande famille. Nous nous aidons les uns les autres. Personne ne travaille chacun pour lui. »

Comme son père auparavant, l'homme fera sans doute sa carrière à Grézolles. Sans doute son fils également, Benjamin, 23 ans, qui a rejoint l'atelier il y a trois ans après un cursus de technicien en environnement.

« Après mes études, j'ai enchaîné les petits contrats payés au Smic. Finalement, je suis entré ici. Après un mois d'essai, ils m'ont recruté directement en CDI. Certains de mes anciens camarades de classe qui sont techniciens de rivière ne touchent que 1 300 euros par mois. Et ceux qui ont été embauchés dans de grands groupes ne gagnent pas beaucoup plus que moi. »

Compte tenu de la bonne réputation de l'entreprise et de son faible turnover, il est devenu difficile de se faire embaucher.

« Quand nous avons une proposition d'emploi, en général, elle est pourvue dans l'heure qui suit, sourit Roland Doitrand. Nous ne diffusons jamais d'annonce. Tout fonctionne grâce au bouche-à-oreille. »

La société ne recrute qu'en contrat à durée indéterminée et ne recourt jamais à l'intérim. Par principe. En revanche, elle emploie en permanence deux ou trois apprentis.

« Nous laissons le jeune faire ce qu'il veut pour voir vraiment de quoi il est capable, explique le dirigeant. Car il est facile de faire entrer un apprenti dans le rang, mais une fois qu'il est embauché en CDI, le naturel reprend le dessus. »

Un patron qui donne l'exemple

La philosophie de Roland Doitrand peut se résumer en quelques mots : placer l'homme au cœur de l'entreprise. « Jamais l'argent ne m'a fait avancer », jure-t-il. Son management basé sur la confiance et la responsabilisation de chacun se heurte parfois à la rigidité du Code du travail. Mais le dirigeant n'en changerait pour rien au monde. Et s'il ne considère pas sa méthode comme un modèle, au moins celle-ci démontre-t-elle que l'on peut fonctionner autrement. Dans la confiance, le respect et la solidarité.

« En 2005, nous avons subi l'incendie d'une chaîne de peinture par laquelle passaient 99 % de la production, illustre le dirigeant. Grâce à la mobilisation de chacun, nous avons réussi à assurer nos livraisons sans la moindre aide extérieure. »

Ce jour-là, le dirigeant a été le premier à accepter de travailler de nuit afin de satisfaire les commandes dans les délais. « Il est important de donner l'exemple. » Auprès des salariés, l'homme jouit de l'image d'un « patron formidable », respecté, « gentil, peut-être trop ».

« Monsieur Doitrand est toujours prêt à participer aux actions qu'organise le comité d'entreprise dans le but de réunir les salariés (sorties, voyages, etc.) », souligne Lysiane Thinard, secrétaire au sein de l'entreprise depuis 1997 et trésorière du CE.

Ce management hors-norme n'empêche pas la PME roannaise d'afficher une belle santé économique. Unique en France sur le créneau de la fabrication et la pose de portes et de portails automatiques, l'entreprise travaille en permanence sur 2 500 chantiers à travers le pays où elle a implanté 17 agences commerciales.

Ses clients sont d'importants promoteurs privés, des entreprises comme Bouygues, Eiffage ou Vinci, et des offices HLM. La société, qui a enregistré l'an passé un chiffre d'affaires de 28 millions d'euros autofinance ses investissements.

« Cette année, nous injectons 2,5 millions d'euros dans la rénovation de notre chaîne de fabrication de portes manuelles », précise Roland Doitrand.

Chef d'orchestre

Au cœur de cette belle mécanique, le dirigeant âgé de 69 ans, occupe encore une place importante. Celle d'un homme-orchestre devenu au fil du temps l'indispensable chef d'orchestre.

Entré dans l'affaire familiale en 1969 comme comptable, Roland Doitrand est la figure tutélaire de la société. « Je suis un facteur d'équilibre », reconnaît celui qui se « retire doucement » de la direction pour profiter de ses petits-enfants et laisser la place à la troisième génération.

« La suite est sujette à questionnement, ose Lysiane Thinard. Nous imaginons mal l'entreprise sans lui. »

Cette place prépondérante prise par Roland Doitrand au fil des années, à la fois dans l'organigramme de l'entreprise et le cœur des salariés, ne pourrait-elle pas être un point faible ?

« Je n'ai pas de crainte. Il n'y a pas beaucoup à faire pour que cela fonctionne », juge Jean-Louis Vernay.

« L'entreprise fonctionne toute seule », confirme de son côté Roland Doitrand. Le dirigeant a confié depuis plusieurs années les postes clés de la société à sa fille Anne, son fils Nicolas et son gendre, Luc Jouanjan. L'histoire de la PME devrait donc continuer à s'écrire en famille. Et en toute confiance.

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