Automobile : le grand bouleversement

Entre mutations technologiques et modifications des usages, le secteur automobile est confronté à des bouleversements inédits. Les constructeurs doivent "sortir de leurs murs" et adopter une dynamique d’open innovation qui irrigue nombre de territoires en pointe dans cette filière. Riche d’un passé dans le transport de poids lourds, la région Auvergne Rhône-Alpes peut y exercer un rôle majeur.
La navette autonome Navyrama est désormais en service à Sion, en Suisse.

Pour un peu, ils passeraient inaperçus. D'ailleurs, il faut tendre l'oreille (et ne rien entendre), ouvrir grand les narines (et ne rien sentir), et les yeux (et ne rien différencier) pour se rendre compte qu'une innovation majeure du secteur automobile est en train de naître. Depuis plus d'un an, une cinquantaine de véhicules Kangoo sillonne les rues de Grenoble et Lyon dans le cadre du programme HyWay, coordonné par le pôle de compétitivité Tenerrdis, spécialisé dans les innovations en matière d'énergies renouvelables, et soutenu par l'État, la Région et la Commission européenne.

Leur spécificité ? Ils sont électriques et équipés d'un prolongateur d'autonomie fonctionnant à l'hydrogène mis au point pas l'entreprise grenobloise Symbio FCell. De quoi ajouter près de 200 kilomètres d'autonomie à la centaine du moteur électrique.

"Notre technologie fonctionne. Nous avons déjà commercialisé 250 véhicules, et pensons franchir le cap du millier dès l'an prochain. Son coût reste deux fois supérieur à celui d'un véhicule classique. Nous pourrons alors diviser le prix par deux", annonce Francis Allouche, directeur des ventes de Symbio FCell.

Une petite révolution

Pour accompagner cette expérimentation, à Lyon, la Compagnie nationale du Rhône, et le Drômois McPhy Energy ont implanté sur le port Édouard Herriot une station de recharge d'hydrogène exploitée par GNVert qui  permet de recharger en hydrogène les véhicules du projet HyWay en moins de sept minutes. Restera ensuite à multiplier le nombre de stations de distribution d'hydrogène et à adapter le réservoir à hydrogène sur des voitures de tourisme pour leur donner une autonomie de 500 kilomètres afin que ces voitures d'une nouvelle ère envahissent nos routes. Une question de quelques mois... Et assurément une petite révolution.

Le mot peut aussi qualifier le moteur de MCE-5 Développement. L'entreprise lyonnaise a remis au goût du jour la technologie de la compression variable. Depuis près de 15 ans, dans une grande discrétion, elle peaufine la mise au point d'un moteur dont la consommation moyenne est réduite et la combustion plus propre avec des émissions de particules moins importantes. Après plus de 100 millions d'euros investis en recherche et développement, 300 brevets déposés, le moteur MCE-5 semblerait tenir ses promesses, ses inventeurs estimant avoir atteint "un niveau de maturation proche de l'industrialisation". De quoi envisager d'équiper les voitures d'ici moins de cinq ans si les constructeurs l'adoptent... et si le projet voit réellement le jour.

De la ville à l'autoroute

À deux heures de route de la capitale de la grande région, dans les ateliers du constructeur auvergnat Ligier, une autre innovation est à son tour célébrée : celle du véhicule autonome EZ10, un mini bus permettant d'effectuer des trajets dont l'itinéraire est connu en amont.

"L'innovation réside dans l'absence de poste de conduite. De fait, le véhicule se repère grâce à des capteurs lui permettant d'identifier les obstacles. Par ailleurs, nous programmons en amont la trajectoire qu'il doit suivre", explique Xavier Salort, directeur des ventes chez Easy Mile, joint-venture créé par le constructeur automobile Ligier et Robosoft pour produire et commercialiser le EZ10.

Pour l'heure cette technologie impose d'opérer dans un environnement maîtrisé où l'imprévu est absent. Mais demain, constructeurs et chercheurs n'excluent pas de parvenir à adapter leur technologie sur les véhicules particuliers et d'arpenter, par exemple, les autoroutes où l'environnement est bien moins aléatoire qu'en ville.

L'avenir s'écrit autrement

Sous l'impulsion de startups, mais aussi des constructeurs et équipementiers, l'automobile fait sa révolution. Les enjeux sont de taille et les défis à relever peut-être sans égal. D'autant que dans le classement des sujets marqués par la contradiction, l'automobile fait la course en tête. Stigmatisés pour être bruyants, coûteux et polluants, les véhicules - automobile en tête - restent des équipements très prisés.

