Plan Hercule : pourquoi les salariés d'EDF en AuRA se joignent au mouvement national

Une centaine de salariés grévistes d'EDF venant de Lyon et ses environs se sont réunis mardi dernier devant la centrale hydroélectrique de Villeurbanne-Cusset, pour lutter contre le plan Hercule. Inquiets pour la notion du service public de l’énergie plus que pour le volet social de ce plan, ils prévoient déjà une nouvelle mobilisation le 28 janvier prochain, et craignent pour l'avenir des communes rurales, bien présentes en AuRA, qui s'avère également la première région française productrice d'électricité.
Cela fait désormais un peu plus d'un an que l'intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC- FO) se mobilise contre ce projet. Une nouvelle mobilisation est d'ores et déjà prévue le 28 janvier prochain.
Cela fait désormais un peu plus d'un an que l'intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC- FO) se mobilise contre ce projet. Une nouvelle mobilisation est d'ores et déjà prévue le 28 janvier prochain. (Crédits : DR Zoé Favre d'Anne)

"Les électriciens et gaziers disent non au démantèlement de leurs entreprises, et oui au service public de l'énergie !" C'est sous ce slogan que se sont rassemblés, à la centrale hydroélectrique de Villeurbanne-Cusset, mardi dernier, les salariés grévistes d'EDF, mobilisés contre le plan Hercule, qui dessine les contours du découpage du groupe.

EDF emploie près de 18.395 salariés ainsi que 880 alternants en Auvergne Rhône-Alpes, selon une plaquette établie par la direction d'EDF pour l'année 2020, avec des chiffres arrêtés en 2018.

Environ 150 grévistes étaient présents devant la centrale hydroélectrique. Selon les syndicats, sur les 30 agents qui travaillent sur ce site, une quinzaine ont rejoint la mobilisation tandis qu'en France, un peu plus d'un agent sur quatre était en grève (28%) ce jour-là. Le temps de la manifestation, ils ont baissé la charge de production, sans conséquence pour les consommateurs.

Car cela fait maintenant un peu plus d'un an que l'intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC- FO) se mobilise contre ce projet. Le plan Hercule prévoit en effet la découpe d'EDF en trois pôles : un "bleu", pour le nucléaire, détenu par l'État, un "vert" pour la distribution et les énergies renouvelables dont le capital serait ouvert à 35 % au privé et éventuellement un "azur" pour la production hydraulique.

Pour résumer ce plan, la formule "nationaliser les pertes et à privatiser les profits" revient fréquemment. Actuellement, EDF fonctionne en système intégré (production, distribution, commercialisation dans le même giron) et le plan Hercule viendrait casser cette organisation.

"Ce plan vise à résoudre un problématique financière. C'est une vente à la découpe d'EDF, une désoptimisation du groupe. Il va y avoir des conséquences sur le prix pour les consommateurs et c'est la fin du modèle intégré et de la notion de service public de l'énergie. L'électricité, tout comme l'eau, devrait être un bien de la nation", tranche un salarié CGE-CGC.

La crainte d'un déséquilibre entre les territoires

Avec l'ouverture à la concurrence de la distribution (le pôle "vert") l'intersyndicale craint un déséquilibre entre les territoires, plus que les conséquences en matière d'emplois, qui demeurent pour l'heure encore incertaines.

En effet, aujourd'hui, qu'on réside dans une maison isolée à la campagne ou un appartement en pleine ville, le tarif de l'électricité est le même pour tous : c'est la péréquation tarifaire.

"Avec le plan Hercule, le système d'équilibre et de solidarité entre les territoires sera revu", présage Juliette Lamoine de la CGT. Si la distribution venait à être privatisée, l'intersyndicale prédit une baisse de la qualité sur service dans les coins les plus reculés, voire une hausse des tarifs.

Car l'entretien du réseau pour une poignée de personnes n'est pas forcément rentable. "Quand il y a des intempéries, aujourd'hui c'est Enedis qui intervient rapidement, alors que les entreprises privées peuvent décider ensuite que les coins ruraux reculés ne sont plus rentables, ni prioritaires", ajoute Juliette Lamoine.

