Grenoble : la méthode Piolle sous l’œil du monde économique

Il s’était livré le premier à l’exercice complexe : dresser un premier bilan de ses six mois à la tête de Grenoble, un laps de temps selon lui à la fois « assez court et assez long » pour faire entrevoir le changement. Mais quelle note le nouveau maire écologiste Eric Piolle obtiendra-t-il auprès des acteurs économiques ?

Ancien cadre dans l'informatique, Eric Piolle a dépoussiéré l'image traditionnelle du politicien. Jeune quadra issu d'un cursus ingénieur, il a fait ses armes chez HP en 2001, quittant son poste après avoir refusé de mettre en place un plan de délocalisation. Arrivant aux réunions à vélo, son casque à la main, le nouveau maire de Grenoble affiche un style simple et accessible. Dans une interview accordée au magazine Politis, il rappelait qu'il avait "déjà géré des budgets plus gros que la ville et des équipes plus importantes". Mais cela serait-il suffisant pour convaincre les acteurs du monde économique, qui n'avaient pas été nombreux à le soutenir ouvertement durant sa campagne ?

Une phase d'interrogation

Selon le président du MEDEF Isère, Philippe Gueydon, le monde économique "a vu avec plaisir l'élection à la mairie d'un homme du sérail. Il a cette qualité de ne pas avoir peur d'aller vers l'échange, même sur les sujets où l'on n'est pas d'accord", annonce-t-il, même s'il s'avoue plus dubitatif quant "à son programme et à sa couleur politique". Le président de la CCI iséroise, Jean Vaylet, reconnaît volontiers que le nouveau maire "est une personne sympathique qui connaît bien ses dossiers". Difficile néanmoins pour lui de commenter sa gestion économique, au vu du transfert de compétences vers la métropole qui s'annonce au 1er janvier prochain. "On est encore dans une phase d'observation et d'interrogations. Eric Piolle est là depuis 6 mois, mais la Metro n'est là que depuis 2 mois", souligne-t-il.

« Une remise en cause du modèle »

Alors que la nouvelle équipe, à peine installée, a le nez dans ses dossiers et dans le transfert en cours, il est déjà trop tard pour le président de la CGPME Isère, François Albrieux. Les retards se seraient accumulés. "Nous avions déjà communiqué nos inquiétudes par rapport aux désengagements annoncés sur les points forts de l'écosystème grenoblois, à savoir la recherche, l'innovation, les nouvelles technologies. Et c'est désormais acté", estime-t-il.

Selon lui, des signaux forts ont été envoyés au monde scientifique, avec la remise en question des permis de construire pour le projet d'extension du pôle de recherche Minalogic, ainsi que de la participation de la ville au projet Nano2017 (via la Metro, ndrl). Contactés, ni le Cea ni Minatec n'ont souhaité faire de commentaires. "Il ne faut pas que l'image de Grenoble pâtisse de cette remise en cause totale du modèle, afin que des entreprises qui pourraient s'intéresser à une implantation locale ne le fassent pas", met en garde M. Albrieux.

Au Medef, Philippe Gueydon rappelle : "La limite, c'est qu'il y a des choses qui marchent. Grenoble a quand même une image liée aux nouvelles technologies qui fait venir du monde, n'enlevons pas ça". C'est pourquoi ce dernier mise plus que jamais le dialogue, afin que le sud grenoblois reste attractif pour les entreprises, "notamment sur des questions de fiscalité, de priorité des filières, ou de déplacements". S'il estime que ces questions ne représentent pas des terrains d'accord avec l'équipe en place, "c'est à nous de faire bouger les lignes, car le dialogue permanent permet à chacun de convaincre l'autre".

Coup d'arrêt du neuf

Promise durant la campagne, la remise à plat des grands projets d'urbanisme a fait partie des premiers chantiers de la nouvelle municipalité. Des changements qui ne sont pas du goût de tous les acteurs économiques. "Il y avait certainement des côtés critiquables et des points d'amélioration, mais le projet de l'Esplanade est aujourd'hui reparti quasiment d'une feuille blanche, avec la division par deux du nombre de logements. Dans un contexte difficile pour le secteur du bâtiment, ce projet était perçu par les acteurs locaux comme un gros bol d'oxygène", met en avant François Albrieux.

