Hyperloop : Saint-Étienne - Lyon, fast and curious

Tirée des rêves visionnaires d'Elon Musk, l'idée de placer la capitale ligérienne à dix minutes à peine de la métropole lyonnaise grâce à un train supersonique - hyperloop - se déplaçant à 1 200 km/h pourrait-elle devenir, un jour, réalité ? Les contraintes techniques et financières sont telles qu'une liaison de ce type entre Lyon et Saint-Étienne semble plus qu'hypothétique. Séduisant au premier abord, un train futuriste aurait des conséquences dramatiques pour l'économie stéphanoise si le projet ne s'insérait pas dans une réflexion globale d'aménagement du territoire et de gouvernance métropolitaine. Néanmoins, imaginons...
(Crédits : DR ADE)

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"Imaginez..., Lyon et Saint-Étienne deviendraient une seule et même grosse agglomération. Celle-ci serait de fait l'égale des grandes capitales européennes. Pourquoi ? Parce qu'elle aurait deux équipes de foot de haut niveau, comme Madrid, Barcelone, Londres, Milan ou Rome." Au-delà de la boutade, le Stéphanois Fabien Soler, directeur de l'antenne départementale du pôle de compétitivité Minologic, pointe du doigt l'évolution majeure que générerait un rapprochement entre les deux villes. À savoir, non pas la cohabitation de deux clubs historiquement ennemis dans un même périmètre géographique, mais la création d'une nouvelle aire urbaine, une mégapole provinciale qui pourrait bouleverser l'équilibre de la région.

La concentration évoquée ici n'est ni politique, ni économique, ni administrative. En réalité, elle est un peu tout à la fois. Il s'agit du rapprochement, radical, que pourrait instaurer la création d'une liaison hyperloop entre les deux villes. Sujet posé sur la table, il y a déjà plusieurs mois, par Christian Brodhag, enseignant-chercheur à l'école des Mines de Saint-Étienne, délégué interministériel au développement durable entre 2004 et 2008 et vice-président du conseil de développement de Saint-Étienne Métropole. Grâce à cette navette supersonique - une capsule de transport placée dans un tube dépressurisé et se déplaçant sur un coussin d'air par lévitation magnétique à la vitesse à peine imaginable de 1 200 km/h -, la capitale des Gaules ne serait plus qu'à 10 minutes à peine de Saint-Étienne. La force déployée serait d'un G, proche de celle ressentie dans un manège.

Des avancées importantes

Lorsque les étudiants ingénieurs de Christian Brodhag se sont emparés du rêve d'Elon Musk (Tesla et SpaceX) de relier Los Angeles à San Francisco en moins de 30 minutes (550 kilomètres), pour le plaquer sur une infrastructure stéphano-lyonnaise dans le cadre d'un travail scolaire, le projet semblait farfelu, inimaginable. Deux ans plus tard, l'idée a fait son chemin.

À tel point qu'une commission de travail, pilotée par le député Ligérien Dino Ciniéri (et conseiller spécial auprès du président de la région Aura) s'est même constituée au sein du conseil régional. Commission fortement plébiscitée notamment par les opposants à l'A45, voyant là l'opportunité de tordre le cou une bonne fois pour toutes à ce projet d'infrastructure autoroutière qu'ils estiment d'un autre âge, à contresens d'une société plus verte et plus durable. Que l'hyperloop soit ou non concurrent de l'A45, les avancées techniques, lentes mais encourageantes, permettent aujourd'hui de s'intéresser à l'idée sans passer pour un hurluberlu des temps modernes.

Lire aussi : Hyperloop, la roue de la fortune ?

Hyperloop

Au-delà de la faisabilité technique d'un hyperloop et de celle plus spécifique d'une liaison entre Saint-Étienne et Lyon, au-delà des centaines de millions d'euros qu'un tel projet pourrait coûter et du prix potentiellement dissuasif du billet associé à un cadencement non satisfaisant, au-delà du problème que pourrait poser une cohabitation immédiate des supporters de l'Olympique Lyonnais avec ceux de l'AS Saint-Étienne, quelles seraient les conséquences sur le plan de l'aménagement du territoire, de la politique, de la formation ou encore de l'économie ? Faisons fi de toutes les contraintes et imaginons un futur avec un hyperloop entre Lyon et Saint-Étienne. Les équilibres régionaux pourraient bien être bouleversés.

