Pass’Région : discussions sous tension entre les librairies et la Région

Après avoir appris que la Région Auvergne-Rhône-Alpes envisagerait de transformer le Pass’Région en un appel d’offres, les librairies du territoire sont montées au créneau et ont demandé un rendez-vous avec l’exécutif régional. Ils dénoncent une mesure envisagée sans aucune concertation, qui pourrait avoir un impact direct sur la survie des librairies du territoire, à l’heure où ces établissements sont déjà touchés de plein fouet par l’essor du e-commerce et un manque de fréquentation des centres-villes.
(Crédits : DR)

Et si le Pass'Région venait à disparaître ? C'est désormais plus qu'une simple hypothèse en Auvergne-Rhône-Alpes. Le dispositif, mis en place en 2002 par l'ex-présidente de la Région Rhône-Alpes Anne-Marie Comparini, allouait jusqu'ici chaque année une aide aux familles des lycéens pour l'achat de leurs manuels scolaires en librairie.

Ce pass comprenait notamment une allocation de 70 à 100 euros pour acquérir des manuels scolaires entre la seconde et la fin du bac pro, ainsi qu'une aide destinée au cinéma, aux associations sportives mais aussi loisirs, qui pouvait notamment financer par exemple l'achat d'un livre de poche. Le tout, uniquement consommable en librairie

Une manière de donner un coup de pouce au pouvoir d'achat des familles, mais aussi aux librairies, en leur permettant de générer un trafic qui était jusqu'ici vecteur de chiffre d'affaires non seulement pour leur rayon scolaire, mais aussi d'autres achats en magasin.

C'est ce dispositif qui pourrait bientôt disparaître pour être remplacé par un forme d'appel d'offres, qui serait ainsi adressé par la Région aux librairies sélectionnées en amont, en vue de fournir et livrer les manuels dans les lycées.

"Nous ne sommes pas du tout contre la gratuité pour les familles, mais nous pensons que ce n'est pas inconciliable avec nos préoccupations. Nous étions même l'un des premiers relais des familles pour leur expliquer comment fonctionnait le dispositif", fait valoir Alexandra Charroin, directrice de la librairie de Paris, à Saint-Etienne.

Car ce qui est en jeu, d'après Michel Perrin, directeur des librairies Gibert à Grenoble, "c'est d'abord une notion culturelle puisque pour certains jeunes, le Pass'Région était souvent l'occasion de mettre les pieds pour la première fois dans une librairie", avance-t-il.

En plus de perdre 8 à 40% du chiffre d'affaires généré par le matériel scolaire, les professionnels du secteur craignent des impacts directs sur leurs activités annexes.

"Le trafic généré par ce pass en magasin permettait aussi aux gens d'en profiter pour réaliser des achats en librairie, comme un livre de poche, un stylo ou un agenda mais aussi d'aller dans les autres commerces de centre-ville pour acheter aussi les chaussures des enfants, boire un verre au bar du quartier", poursuit Alexandra Charroin.

Un impact sur l'ensemble de la Région

Plusieurs n'hésitent ainsi pas à parler d'un enjeu plus large pour les centres-villes, déjà touchés de plein fouet par la concurrence du e-commerce.

A l'heure où l'on met en place des plans Cœurs de Ville pour dynamiser les centres-villes et où les librairies se battent sur le terrain pour organiser des rencontres, des festivals, en se substituant parfois à d'autres acteurs, il va devenir de plus en plus difficile de jouer ce rôle si l'on nous prive de trafic et de chiffre d'affaires", regrette Alain Belier, gérant de la librairie Lucioles.

Lire aussi : [7/7] Saint-Etienne, Grenoble et Lyon soignent aussi leurs centres-villes

Car l'ensemble des professionnels du secteur anticipent déjà que la transformation du Pass'Région pourrait avoir un impact fort sur l'ensemble des librairies de la région.

"Il existe des établissements situés dans des petites villes ou face à un lycée qui, si elles n'ont plus la visite des jeunes, devront fermer leurs portes, et ce, même si elles passent par un appel d'offres", affirme Michel Perrin.

