Clientélisme : ces discrètes subventions accordées par les élus du Rhône

Chaque année, les conseillers départementaux du Rhône et leur président Christophe Guilloteau distribuent 600 000 euros de "subventions locales". Notre partenaire* Mediacités Lyon a enquêté sur ces enveloppes financières attribuées à la discrétion de chaque élu et propices au clientélisme. Ce travail journalistique étant d'intérêt public, Acteurs de l'économie - La Tribune le republie dans ses colonnes.
(Crédits : Laurent Cerino/ADE)

C'est une petite ligne du budget du département du Rhône. Un intitulé qui se glisse au milieu des délibérations, sous le discret nom de "subventions d'envergure locale et départementale". En clair ? Des enveloppes laissées à la totale discrétion des conseillers départementaux pour financer des associations locales, attribuées au gré des envies des élus, dont le premier d'entre eux, Christophe Guilloteau, président (LR) du Rhône depuis 2015. Mediacités s'est penché sur cette manne financière spécifique au département - un tel dispositif baptisé "fonds de soutien aux actions d'intérêt local" existe pour le Nord, autre exception, mais pas pour la Haute-Garonne ou la Loire-Atlantique par exemple -, et révèle en exclusivité sa répartition, élu par élu.

Au niveau local, ces "subventions" pourraient être l'équivalent de la réserve parlementaire, critiquée pour son fonctionnement clientéliste et supprimée en 2017 par la loi de moralisation de la vie publique. Au département du Rhône, les vieilles pratiques ont la vie dure. Depuis la création du "Nouveau Rhône" (collectivité "amputée" de la Métropole de Lyon) et l'arrivée du nouvel exécutif, deux enveloppes distinctes sont distribuées chaque année.

La première, dotée de 559 000 euros, cible les "subventions d'envergure locale". La somme est répartie entre les 26 conseillers (deux par canton), sur la base d'1,26 euros par habitant. En moyenne, chaque conseiller bénéficie donc d'une enveloppe de 21 500 euros. La seconde, concerne les "projets d'envergure départementale" : 49 000 euros. Sa répartition est, elle, pilotée par le président du département.

Ces enveloppes existent de longue date au sein du département du Rhône. Plusieurs élus contactés par Mediacités ont pointé du doigt leur gestion très centralisée à l'époque de Michel Mercier, l'ancien président (MoDem), resté vingt ans à la tête de la collectivité. "Tout passait par lui. L'attribution des sommes à telle ou telle association se faisait sur un coin de son bureau", se souvient l'un d'entre eux.

"Pas du clientélisme, mais presque dans certains cas"

Avec la création de la métropole de Lyon en 2015, le dispositif a disparu du côté de l'agglomération lyonnaise, mais il a survécu côté département. "Les dotations cantonales c'était, je ne dirai pas du clientélisme, mais presque dans certains cas... Et oui !", estimait Sandrine Frih (PRG), vice-présidente de la métropole de Lyon, lors de la séance publique du 18 septembre 2017. Une réflexion alors peu appréciée par Michel Forissier, conseiller métropolitain (LR) et ancien vice-président du conseil général du Rhône sous l'ère Mercier. "Quand nous donnions des subventions, il y avait des critères, il y avait des logiques et il y avait des choix qui étaient faits en associant tous les groupes. Donc, aujourd'hui, je pense que traiter notre collectivité d'avoir pratiqué du clientélisme [sic] est très discourtois", s'irritait l'actuel sénateur du Rhône.

Des critères ? Quels critères ? Les élus ont en réalité toute latitude pour répartir ces subventions. La demande d'aide peut potentiellement concerner n'importe quel domaine, du sport à la vie culturelle, en passant par les comités des fêtes ou le domaine social. La délibération fixant le cadre des subventions précise d'ailleurs que la liste des projets éligibles n'est "pas exhaustive". Par ailleurs, le plafond de 4 500 euros annuel dont pouvait bénéficier une unique structure a été supprimé en 2016. La même année, son champ d'action a été élargi à "toutes les personnes morales à but non lucratif" et non plus seulement aux seules associations. Cette décision permet notamment le versement de subventions aux communes ou aux collèges.