Le président de la Fnaim38, Vincent Delaunois, craint pour sa part qu'en limitant les investissements dans le neuf, "on recrée un marché tendu qu'on ne connait plus sur l'agglomération depuis 5-6 ans. Un gros effort de construction a été fait ces dernières années et avait fait baisser les prix du marché". Autre mesure qui ne passe pas auprès du président de la Fnaim38 ? "L'objectif de 40% de logements sociaux, avec lequel aucun promoteur n'aura la capacité de lancer un projet".

Un écho au contexte national

Mise en évidence par plusieurs acteurs, tels que le notaire Fabrice Richy, l'absence de grues à Grenoble interpelle. Contacté, l'ordre des notaires a finalement refusé de s'exprimer à ce sujet. Reste qu'après la livraison de grands projets comme le Tram E,  "les entreprises risquent de se retrouver avec un carnet de commandes proche du néant. Les effets vont commencer à se faire ressentir", prédit Christian Streiff, président de la fédération du BTP, pour qui ces mesures auront un effet cumulatif avec un contexte national déjà peu favorable à l'industrie de la construction.

Pour autant, le président de la CCI, Jean Vaylet, nuance : "On ne peut pas en faire porter tous les maux au maire de Grenoble", même s'il note toutefois la nécessité de se doter "d'un marketing territorial plus fort qu'ailleurs" afin de surmonter ces difficultés. Philippe Gueydon ajoute : "Nous ne sommes pas dans un arrêt total non plus, car si le projet de l'Esplanade a été emblématique pour la nouvelle majorité, les élus semblent plus ouverts à s'assurer que le reste avance".

Déplacements : un changement d'ère ?

C'est certainement la question qui suscite le plus de crispations... Attendus depuis longtemps par les acteurs économiques, des dossiers tels que l'élargissement de l'A480 ou l'A51 ont été enterrés dès l'arrivée de la nouvelle équipe EELV-Parti de gauche. Seul le projet d'agrandissement de l'échangeur du Rondeau ressemble pour l'instant à un terrain d'entente. "Nous sommes à un stade de discussions où l'on ne peut pas mettre tous les problèmes sur la table. Il y a des dossiers pour nous qui sont vitaux, comme le désengorgement de Grenoble, qu'il est important de traiter rapidement en ayant une approche pragmatique, et non dogmatique", tempère le président de la CCI.

"Ne perdons pas de temps à nous battre d'une façon parfois stérile et traitons le Rondeau rapidement avec un délai raisonnable", renchérit Philippe Gueydon.

Reste que pour d'autres, ce chantier à lui seul ne règlera rien... "Avec l'A480 qui a reçu une fin de non recevoir de la nouvelle majorité, la circulation restera enchylosée en amont et en aval de l'échangeur comme on la connaît tous les matins", prédit François Albrieux, qui rappelle que les transports en commun et les vélos ne constituent pas une solution pour les artisans et les entreprises.

Nombreuses, les attentes sont donc à la mesure de ce nouveau mandat qui a démarré sur les chapeaux de roue et sous l'œil des caméras. Le style Piolle parviendra-t-il à convaincre le monde de l'entreprise ? "En tous les cas, on a la chance d'avoir un maire jeune, dynamique, qui passe bien dans les médias et qui n'hésite pas à mouiller sa chemise", résume Philippe Gueydon.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 03/01/2015 à 12:43
Signaler
En gros, les entreprises locales du BTP attendent que E. Piolle lance des grands travaux avec l'argent public qui fait défaut ? Pas sûr que se soit ça la méthode Piolle... Ils se disent Entrepreneurs ou fonctionnaires ?

à écrit le 29/12/2014 à 16:05
Signaler
" prédit François Albrieux, qui rappelle que les transports en commun et les vélos ne constituent pas une solution pour les artisans et les entreprises." Certes, mais le covoiturage constitue en revanche une vraie solution pour les entreprises, gr...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.