Stations de ski  : le défi de l'acceptation sociale des grandes infrastructures

[Série 5/5] Fin janvier, 650 personnes s'étaient rassemblées au sommet du col du Ratti pour protester contre le projet de relier le domaine skiable des Gets (Haute-Savoie) à celui de Saint-Jean-d'Aulps. Cette forme de mobilisation est devenue un classique des obstacles que doivent surmonter les porteurs de projets d'infrastructures en montagne, avec une issue plus incertaine qu'autrefois. Dernier volet de notre série consacrée aux défis de la montagne de demain.
Le 21 janvier, 650 personnes dessinaient leur "non" au projet de nouveau télésiège entre Les Gets et Saint-Jean-d'Aulps.

Samedi 21 janvier, sur les hauteurs de la station des Gets (Haute-Savoie), 650 manifestants sont rassemblés pour protester contre la volonté du maire de la commune de construire un télésiège reliant la station du village à celle de Saint-Jean d'Aulps. En investissant six millions d'euros dans le projet, l'édile municipal Henri Anthonioz compte relancer l'attrait pour sa station. Celui-ci n'a pas souhaité répondre à notre demande d'interview téléphonique, précisant qu'il ne parle pas par téléphone.

Le silence des élus

Ce mutisme n'étonne pas Lionel Laslaz, maître de conférences en géographie et directeur du département de géographie et d'aménagement du territoire à l'Université de Savoie Mont-Blanc.

"C'est une réaction classique, observe M.Laslaz. Cela participe d'une tentative des élus d'ébruiter le moins possible des projets de ce type, ce qui pourrait faire se lever des boucliers et tuer dans l'œuf ces projets."

C'est qu'en 2017, on n'érige plus une liaison portée à travers un site naturel comme cela était possible dans les années 1960, quand l'investissement dans le ski alpin s'affichait comme le seul lendemain de la montagne agricole. "Ce projet devra traverser une zone classée Natura 2000, s'insurge Nicolas Tricou, guide de haute montagne et membre du Collectif Gêtois, l'association qui fédère les opposants locaux au projet municipal. Il faudra flinguer des combes magnifiques pour faire passer la liaison portée. C'est une vision des années 1960. Mais nous ne sommes plus à cette époque !"

La concertation réclamée

Le montant de l'investissement fait aussi débat dans cette station, qui compte le taux d'endettement le plus élevé des communes avoisinantes. Plutôt que six millions d'euros, ce sont 20 millions qui seront nécessaires à la construction du télésiège, estime Julien Maire, moniteur de ski et président du Collectif Gêtois. "Le ski est un sport gourmand, on n'est jamais satisfait de ce qu'on a déjà, dénonce-t-il. Ils veulent se présenter comme le plus grand domaine des stations environnantes. C'est un coup de pub qui coûte cher."

Lire aussi : L'asphyxie financière des stations de moyenne montagne

Cette divergence de points de vue est accentuée par le manque de concertation, dénoncé par le Collectif Gêtois. "Le maire et certains conseillers avancent sur ce projet depuis 2014, indique Nicolas Tricou. Et nous avons obtenu une seule réunion publique depuis, après avoir lancé une pétition en ligne. Mais ils sont toujours persuadés que leur projet est fabuleux".

Le refus du tout-ski

Les membres du collectif ont tenté de faire entendre leur voix, notamment pour invoquer la baisse de l'enneigement qui menace l'intérêt même du projet. "La liaison portée devra passer par un versant sud...où on pouvait se balader en baskets en décembre", constate Nicolas Tricou. Et la liaison traverserait aussi un site utilisé par les parapentistes. "Ce qui intéresse le maire des Gets, c'est le ski. Quant aux autres activités..." regrette Julien Maire.

Justement, le collectif préférerait que la station des Gets s'oriente vers de nouvelles activités, moins impactantes sur la nature, plus adaptées à l'évolution du climat et à la recherche croissante d'activités diversifiées par les touristes. "Mieux vaudrait ajouter un centre aqualudique, une piste de luge, et des enneigeurs sur le domaine existant", argumente M.Tricou.

Le tournant de la Vanoise

Ce type d'oppositions n'est pas nouveau, précise Lionel Laslaz. Déjà en 1969, l'affaire de la Vanoise avait constitué un tournant dans l'histoire de l'équipement de la montagne fraçaise. Le conseil d'administration du parc naturel de la Vanoise avait lui-même consenti à déclasser la zone centrale du parc pour permettre l'accès au glacier de Val-Chavière par les skieurs de la station de Val-Thorens. Après une mobilisation populaire, c'est le président Georges Pompidou qui avait lui-même annoncé que le parc de la Vanoise et le glacier seraient préservés.

Depuis, l'arsenal législatif s'est renforcé pour tenter de trouver un équilibre entre les projets d'équipement de la montagne, et la préservation des espaces naturels, deux mouvements continus qui s'entrechoquent continûment. "Les procédures sont beaucoup plus longues et complexes depuis 30 ans, commente Lionel Laslaz. Les enquêtes publiques et les études d'impact ralentissent considérablement les projets. Les promoteurs et les gestionnaires de domaines skiables s'en plaignent. Mais ces étapes permettent d'intégrer les avis au fur et à mesure."

L'intérêt des résidents

Et ces avis ne sont pas seulement ceux exprimés par des organisations écologistes, précise M.Laslaz, qui observe le grand intérêt porté par les résidents permanents et les résidents secondaires sur les projets d'infrastructures.

En mai 2016, l'association des résidents gêtois (ARG) adressait un courrier au maire des Gets pour s'inquiéter des coûts du projet, des problèmes d'enneigement, de la préservation des lieux de randonnée, l'incidence pour les usagers d'autres activités que le ski. Et pour clamer leur refus de voir les impôts locaux augmenter.

"Les résidents ont souvent une appréhension sur l'impact des projets sur leur station, constate M.Laslaz. Pour certains, construire davantage peut conduire à perdre l'âme de la station. Et une remontée mécanique supplémentaire peut enlever de la valeur à la pratique d'activités alternatives au ski." Ainsi, pour des résidents dont l'âge leur a fait ranger définitivement leurs skis au placard, c'est leur parcours favori de balade en raquettes qui peut être menacé. Or, cette voix des résidents a une puissance sans pareil, celle de se transformer en votes dans les urnes.

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