Micmac à Morzine, épisode 2 : une drôle de gestion des ressources humaines

La commune de Morzine a été largement épinglée par la chambre régionale des comptes Auvergne Rhône-Alpes pour sa gestion. Parmi les principaux points mis en cause : les ressources humaines où des irrégularités ont été constatées tant dans le choix des agents, que dans les primes accordées. Deuxième volet de notre dossier consacré à la petite commune haut-savoyarde.

Chalets, montagnes et remontées mécaniques. Le cadre pourrait paraître idéal. Pourtant, la Chambre régionale des comptes a épinglé la commune Morzine pour sa gestion parfois nébuleuse de la Ville entre 2009 et 2013. Parmi les principaux problèmes relevés par l'organisme, la gestion des ressources humaines.

La Chambre régionale s'est plus particulièrement intéressée aux profils de quatre agents pour étayer son propos.

Les non-titulaires préférés aux titulaires

Dans les deux premiers cas, celui de Paul et Pierre*, un même problème se pose : ce sont des agents non-titulaires qui ont été engagés.

"La commune a fait connaître ses difficultés à recruter des titulaires du fait de son  "enclavement" mais aussi la priorité qu'elle donne à la réactivité et à la souplesse en matière de gestion des ressources humaines", a noté la chambre régionale des comptes.

Mais pour elle, le cadre public est sans équivoque:

"Les emplois permanents doivent être occupés par des agents titulaires".

Pour Karin Hammerer, avocate spécialiste en droit public dont le cabinet éponyme se situe à Lyon, "le principe du droit de la fonction publique est simple: pour tout emploi permanent, la commune se doit normalement d'engager des fonctionnaires."

Priorité aux fonctionnaires

À quelques exceptions près : pour les contrats ponctuels, liés à une activité plus importante, quand les fonctionnaires sont indisponibles - par exemple, un congé maladie, ou pour une vacance temporaire d'emploi, "ce sur quoi semble s'être basée la commune. Mais on retrouve toujours cette logique du fonctionnaire prioritaire."

Or, dans le cas de Paul, des candidats titulaires se sont présentés. Celui finalement choisi, de niveau bac professionnel, s'avérait être "le seul candidat qui combinait expérience en station et capacités d'encadrement", a fait savoir la commune.

De fait, le nombre d'emplois non-titulaires avait eu tendance à augmenter à partir de 2009, passant de 13 à 34 en 2013. Dans le même temps, le nombre d'emplois titulaires avait diminué pour atteindre le nombre de 75, au lieu de 84 en 2009.

"L'ordonnateur souligne toutefois que depuis 2014, le nombre de titulaires a progressé et s'établit, mi-2015, à 85 postes et que celui des non-titulaires a diminué pour se fixer à 22 postes. La chambre prend acte de cette inflexion."

Des délais de renouvellement écourtés

Mais les critiques envers la gestion des ressources humaines de la commune de Morzine ne s'arrêtent pas uniquement au statut des employés municipaux. La chambre régionale des comptes a également constaté des irrégularités sur le renouvellement des contrats. Et plus précisément sur les délais de publication de l'avis de vacance.

Avec, par exemple, une publication le 30 juillet 2012 pour un début de contrat le 2 août 2012, dans le cas de Pierre, ou encore "un renouvellement signé le 19 décembre 2010" pour une publication de l'avis "que postérieurement le 23 décembre 2010", dans le troisième cas étudié, celui de Jacques*, embauché en qualité de professeur d'enseignement artistique. Dans le même sens, il avait été recruté de manière anticipée, pour un poste qui n'a été ouvert qu'ensuite au recrutement.

De tels délais, ou absence de délais, empêchaient de fait d'autres candidats potentiels de postuler aux postes proposés.

"Quand les délais sont aussi brefs, on peut facilement supposer que la commune ne souhaitait pas recruter quelqu'un d'autre", suppose Karin Hammerer, en se basant sur le rapport de la chambre.

Montées en grade

En 2013, alors que Paul a déjà bénéficié d'un renouvellement, "l'agent refuse le renouvellement de son contrat pour une année seule et exige un contrat de trois ans." Un tel contrat lui est proposé.

"La chambre a constaté que l'agent concerné ne répondait pas aux critères permettant ce type de promotion et permettant d'accéder aux corps de catégorie A : diplôme inexistant, ancienneté insuffisante, évaluation professionnelle inexistante au moment de l'embauche. Ce recrutement apparait donc critiquable", conclut la chambre régionale des comptes.

Sur ce point, Karin Hammerer explique :

"Dans le cas d'un agent contractuel recruté pour faire face à une vacance temporaire d'emploi, et non pas d'un fonctionnaire, le contrat peut durer au maximum un an, et ne peut être renouvelé qu'une seule fois."