Un désenclavement de Saint-Étienne, mais à quel prix ?

"Quand la question de l'hyperloop est arrivée sur la table, nous avons immédiatement pensé aux bouleversements qu'a apportés le TGV dans les années 1970. En réalité, depuis la révolution industrielle, chaque innovation dans la mobilité a amené un nouveau rapport au temps et le découpage de nouveaux bassins de vie. La nouveauté avec l'hyperloop, c'est la réduction à l'extrême de l'espace-temps", explique Frédéric Bossard, directeur de l'agence d'urbanisme stéphanoise Epures.

Jean Ollivro, professeur de géographie à l'université de Rennes et expert national des thèmes liés à la vitesse, compare lui aussi l'hyperloop au TGV : "Une amélioration importante de la liaison entre deux territoires amène forcément une forte mobilité entre ces deux points." Pour lui, celle-ci conduit presque systématiquement à renforcer la plus puissante des deux villes. Olivier Klein, directeur adjoint du Laboratoire aménagement économie transports, laboratoire lyonnais issu notamment du CNRS et de l'Université de Lyon, appuie le propos de son confrère breton, tout en prenant ses précautions :

"L'ensemble des conséquences ne peut pas être évalué aujourd'hui. Cela dépendra de la manière dont les acteurs pourraient se saisir de ce dossier (particuliers, collectivités, entreprises), du tarif du billet, de la fréquence des navettes, etc. Cela étant, nous savons effectivement qu'une communication renforcée profite aux deux villes, mais dans des proportions bien plus grandes à la plus importante des deux. Non pas en raison de sa taille, mais de sa performance et de la qualité supérieure de ses services."

Lire aussi : Hyperloop, l'éternel vieux rêve du transport du futur ?

Ludovic Meyer, directeur adjoint d'Epures, illustre la problématique : "Nous pourrions être tentés de penser que l'hyperloop serait enfin la solution aux problèmes d'accessibilité de Saint-Étienne, la replaçant dans l'orbite de Lyon, et lui permettrait ainsi de bénéficier de son rayonnement, à l'instar du Nord Isère. L'hyperloop serait un bel atout distinctif dans le paysage national, mais il pourrait y avoir des conséquences inattendues au fait de pouvoir naviguer si facilement entre les deux villes." L'urbaniste évoque des antennes de services publics ou même d'entreprises privées présentes dans la ville stéphanoise et qui pourraient être purement et simplement rapatriées à Lyon. Car après tout, à quoi bon maintenir une antenne de la Banque de France, ou de la Caf, à 10 minutes à peine du siège ?

Une gouvernance métropolitaine à construire

"Essayons d'être objectifs. La liaison hyperloop apporterait un plus grand service à Saint-Étienne qu'à Lyon, même si les deux territoires opèrent de plus en plus ensemble et que de nombreux Lyonnais travaillent ou font des affaires dans la Loire. La valeur d'une très forte accessibilité du territoire stéphanois reste plus limitée qu'une très forte accessibilité de Lyon", poursuit Olivier Klein. "Des entreprises pourraient s'implanter à Lyon où elles auraient non seulement accès à Saint-Étienne avec l'hyperloop, mais aussi au reste du monde avec l'avion et le TGV. "

La problématique de cette évasion vers Lyon peut être élargie au commerce. Pour quelques minutes de transport, les consommateurs stéphanois pourraient être tentés de faire leurs emplettes dans les grandes enseignes lyonnaises. "Si un hyperloop devait voir le jour, il deviendrait absolument indispensable de créer une vraie gouvernance économique et politique de cette nouvelle aire métropolitaine afin de gérer les concurrences économiques entre les deux territoires. Dans le cas contraire, les conséquences pourraient être très néfastes pour Saint-Étienne", assène Olivier Klein.