En pratique, une fois les dossiers validés, les subventions sont votées en commission permanente, sur la base des propositions des conseillers. "Mais dans les faits, tout ce que nous proposons est accepté, il n'y a jamais de débat", assure un élu. Qui finance quoi ? Pour connaître le détail des sommes versées par chaque conseiller, nous avons formulé la demande auprès des services du département. Ceux-ci nous ont renvoyé vers les délibérations publiées en ligne sans nous fournir de liste par canton. Cette liste existe pourtant : elle est utilisée en interne pour tenir le compte des enveloppes dépensées par chaque conseiller. Et comme nous sommes un peu têtus chez Mediacités, nous nous sommes procuré ce document pour l'année 2017.

Gros coups de pouces et petits saupoudrages

Dans le détail, les subventions ressemblent à une liste à la Prévert : clubs de sport, associations culturelles, amicales boulistes, festivals de musique, communes, écoles... Difficile de dégager une ligne cohérente. Selon les conseillers, deux stratégies différentes apparaissent. Certains ciblent un nombre limité de structures, en se fondant sur des projets spécifiques qu'ils financent de manière importante. Quitte à s'aider eux-mêmes. C'est par exemple le cas de Jean-Jacques Brun, conseiller départemental (DVD) et maire de Ternay, au sud de Lyon, qui a accordé en 2017 un chèque de 10 000 euros à la mairie de Saint-Symphorien-d'Ozon, membre de la communauté de commune du Pays d'Ozon... présidée par Jean-Jacques Brun. Charité bien ordonnée commence par soi-même.

D'autres préfèrent au contraire "arroser" le maximum de structures de leur canton. C'est d'ailleurs pour éviter un saupoudrage trop peu efficace - ou trop visible ? - qu'un seuil minimum de 200 euros par subvention a été instauré pour 2017. Au cours de l'exercice, une soixantaine d'enveloppes ont ainsi été fixées au montant minimal autorisé, pour un montant de 11 400 euros. Un exemple ? Le coup de pouce de Renaud Pfeffer, 1er vice-président du département, à l'Ecole mornantaise de pêche nature. De même, le choix de donner 200 euros à six communes du canton de Belleville par les conseillers Bernard Fiallaire et Evelyne Geoffray laisse dubitatif sur l'efficacité du dispositif... En parcourant les lignes, les sommes de quelques centaines d'euros s'avèrent très nombreuses. Une manière de s'attacher la fidélité d'un maximum d'électeurs ?  "Sur un canton de 20 000 habitants, si vous donnez de l'argent à une trentaine de structures, vous vous faites déjà pas mal d'amis", glisse le maire d'une commune des Monts du Lyonnais.

Quelques élus utilisent aussi le dispositif pour compenser certaines coupes budgétaires décidées depuis l'arrivée de Christophe Guilloteau. Ainsi, les MJC et centres sociaux, qui recevaient 200 000 euros par an sous la précédente mandature, ont vu leurs financements tomber à zéro en 2016. Pour combler la perte, beaucoup de directeurs de structures n'ont eu d'autre choix que de se tourner vers les conseillers départementaux. Même Christophe Guilloteau y est allé de son petit chèque de 2 500 euros à la MJC de Vaugneray en 2017. "On nous enlève une subvention stable d'un côté et on nous donne l'aumône de l'autre. C'est absurde et ça nous met dans une position de dépendance vis-à-vis des élus", confie un salarié d'une MJC.

Christophe Guilloteau : écoles privées et prisme familial

En tant que président du Rhône, Christophe Guilloteau bénéficie d'une enveloppe "locale" (23 550 euros en 2017) comme chaque conseiller départemental, mais il pilote également la distribution des "subventions d'envergure départementale", d'un montant de 49 000 euros, comme mentionné plus haut. Une "super enveloppe" qu'il utilise selon une grille de lecture toute personnelle.

