Dopées par les progrès foudroyants de l'imagerie cérébrale, les neurosciences ont le vent en poupe. Leurs découvertes, au-delà de la sphère clinique, concernent au final tout type de relation humaine, y compris celles dans le monde du travail.

L'empathie est devenue un thème de recherche

« Nous avons pu localiser et comprendre quelles zones cérébrales s'activent lorsque nous ressentons des émotions, positives et négatives. Fait remarquable, ce sont les mêmes circuits qui s'activent dans notre cerveau lorsque nous sommes en relation avec autrui, confronté à ses émotions. Nous ressentons véritablement les émotions de l'autre et même ses états mentaux. C'est comme si nous étions à sa place. C'est ainsi que l'empathie est devenue un thème de recherche important pour les neurosciences ».

Ces explications étaient données le 12 juin dernier, devant une salle comble de dirigeants d'entreprises et de cadres par François Mauguière, professeur de neurologie à l'Université de Lyon, directeur de la Fondation Neurodis qui se penche sur la thématique Empathie et business. Proposée par EMLYON, cette journée avait pour thème « Travailler ensemble et autrement ». Il y fut question, entre autres, des dernières avancées des neurosciences. On y parla de neurones miroirs et de cette incontestable réalité biologique : la machine à empathie est bien câblée dans notre cerveau, et ce, de manière inconsciente et réflexe.

Les entreprises libérées essaiment en France

Pouvoir se mettre à la place de l'autre, le comprendre, le ressentir de manière implicite, comme elle pourrait détendre les relations dans les entreprises, adoucir les modes de management.

Dialogue social tendu, véritable épidémie de burn-out, équipes stressées, absentéisme : la réalité entrepreneuriale demeure pourtant tout autre, aggravée par l'incertitude économique et les lois d'airain du court-termisme, voire de l'immédiateté. Il faut produire, performer, quitte à broyer les hommes.

Pourtant l'idée d'inventer un autre mode de management, plus collaboratif, empathique, commence à faire son chemin. Cela donne ce que l'on appelle les « entreprises libérées », qui essaiment tout doucement en France.

« L'état émotionnel d'un manager se répercute forcément sur ses collaborateurs. S'il est en état de stress, il diffuse de la pression autour de lui, ce qui induit de la confusion mentale, bouleverse les prises de décisions. Avec toutes les conséquences néfastes que nous imaginons pour les performances de l'entreprise », explique Bruno Ryon, biologiste penché sur les neurosciences et passé par l'École de management de Lyon, fondateur à Lyon, avec Jean-Christophe Beau, voilà sept ans, de Market Relation.

Cette société de conseil cherche à améliorer la performance des entreprises, en agissant sur le management afin de le rendre plus serein.

La force des neurones miroirs

« La façon dont les managers se comportent avec leurs collaborateurs a forcément un effet miroir sur les clients, juge Bruno Ryon. Si les relations sont tendues, les clients le ressentent et se montreront peu fidèles. »

Market Relation développe des modules de formation simples et courts pour permettre aux équipes de se stabiliser émotionnellement, de mieux gérer leur stress et, par des exercices de neurofeedback, d'apprendre à leur cerveau à traiter les informations avec calme et distance ; une application pour smartphone, en cours de développement, donnerait d'ailleurs une vision de l'état de son cerveau.

« Applications, objets connectés plaisent bien à ce monde d'ingénieurs et de techniciens. Mais l'important est de pouvoir argumenter en nous appuyant sur des données scientifiques, celles des neurosciences. Nous sensibilisons, par exemple, les entreprises au rôle des neurones miroirs », décrit Jean-Christophe Beau. Market Relation a pour client Merial, Aguettant, Sanofi Pasteur, etc.

Chez Sanofi, l'équipe fortement sollicitée, puisque travaillant sur le vaccin de la dengue, a ainsi bénéficié de certains de ces « outils », par exemple, des exercices de cohérence cardiaque.

Une véritable attente pour mieux comprendre autrui

« Notre cerveau vit les émotions et les pensées d'autrui », assènent les spécialistes en neurosciences. Cette avancée ouvre grand la porte à des changements significatifs dans notre façon de travailler ensemble. Mais comment se débrouiller avec cette réalité ? Déjà, cela ne fonctionnera pas si l'interlocuteur n'est pas convaincu lui aussi de ce lien empathique.

Selon François Mauguière, qui a l'occasion de porter la bonne parole devant un public choisi de dirigeants, de banquiers, etc., on observe néanmoins une véritable attente pour mieux comprendre autrui.

C'est ce que vit Frédéric Picavet, depuis 25 ans chez Leroy Merlin, aujourd'hui directeur du site de Vourles (Rhône) :

« Le management ne doit pas se voir. Si un employé a une idée, il peut en faire part, on fera le nécessaire pour l'accompagner. Nous avons bouleversé tous les bureaux pour favoriser les échanges entre petits groupes, les discussions. Lorsque je recrute, je regarde peu le CV, j'écoute surtout la personne et observe son attitude. »

Management par le contrôle, le stress, le présentéisme, la hiérarchie : force est de constater que le système s'étouffe. Souvent parce qu'il exclut ce qui se passe dans la tête de l'autre. Renoncer au management antipathique, guerrier ne serait-il pas profitable ? François Mauguière milite pour que l'apport des neurosciences soit intégré aux cursus de formation des managers. Posant cet incontournable postulat :

« Les êtres humains fonctionnent comme cela, vous êtes obligés de tenir compte de cette réalité biologique ou au moins de la connaître. »