Hyperloop

Florent Laroche, maître de conférences à l'université Lyon 2 et économiste des transports, rappelle le cas de Swissmetro qui a ainsi dû, en 2009, abandonner son projet de relier Zurich à Bâle en quelques minutes par un système de sustentation électromagnétique. Outre les questions de faisabilité technique, les autorités reprochaient à l'entreprise de vouloir transformer la Suisse en une gigantesque ville, avec de simples quartiers. "Il n'est pas toujours bon, pour les aires de marchés, de trop rapprocher les villes."

Pour contrer une éventuelle aspiration lyonnaise, les spécialistes d'Epures préconiseraient un développement puissance dix de l'économie servicielle à Saint-Étienne afin de retenir les acteurs du développement sur son territoire. "Tout se jouera sur sa capacité à faire valoir ses atouts !" Et à transformer ses fragilités en force. Parmi celles-ci, l'immobilier.

Attirer des Lyonnais

"Avec un hyperloop, certains ménages iraient probablement s'installer à Saint-Étienne, encore faut-il que la ville poursuive sa transformation vers un habitat plus agréable et plus qualitatif", insiste Olivier Venet, agent immobilier et secrétaire général de la FNAIM du Rhône. Saint-Étienne, qui a déjà largement fait évoluer son offre immobilière depuis l'arrivée de Gaël Perdriau à la mairie  avec l'émergence d'un certain nombre de programmes immobiliers haut de gamme, devra donc absolument poursuivre ses efforts si elle veut profiter d'un effet hyperloop et s'inscrire, pourquoi pas, dans un système de gentrification.

Fabien Soler du pôle Minalogic imagine que "Saint-Étienne pourrait devenir la banlieue de Lyon. Ce n'est pas négatif en soi. Mais reste à savoir quelle banlieue ? Banlieue verte, banlieue huppée ?". "Il est vrai qu'il y a un danger important de concentration à Lyon, il faudra mettre en place une vraie politique publique commune aux deux villes. La question de la gouvernance économique sera primordiale", pose Christian Brodhag.

L'effet immobilier resterait néanmoins circonscrit dans un périmètre très serré autour de la gare de l'hyperloop. Créant, en conséquence, une hausse très importante des prix et délogeant à terme la population en place. "On verrait probablement fleurir des buildings très chers autour des deux gares", avertit Olivier Klein. Quant à l'aménagement du territoire, Florent Laroche pressent des retombées sérieuses pour l'ensemble des axes de circulation : "Ce projet concentrerait la majeure partie des budgets transports dans la région pendant des décennies. Or, il ne répondrait qu'à une partie de la demande. Contrairement à une autoroute ou à un TER, il ne dessert par les territoires interstitiels, cela pourrait être dramatique." L'économiste des transports met également en garde contre une fracture sociale, ou économique, qui apparaîtrait entre ceux qui pourraient se payer un billet hyperloop et les autres.

Recherche et développement

Néanmoins, reste deux domaines où toutes les parties prenantes semblent d'accord sur les bénéfices d'une liaison de quelques minutes entre Lyon et Saint-Étienne : la formation et la R&D. "De nombreux diplômes sont accrédités entre Lyon et Saint-Étienne. Les déplacements seraient alors beaucoup plus simples", sourit Khaled Bouabdallah, président de l'Université de Lyon. "Évidemment qu'on peut le percevoir comme un risque potentiel, avec des diplômes haut de gamme à Lyon et des premiers cycles à Saint-Étienne. Personnellement, je suis confiant. Si l'hyperloop devait voir le jour, il renforcerait nos pôles de recherche d'excellence. Et faciliterait le recrutement de chercheurs de haut niveau", conclut Jacques Fayolle, directeur de Télécom Saint-Étienne.

De nombreux fantasmes et d'importantes problématiques vont longtemps entourer ce projet d'hyperloop, cristallisant les tensions et produisant des rêves un peu fou. Et si demain il devenait réalité, nul ne doute que ce train futuriste devra réussir à satisfaire tous les acteurs du territoire. Un nouveau défi - après le pari technologique - qui s'annonce périlleux.

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Commentaire 1
à écrit le 18/01/2018 à 17:53
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Une honte ! Pourquoi un titre en Anglais ?

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