Ainsi, l'élu LR semble particulièrement attentif aux besoins des OGEC (Organisme de gestion de l'enseignement catholique), les associations en charge des écoles primaires et collèges privés catholiques. Au cours des exercices 2016 et 2017, Christophe Guilloteau leur a ainsi versé la coquette somme de 22 900 euros, soit près de 20% de l'ensemble de ses subventions. Particulièrement choyé, l'OGEC de Saint-Martin-en-Haut a bénéficié à lui seul de 8 000 euros en 2016. Plus largement, le président de l'exécutif a subventionné ces deux dernières années bon nombre de structures catholiques, comme l'association diocésaine de Lyon (750 euros), l'association scolaire Louis Querbes de Vourles (800 euros) et les Scouts et guides de France (500 euros).

Subventions distribuées par Christophe Guilloteau (document Mediacités) :

Plus original, Christophe Guilloteau a accordé 1 000 euros au Groupe d'animation du musée d'Océanie. Méconnu (trop ?), ce "musée" consiste en une petite exposition sur les arts océaniens installée à la Neylière, dans les Monts-du-Lyonnais, au sein d'une maison d'accueil de pères maristes. "C'est pour financer la résidence d'une artiste de Nouvelle-Calédonie", détaille la présidente de l'association, avant de préciser avoir fait la demande "auprès de Monsieur Guilloteau".

Pour le patron du Rhône, le financement du petit musée semble décidément prioritaire : député de 2003 à 2017, il lui avait déjà accordé une subvention de 3 000 euros pour l'année 2016, via sa réserve parlementaire. Une réserve, là aussi, largement favorable aux OGEC de sa circonscription, ainsi qu'aux Associations de parents d'élèves de l'enseignement libre (parents des écoles privées sous contrat). La même année, le député avait par exemple attribué 10 000 euros à l'OGEC de Thurins, à nouveau subventionné en 2017, cette fois par l'enveloppe départementale, pour un montant de 5000 euros, soit bien au-delà de la moyenne des subventions attribuées.

Plus anecdotique, mais révélateur d'un certain prisme familial, depuis 2016, Christophe Guilloteau a accordé 8 800 euros à des associations d'anciens combattants ou en lien avec la mémoire militaire : 2 000 euros pour la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca) ou encore plus de 3 000 euros pour l'Association départementale du Rhône des combattants d'Algérie, Tunisie, Maroc (ADR-CATM) et ses branches locales. Un intérêt qui s'explique notamment par le fait que son propre père est un ancien combattant d'Algérie. Passionné par l'histoire militaire, Christophe Guilloteau est lui-même réserviste dans la Marine au grade de lieutenant-colonel.

Lire aussi : Département du Rhône : Christophe Guilloteau, soldat sans bataille

Enfin, dans sa tournée de l'électorat traditionnel de droite, le président du département n'oublie pas non plus les chasseurs. L'association communale de chasse agréée de Haute-Rivoire a bénéficié, en 2016, de 5000 euros de subventions, soit l'un des plus gros montant accordé par Christophe Guilloteau cette année-là. Il ne manque pas non plus d'attribuer un chèque de 2 200 euros à l'association des Cavaliers du Toléron, une association d'équitation organisatrice du Jumping International du domaine de Champburcy, à côté de Villefranche-sur-Saône. La somme peut sembler dérisoire : pendant ce concours de saut d'obstacle, le total des prix distribués lors des différentes épreuves équivaut à plus de 85 000 euros, selon la brochure de l'événement. Mais c'est le geste qui compte... Christophe Guilloteau connaît d'ailleurs bien cette compétition puisque sa propre fille, très impliquée sportivement et professionnellement dans le milieu de l'équitation, y a participé en 2016.

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En coulisses

Contacté dès le 10 janvier par Mediacités, le département du Rhône s'est contenté de nous renvoyer vers les délibérations publiées sur son site Internet, sans répondre aux questions précises que nous avions formulées par mail sur le fonctionnement des subventions, les critères d'attribution ou les choix de Christophe Guilloteau. Nos diverses relances par mail et téléphone sont restées lettres mortes.

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