Accord de Paris : "Nous n’en sommes encore qu’au stade des déclarations" (Eric Piolle, Grenoble)

INTERVIEW. Premier maire écologiste à la tête d'une ville de 160.000 habitants en 2014, réélu depuis pour un second mandat en juin dernier, Eric Piolle prépare sa ville à devenir Capitale Verte Européenne en 2022. Pour celui qui avait appelé, lors de réélection, à « amplifier les transitions » en formant un « arc humaniste » rassemblant l’ensemble des forces de la gauche, la Cop21 est synonyme d’un bilan en demi-teinte. « Il faut faire beaucoup plus, et beaucoup plus concret », estime l’élu écologiste, si l’on souhaite remplir les objectifs fixés par l'Accord de Paris.
L’Etat n’est pas là on l’attend sur la question des mobilités, estime le maire EELV Eric Piolle, qui fustige le manque d'engagement de la part du gouvernement Macron en matière environnementale.
"L’Etat n’est pas là on l’attend sur la question des mobilités", estime le maire EELV Eric Piolle, qui fustige le manque d'engagement de la part du gouvernement Macron en matière environnementale. (Crédits : DR/Dilan Gurliat)

LA TRIBUNE AUVERGNE RHOEN-ALPES - Dès la conclusion de l'Accord de Paris en décembre 2015 lors de la Cop 21, vous aviez qualifié l'accord final « d'insatisfaisant sur bien des points ». Cinq ans plus tard, quel bilan dressez-vous avec le recul que nous avons désormais, sur la signature de ce document qui engageait 195 pays à contenir le réchauffement « bien en dessous de 2°C » ?

ERIC PIOLLE - Je soulignais en effet qu'à l'époque, il y avait surtout un point positif, qui était que pour la première fois, l'Humanité se fixait des objectifs communs. Mais la limite, c'est qu'il n'y avait pas de trajectoire définie, et cinq ans plus tard, on n'en est encore là. Finalement, nous n'en sommes encore qu'au stade des déclarations.

On voit que la Chine se positionne désormais vers un objectif de neutralité carbone en 2050, ou encore le Japon... C'est bien, mais on bloque encore sur l'expression et la réalisation de cet objectif. Le défi du moment est donc de commencer à agir avec suffisamment de rapidité.

Car c'est une chose que de planifier un objectif à 2050, mais si l'on se fixe le début de l'effort à 2030, cela ne peut que générer une dynamique angoissante, avec l'impression que l'on remet toujours à plus tard. Tout le monde perd ainsi confiance dans sa capacité à l'atteindre.

Et ce n'est pas une bonne chose, à l'heure où la France se situe quand même dans une phase de burn-out, un phénomène encore accentué avec la pandémie que nous connaissons.

Sur quels plans faudrait-il plutôt accélérer et agir rapidement pour y parvenir, selon vous ?

Il existe plusieurs dimensions à adresser, et notamment, d'importants postes d'émissions de GES, que sont la question du mix énergétique, du logement, qui a d'ailleurs reculé massivement avec la loi de finances 2018. Sur ce point, le gouvernement a complètement cassé les reins du logement social, en ponctionnant 1,3 milliard d'euros - via des économies votées sur le budget du secteur effectives en 2019, ndlr-.

Sur le terrain des mobilités, c'est le même constat : même si certaines choses commencent à bouger, lorsqu'on regarde les retours de la Convention citoyenne pour le climat, la proposition de ne pas prendre l'avion, lorsqu'on a une alternative sur un trajet de 4 heures, se transforme en trajet de 2h30... Même chose pour le malus des véhicules, qui est remonté à 1,8 tonnes.

Quand on voit cette édulcoration malsaine, on a l'impression d'une forme de "greenwashing" où l'on reprend une idée et un objectif, mais en la travestissant, ce qui a pour effet de saboter la confiance.

Nous participons d'ailleurs à deux actions juridiques pour la justice climatique, dont un recours pour inaction climatique de la ville de Grande-Synthe (Hauts-de-France), où le Conseil d'État a d'ailleurs retourné la charge de la preuve à l'encontre de l'État, ainsi qu'une action engagée contre Total, pour se mettre en cohérence avec les objectifs de la COP 21.

Quel bilan dressez-vous justement sur le terrain des entreprises : les grands groupes, tout comme les petites et moyennes entreprises, n'ont-ils pas commencé à engager des transitions ?