Un coup d'œil sur les chiffres suffit à s'en convaincre. Alors qu'à peine 250 000 véhicules étaient dénombrés au début du XXe siècle, la production annuelle mondiale franchit aujourd'hui les 80 millions d'exemplaires. Porté notamment par les pays en développement, le marché est encore loin de son apogée, mais avec la raréfaction du pétrole, les pressions environnementales et les mutations des usages, l'avenir de l'automobile va devoir s'écrire autrement.

Désormais ce n'est plus nécessairement au sein des services recherche et développement des géants de la construction automobile que naissent les innovations. Nombreuses sont les startups qui s'affairent pour mettre au point des véhicules plus beaux, plus propres, plus légers et bien sûr ultras connectés.

L'urbain en ligne de mire

Pour les penser, les chercheurs ne se contentent plus d'améliorer leurs performances techniques. La course à la puissance et à la vitesse s'essouffle, emboîtant le pas à un marché en totale mutation.

« Le futur de l'automobile a tendance à devenir un phénomène urbain, mais la population urbaine à tendance à s'éloigner des centres-villes. Aujourd'hui, 70 % à 80 % des trajets quotidiens qui se font en voiture sont liés aux courses, aux activités des enfants et au travail. La conséquence sur les achats d'automobiles est sans appel. Les Français privilégient des voitures plus petites, plus compactes et mieux équipées pour des trajets de plus en plus courts », commente François Roudier, directeur de la communication du Comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA).

L'an dernier 54 % des véhicules vendus en France étaient des citadines. Dorénavant, la voiture se consomme comme n'importe quel autre objet, plus exactement comme un service. "Elle se loue de plus en plus", résume François Roudier. Cette mutation des usages fait sortir les grands acteurs de l'automobile de leurs usines.

Début avril, PSA a ainsi annoncé avoir participé à la levée de fonds de 18 millions d'euros de Koolicar, une startup française de l'autopartage. Symbio FCell a quant à elle accueilli Michelin à son capital. Plus que jamais il semble écrit que la voiture de demain sera placée sous le signe des collaborations. Un mode de faire que les acteurs du transport de la région Auvergne Rhône-Alpes maîtrisent déjà sur le bout de la pédale grâce à un passé riche dans ce domaine.

Du poids lourd à la voiture

"Les enjeux des véhicules de demain sont finalement identiques, que nous parlions de la voiture ou du poids lourd. Il s'agit de rendre les véhicules plus performants, de mieux gérer les flux et d'optimiser les charges pour transporter plus, en un seul véhicule. Notre objectif est donc de mutualiser les compétences présentes sur notre territoire pour que les différents acteurs du monde des transports puissent partager leurs travaux", souligne Philippe Gache, directeur du programme systèmes de transports intelligents au sein du pôle de compétitivité LUTB, qui regroupe près de 200 adhérents et a permis de faire aboutir 200 projets collaboratifs en 10 ans.

À ce jour, il est le seul cluster en Europe centré sur les grands enjeux environnementaux, sociétaux et économiques que constituent les systèmes de transport de personnes et de marchandises en milieu urbain. Ainsi, même si Auvergne Rhône-Alpes, qui a vu naître les voitures et les camions Berliet - devenus aujourd'hui Renault Trucks -compte davantage comme une place forte de la construction de bus et de poids lourds, elle s'impose comme un territoire en pointe dans la vaste chaîne de l'automobile du futur.

Parmi les programmes portés par LUTB, l'un se concrétise par la mise au point d'accessoires plus légers et moins vibrants.

"Ces avancées sont décisives pour les véhicules électriques où le bruit du moteur ne masque plus celui des accessoires", commente Philippe Gache.

Un autre vise à expérimenter des modes de mobilité spécifiques pour les zones de montagne. Ou encore à prolonger la durée de vie des batteries. Certains sont encore embryonnaires quand d'autres, comme le projet Transpolis, sont déjà bien concrets. Autant de révolutions au sein de l'un des plus vieux secteurs économiques, condamné à s'adapter pour poursuivre sa route en adoptant une nouvelle conduite. Désormais, il ne s'agit plus d'imaginer un objet de séduction, encore moins un signe de richesse ou de puissance, mais de se concentrer sur l'expérience de mobilité que va permettre cet objet.

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