A Grenoble, pour l'enseigne Gibert, qui comprend 3 magasins et 15 salariés, une telle mesure entraînerait par exemple la suppression directe d'au moins un poste. Tandis qu'à la librairie de Paris de Saint-Etienne, où l'incertitude demeure également, ce sont jusqu'ici une personne à temps plein ainsi que 3 autres ressources temporaires qui étaient dédiées jusqu'ici à la partie scolaire sur un total de 27 salariés.

"Nous avons déjà donné des consignes pour réduire nos stocks en attendant et nous revoyons les investissements à venir", confie Alexandra Charroin.

De son côté, le gérant de la librairie Lucioles à Vienne estime que ce sont près de 55 librairies au total qui rencontreraient des difficultés à l'échelle du territoire. "Pour des personnes qui viennent de racheter un établissement, cela revient à changer les règles d'un coup et à devoir assumer une perte de 20% de leur chiffre d'affaires en moyenne", résume-t-il.

Des discussions sous tension

L'autre point d'achoppement réside dans la méthode utilisée, puisque l'ensemble des librairies interrogées évoquaient une absence totale de concertation.

"Nous avons appris cette nouvelle par l'intermédiaire des fédérations de parents d'élèves, qui avaient été consultés par la Région pour savoir si l'on maintenait l'an prochain le Pass'Région", nous confie une librairie. "On aurait aimé être mis dans la boucle plus tôt", concède l'un de ses confrères.

Auvergne-Rhône-Alpes n'est pourtant pas la seule collectivité à tenter de resserrer la vis budgétaire sur le matériel scolaire, pour essayer d'en diminuer les coûts : deux ans plus tôt, l'Auvergne avait elle aussi franchi le pas en supprimant son propre dispositif au profit d'un appel d'offres. Non sans casse, d'après les libraires.

"Nous avons déjà transmis une étude qui a été faite après la mise en gratuité des régions PACA, Normandie et Ile-de-France, où ces appels d'offres avaient conduits à des baisses d'affaires de 20% et à la fermeture de librairies qui n'ont pas résisté", affiche Michel Perrin, qui note que d'autres régions comme le Bretagne ou l'Alsace fonctionnent encore avec des dispositifs similaires au Pass'Région.

Alors que l'exécutif régional aurait avancé la possibilité de mettre en place un appel d'offres destiné aux librairies pour compenser la perte de l'ancien dispositif, ces derniers craignent que cela n'entraine un nouveau resserrement des marges ainsi que des exigences impossibles à remplir pour les petits établissements.

"On ne connait pas encore les critères envisagés, mais l'on sait que les appels d'offres ont tendance à s'attacher à des éléments comme le nombre de références présentées en magasin ou la capacité de livrer gratuitement et rapidement les lycées, qui auraient pour conséquence d'écarter un grand nombre d'acteurs de ce marché", illustre Alexandra Charroin.

Après avoir adressé une lettre ouverte à la Région pour l'alerter des conséquences d'une telle décision, une dizaine de représentants de librairies rhônalpines se sont rendus lundi dernier à un premier rendez-vous à Lyon. Et tentent de faire passer un message qui se veut apolitique : "On mélange tout lorsqu'on parle de gratuité car il suffirait de dimensionner le dispositif existant, qui fonctionne très bien", rappelle Alain Belier, à la librairie Lucioles.

Plusieurs acteurs, qui souhaitent encore trouver un terrain d'entente, ont refusé d'évoquer la question pour l'instant avec Acteurs de l'économie - La Tribune. "Les discussions sont tendues car le timing lui aussi est serré", confie l'un d'entre eux à demi-mots.

Tous placent désormais leurs espoirs dans la prochaine réunion qui se tiendra à nouveau ce lundi, en espérant qu'un terrain d'entente soit trouvé. Et tout cela, deux semaines seulement avant la tenue du vote du budget 2019 par l'Assemblée régionale. Contactée, la Région n'avait pas répondu à notre sollicitation au moment d'écrire ces lignes.

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