Le problème, c'est que si l'on n'arrive pas déjà à faire bouger en France les plus grandes entreprises comme Total, -selon un rapport de 2017 de l'ONG Carbon Disclosure Project, la firme se situerait au 19e rang des 100 plus gros pollueurs de la planète, ndlr-, ce sera difficile. Et ce, même si je constate bien sûr que sur le terrain, des entreprises font des efforts et ne sont pas étrangères à la société dans laquelle elles vivent.

Beaucoup de gens sont en mouvement. Mais si les plus gros émetteurs ne font pas le travail, on n'arrivera à rien.

C'est la même chose lorsqu'on prend le cas des 10% les plus riches de la population mondiale, qui émettent 52 % des gaz à effet de serre (selon un rapport publié par Oxfam sur la période 1990 à 2015): on peut bien demander aux 90 % restants de faire des efforts, mais cela ne suffira pas.

Pour parvenir à atteindre les objectifs fixés par les accords de Paris, pensez-vous qu'il faille passer par la contrainte et par des lois, ou bien par des engagements ou des chartes volontaires, comme certaines organisations ont déjà pu le faire jusqu'à présent, y compris au sein du secteur privé ?

C'est un mix. Il faut néanmoins toujours commencer par se fixer un cap, et cela n'est pas fait.

Nous avons un président, Emmanuel Macron, qui souffle à la fois le chaud et le froid. Il reçoit la Convention citoyenne pour le climat et reprend un certain nombre de propositions, mais deux mois plus tard, il nous traite d'Amish...

Il s'agit d'une posture très agressive, qui s'est révélée au lendemain des élections municipales, qui ont été marquées elles-mêmes par une forte défaite des élus LaRem face aux écologistes, dans un grand nombre de villes. Et sa réaction a été de nous traiter d'Amish.

Or, cela prendrait un cap, des lois de programmation, des plans de relance qui soutiennent les collectivités locales qui se placent au cœur des investissements publics, ainsi que des lois faisant la « voiture-balai » sur ce qui n'a pas été fait. Or, on constate bien que ce qui se passe est à l'inverse, avec une réintroduction à la dernière minute des néonicotinoïdes, ces molécules tueuses d'abeilles, ou encore de l'utilisation du glyphosate.

La France, qui était le pays hôte de la Cop 21 en 2015, mais aussi une forme de symbole lors de ces accords de Paris qui portent désormais le nom de sa capitale, est-elle désormais en retard sur les autres signataires ?

Je pense que la démission de Nicolas Hulot en août 2018 en a été le symbole. Car si Emmanuel Macron arrive à reprendre des terminologies et possède un certain talent oratoire, ce n'est pas dans son ADN ni sa culture, son fond est plutôt néolibéral. Cela ne peut pas bouger.

Quel pourrait être justement le rôle des collectivités dans ce cap de neutralité carbone fixé à 2050, alors que celles-ci avaient été pensées dès 2015 pour se retrouver au cœur des dispositifs à mettre en place au cours des prochaines années ?

C'était le sens d'une récente tribune que nous avons co-signée avec les maires écologistes, et qui affirmait justement que les communes doivent être au centre de cette stratégie. Mais ce que nous constatons aujourd'hui, c'est avant tout un manque de moyens. Depuis l'élection en 2017 d'Emmanuel Macron, celui-ci a entrepris une forme de recentralisation massive, qui se constate aujourd'hui au cœur des territoires, se voyant privés de ressources de l'État.

L'Etat n'est pas là on l'attend sur la question des mobilités, il attaque le logement social et ne nous donne pas la possibilité de faire la réhabilitation des bâtiments publics ou encore d'accompagner les acteurs de l'économie qui bougent, alors même que c'était le message de la Cop21.

Or, on doit avancer sur la question du logement, des mobilités, et de l'alimentation, qui sont aussi les trois dépenses contraintes les plus fortes pour les ménages, et trois importants vecteurs de CO2.

En tant que Capitale verte européenne 2022 élue par la Commission Européenne, Grenoble sera justement sur le devant de la scène d'ici quelques mois : serait-ce une occasion d'accélérer la transition que vous appelez et en vous appuyant sur quels projets ?