En région Auvergne Rhône-Alpes, bien dotée en matière de ruralité, cette question est centrale. Selon les données de l'INSEE, les espaces ruraux représentent les trois quarts de la superficie du territoire, et hébergent environ un quart de ses 8 millions d'habitants.

Juliette Lamoine craint aussi pour la survie des petites agences situées hors des grandes villes. La région compte également quatre centrales nucléaires ainsi qu'un parc hydraulique riche, avec près de 168 barrages ou retenues d'eau ainsi que 159 usines de production. Elle contribue d'ailleurs à faire de la région Auvergne-Rhône-Alpes la première région productrice de France en matière d'électricité, puisqu'elle représente 22% de la production nationale. Mais aussi la région qui produit actuellement le plus d'énergie renouvelables en France (27,8 TWh).

Les interrogations se tournent aussi sur l'aménagement des parcs et des berges ainsi que la gestion des eaux. "Si il y a des intérêts privés demain, il y aura une baisse de l'intérêt général."

La région représente d'ailleurs 21%  de la production électrique de France, 21% de la production nucléaire, 44% de la production hydraulique et 28,5,% de la production ENR.

C'est donc bien la notion de service public et d'égalité qui est remise en question avec l'arrivée de la concurrence. "Au début du confinement, Enedis et la production ont été qualifiés d'essentiel à la nation, c'est vraiment un paradoxe", commente Juliette Lamoine.

Un processus flou

En 2018, le gouvernement a chargé la direction d'EDF de proposer un plan de réorganisation du groupe pour faire face aux défis à venir ( nucléaire, énergies renouvelables, investissement, dette, distribution...). De là, est né le projet Hercule.

Aujourd'hui, il est négociation avec la Commission européenne. Cette négociation du plan de découpage d'EDF est aussi liée à l'Arenh (accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Créé en 2010, ce dispositif oblige EDF à vendre environ 25% de sa production aux fournisseurs alternatifs et concurrents. Mais le tarif (42 euros du mégawattheure) n'a pas bougé depuis 10 ans.

Aujourd'hui, ce tarif ne permet plus d'amortir les coûts de production. L'État et EDF souhaiterait donc augmenter le prix du mégawattheure, mais cela se négocie donc aussi avec Bruxelles, qui n'accepterait pas une hausse de tarif sans un plan Hercule qui irait en son sens.

Les syndicats, quant à eux, ne sont pas dans la boucle des discussions menées entre Bruxelles et le gouvernement. Selon Juliette Lamoine, la dernière présentation de la direction sur le sujet remonte à 2019. Même sur le calendrier et l'Etat d'avancement du projet, assez peu d'informations circulent. Derniers maillons de la chaîne, les salariés tentent donc de se faire entendre avec les grèves et les mobilisations.

En décembre, les députés PS ont aussi proposé un référendum d'initiative populaire sur ce sujet. Le Premier ministre, Jean Castex, avait voulu se montrer rassurant en répondant que "le gouvernement, loin d'avoir l'intention d'affaiblir ou de démanteler cette grande entreprise nationale qu'est EDF, entend bien au contraire l'adapter et lui donner les armes pour remplir sa mission historique. [...]  Nous n'avons, je le répète, nullement l'intention de démanteler EDF qui restera un grand groupe public, les statuts des personnels des industries énergétiques et gazières seront préservés."

Contactée, la direction régionale d'Edf n'a pas donné suite à nos demandes pour l'instant. Un nouvel appel à la grève est déjà prévu pour le 28 janvier prochain tandis que les électriciens et gaziers ont annoncé qu'ils rejoindraient aussi la manifestation interprofessionnelle, programmée pour le 4 février.

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Commentaires 2
à écrit le 29/01/2021 à 11:55
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Pas pour la première fois les capacités de gestion de l'Etat ont montré leurs limites, car l'EDF est bel et bien en faillite comptable. Maintenant les tenants et les aboutissants se trouvent au pied du mur et doivent trouver une solution difficile ...

à écrit le 26/01/2021 à 18:12
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Comment les fonctionnaires chez EDF vont pouvoir miner du Bitcoin s'ils doivent payer le gaspillage énergétique associé? Et quoi de plus normal que de bloquer la concurrence sur l'installation de centrale hydroélectrique et de ligne de transport T...

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