Gratification individuelle

Une situation qui n'est pas isolée, puisque pour un quatrième poste, un agent titulaire d'un CAP, Georges*, a été reconduit en tant qu'ingénieur 8e échelon. Or, comme le note la chambre : "Il est certes présent dans la collectivité depuis 20 ans, mais un ingénieur débutant au 1er échelon ne peut prétendre au 8ème échelon qu'après 17 années de service." En outre, en un an et demi, ce même homme gagne un échelon, alors même que la durée minimale est normalement de trois ans.

"Un courrier du maire en date du 3 mars 2011 démontre bien que cette progression constitue une gratification individuelle accordée hors de tout cadre statutaire pour répondre aux prétentions salariales de l'intéressé", fait savoir la chambre.

De là à parler de favoritisme, il n'y a qu'un pas, que l'organisme ne franchit pas. Ou presque. Car la chambre souligne cependant que la commune ne peut pas être exonérée "du respect des dispositions légales qui encadrent le recrutement des agents publics", des dispositions qu'elle semble négliger "pour avantager des candidats privilégiés".

Compléments de salaires

Sur la période étudiée, le nombre d'heures supplémentaires rémunérées a diminué fortement, de l'ordre de 58 %. Et pour cause, le décompte de ces heures supplémentaires n'est pas informatisé: il se fait manuellement, "sur la base d'un imprimé faisant l'objet d'une validation par le chef de service". "Or, cet imprimé n'est pas systématiquement utilisé pour les récupérations. Dès lors, le suivi des heures supplémentaires n'apparaît pas fiable", explique la chambre.

Là aussi, c'est le cas de Georges qui a été pointé du doigt. L'homme a un poste de cadre, et ne peut donc pas bénéficier de ce type de rémunération en heures supplémentaires, puisqu'il est couvert par un régime indemnitaire spécifique. Pourtant, certaines heures supplémentaires lui ont bien été rémunérées:

"Une note de la direction des ressources humaines en date du 28 février 2011 souligne d'ailleurs cette anomalie. Elle indique qu'une partie de ces heures est fictive et vise à rembourser à l'agent sa participation (230 euros) aux frais de son logement supportés en réalité par la commune."

Et à la Chambre de conclure : une telle indemnisation est "détournée pour servir un complément de salaire irrégulier".

Ici, c'est le principe de parité qui prévaut, explique la spécialiste en droit public. "Concernant les heures supplémentaires, leur indemnisation est fixée par le conseil municipal. Mais elles sont plafonnées. Selon l'article 88 de la loi du 26 janvier 1984, on ne peut pas accorder plus que ce dont bénéficierait un fonctionnaire de l'État."

Et ce n'est pas le seul complément de salaire dont cet agent bénéficie puisque selon la Chambre régionale des comptes, au titre d'astreintes, il a perçu jusqu'en 2010, trois indemnités par mois d'un montant unitaire de 109 euros. Or il ne pouvait prétendre qu'à des astreintes rémunérées à hauteur de 54,50 euros, soit moitié moins.

Des primes sans base légale

Plusieurs primes ont été accordées à des agents, "sans base légale". Parmi elles, l'indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS), créée par une délibération le 8 avril 2002. Elle a été accordée à quatre agents de la filière sportive, en 2011 et 2012, alors que ceci n'était pas prévu par la délibération. Le montant total de ces primes s'élève à  6 863 euros pour l'année 2011 et 13 004 euros en 2012. Dans les deux cas cités par la Chambre régionale des comptes, les situations ont depuis été régularisées par la commune.

Dans le même sens, alors que quatre agents seulement devaient bénéficier de logements pour nécessité absolue, selon une délibération prise en juin 2011, la chambre a relevé qu'en plus de ces quatre agents, 33 étaient logés par la commune "dont 16 au tarif d'une utilité de service".  "Ils ont été attribués à des salariés de la commune à des tarifs avantageux et hors de tout cadre légal", explique l'organisme public, avant de demander à la commune de mettre fin à cet avantage "injustifié".

"Il s'agit d'un des points les plus gênants de ce volet des ressources humaines", souligne Karin Hammerer.

Quelles conséquences ?

La Ville de Morzine devra rendre des comptes auprès du conseil municipal ainsi qu'à la chambre régionale des comptes. Il s'agira d'expliquer quels moyens ont été mis en œuvre pour respecter les recommandations de la Chambre.

Pour Karin Hammerer, difficile de juger de l'intention qui a présidé à l'édiction de ces mesures illégales.

"Rien ne détermine si nous sommes face à du favoritisme, de la connivence ou tout simplement devant un maire qui a juste voulu récompenser un contractuel qui travaillait bien, dans le cas des indemnités par exemple."

Par la suite, le rapport de la Chambre régionale des comptes va être remis au préfet qui risque "d'exercer le contrôle de légalité avec davantage de profondeur." A priori, pas de sanctions pénales à prévoir pour les élus de la commune de Morzine. La sanction sera essentiellement morale.

*Ces noms ont été inventés pour faciliter la lecture.

[Micmac à Morzine] Épisode 1 : le maire, l'expert-comptable et le notaire

[Micmac à Morzine] Épisode 3 : la nébuleuse des marchés publics

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