Nous avons fédéré l'ensemble du territoire autour de cette candidature, afin que tout le monde se sente partie prenante, qu'il s'agisse des habitants des quartiers populaires, des entrepreneurs, des scientifiques ou des citoyens.

Chacun doit pouvoir être contributeur de cet objectif commun, car nous ne transformeront pas la planète sans les habitants des quartiers populaires, qui représentent plus de 5 millions d'habitants au sein de 1.300 quartiers de la politique de la ville.

Grenoble était classée en première ou en seconde position au sein des 11 critères étudiés par la commission : nous avons déjà lancé des signaux puisque d'ici 2022, nous produirons l'équivalent de l'ensemble de l'électricité de la ville grâce aux énergies vertes, ce qui représente un réel aboutissement.

Notre réseau de chauffage urbain fonctionne à 72 % à partir d'énergies renouvelables, tandis que des travaux ont été menés sur le terrain du transport collectif, même s'il reste des efforts à faire. Notre alimentation est passé à deux repas végétarien par semaine au sein des cantines scolaires, et se trouve issue de sources bio et locales à 100% pour les repas livrés aux personnes âgées.

Nous espérons que grâce à ce statut de Capitale verte, nous pourrons porter de nouveaux défis et trouver des partenaires pour les réaliser.

De la même manière que quand Marseille devient Capitale de la culture européenne, ce titre est un enjeu pour la France, afin de fédérer justement le monde économique, scientifique, culturel, autour de cette dynamique.

On parle de plus en plus de notion d'économie environnementale, alors que demeurent des questionnements autour de la manière dont on pourrait concilier demain les impératifs économiques et écologiques. A quelles conditions et comment ces deux sujets peuvent-ils se marier, selon vous ?

En tant qu'ancien cadre dirigeant issu de l'industrie, je pense que l'économie doit marier plusieurs éléments, à commencer par un ensemble de parties prenantes intégrant les salariés, une communauté de clients, investisseurs et fournisseurs, ainsi qu'une communauté territoriale.

Mais l'économie doit également offrir une garantie de sécurité en remplissant un besoin et des fonctions de base, ainsi qu'une volonté de chérir le bien commun et le vivant, et de nourrir le désir de sens.

L'économie a une dimension environnementale mais pas que, elle doit être multidimensionnelle. Elle constitue une activité importante dans nos vies, mais qui doit également remplir ces trois missions. Et je trouve qu'un certain nombre d'acteurs partagent désormais cette vision.

On oppose désormais de plus en plus souvent la notion de croissance, à celle de la décroissance : comment vous situez-vous par rapport à ces deux notions ?

Je me positionne sur ce point de manière agnostique : je ne suis ni pour la croissance, ni pour la décroissance en matière de PIB. Pour moi, ces deux notions n'ont pas de sens. Car avoir plus de monde à l'hôpital en mauvaise santé génère de la croissance sur le plan du PIB, tout comme de polluer et dépolluer un site en génère également.

Il faut donc distinguer la croissance, vue comme un alpha et omega et un objectif de société, des acteurs économiques eux-mêmes, comme les entreprises et associations, qui ont quant à eux des dynamiques de développement. Se fixer comme objectif, de tout gouvernement depuis quarante ans, de retrouver des objectifs de croissance élevés, se révèle ainsi absurde. On pourrait, au contraire, regarder comment le développement de l'activité des acteurs économiques peut amener davantage de contreparties pour les parties prenantes et le bien commun.

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Commentaires 3
à écrit le 13/12/2020 à 16:00
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Eric PIOLLE, grand prêtre VERT, et surtout ROUGE, Maire d'une ville et président d'une anglo en proie à une délinquance en perpétuelle hausse, tous les trafics y vivent bien: drogue, règlements de comptes, (voir la chanson de Calogéro: être un jour a...

à écrit le 11/12/2020 à 21:22
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c'est le meme gars qui veut de l'argent d'etat pour redynamiser les centres villes coules car plus personne ne vient vu que les deplacements sont interdits par oukazes, et qui veut des logements sociaux mais interdit la construction chez lui car il n...

à écrit le 11/12/2020 à 18:14
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Tandis que ça fait plus de trente ans que la classe dirigeante mondiale savait et qu'elle n'a strictement rien fait même il me semble qu'un truc s'est mis en route mais seulement après la déclaration de Chirac "Le toit de la maison brûle" et donc bie...

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