Quand l'immobilier s'empare du crowdfunding

Dans un univers très consommateur de cash où les colosses de l’investissement spécialistes de l’immobilier règnent en maîtres, l’investissement participatif, simple et rapide, gagne du terrain. Les fonds ainsi collectés – jusqu’à un million d’euros – tombent à pic pour des promoteurs en mal de fonds propres. Ces dispositifs peinent encore à convaincre certains sceptiques, tant chez les promoteurs qu’au sein du milieu bancaire, mais séduisent toujours plus de particuliers. Une dimension nouvelle qui devrait être d'actualité durant le Mipim qui s'ouvre à Cannes, mardi 14 mars.

Après les startups, les projets culturels, les promoteurs immobiliers s'emparent à leur tour du crowdfunding. L'an dernier, 50 millions d'euros ont été levés grâce à cette formule pour des projets immobiliers, soit dix fois plus qu'en 2014. En Grande-Bretagne, où elle fait fureur, la plateforme de crowdfunding immobilier Realty Mogul a déjà permis aux promoteurs de lever plus de 30 millions de dollars (27 millions d'euros). Un secteur où, force est de le reconnaître, il y a encore quatre ans, personne ne s'attendait à voir cette forme de financement participatif percer.

Pour cause, la pierre est certainement l'un des domaines mobilisant le plus de cash. Bien difficile en effet d'élever des locaux d'activité à moins de dix millions d'euros et quand il s'agit d'un immeuble de logements et plus encore un immeuble tertiaire, les dizaines s'accumulent. L'immobilier est aussi le secteur mobilisant le plus de fonds propres que nombre de promoteurs avaient, jusque-là, des difficultés à réunir pour satisfaire les exigences des banques, de plus en plus regardantes sur le montant de ces apports (qui doivent s'élever à au moins 10 % du montant de l'opération en moyenne aujourd'hui) pour délivrer un crédit. Autant dire que les quelque dizaines, voire centaines de milliers d'euros -
pas plus d'un million aujourd'hui - apportés par les crowdfunders tombent à point nommé pour débloquer les projets.

Effet de levier

"Évidemment que nous obtenons des financements bancaires, mais sous conditions. Les fonds propres constituent la véritable problématique pour des promoteurs comme nous. Certes, il est toujours possible d'ouvrir le capital, mais on ampute la marge et il faut savoir diluer. Le crowdfunding est bien plus simple et surtout bien plus rapide", s'enthousiasme Pierre Nallet, PDG d'AnaHome Immobilier.

Basée à Lyon, cette structure créée en 2010, a ainsi levé 350 000 euros en trois semaines afin de financer un programme de 40 logements dont sept sociaux, à Annemasse et lance une nouvelle opération de financement participatif sur une opération à Meyzieu, en banlieue lyonnaise. Autre avantage mis en avant par Pierre Nallet : l'effet de levier. "Avec le crowdfunding, je peux mener davantage d'opérations puisque je consacre 200 000 euros à cinq programmes au lieu de réserver un million à un seul." Portée par la nouveauté sûrement, mais aussi par ces avantages, en région Auvergne Rhône-Alpes, la pratique se développe à grands pas.

Lire aussi : Du crowdfunding au crowdinvesting

À Villefranche-sur-Saône, le groupe Boyer a lui aussi fait appel aux crowdfunders pour financer l'extension de La Lagune, une zone commerciale composée de quatre lots qui accueilleront trois grandes enseignes sur une superficie de 13 119 m². L'Art de Construire, basée à Lissieu (Rhône), est quant à elle parvenue à lever plus de 900 000 euros pour réaliser un programme d'activité de 100 000 m² en région parisienne. Et le groupe Capelli, créé en 1976 et coté à la Bourse de Paris depuis 2004, a lui aussi eu recours au crowdfunding sur plusieurs opérations.

"Nous proposons aux promoteurs soit de les aider à lancer une opération en complétant leurs fonds propres, soit, sur des opérations déjà lancées, en accord avec la banque, de remplacer tout ou partie des fonds propres du promoteur", explique Souleymane Galadima, directeur général de Wizeed Immobilier.

De l'argent facile, mais relativement cher. "Nous facturons notre prestation entre 8 et 10% au promoteur", poursuit-il. "C'est un coût élevé, mais gérable, c'est-à-dire absorbable, car il permet d'accroître notre développement", estime Christophe Capelli, président du groupe lyonnais éponyme, spécialiste de la construction de logements. L'analyse ne convainc pourtant pas tous les acteurs, notamment régionaux.

Hésitations

"Il est toujours intéressant de diversifier ses sources de financement, mais pour l'instant, je n'ai pas envie d'acheter des quasi-fonds propres. Nous sommes plutôt dans une logique d'endettement en constituant nos fonds propres avec le temps. Pour nous, il s'agit aussi d'une certaine sécurité financière. Nous préférons réaliser des opérations bien sélectionnées qui permettent un taux de pré-commercialisation rapide et donc un endettement classique, plutôt que de multiplier les projets. D'autant que nous savons gérer nos fonds propres en fonction des volumes que nous réalisons", avance Guillaume Masset, directeur financier du promoteur lyonnais Groupe Cardinal, qualifiant toutefois le crowdfunding "d'intéressant et d'intelligent".

"Sur des opérations significatives, je n'ai encore jamais vu de crowdfunding, que ce soit en France ou à l'étranger car, pour l'heure, l'argent est assez facile à obtenir pour les majors de la promotion. En revanche, sur des opérations plus petites, ce mode de financement se développe. D'une part, cela permet aux acteurs immobiliers de « sortir » leurs projets et d'autre part cela correspond à une montée en puissance de l'économie collaborative", analyse Vincent Delattre, directeur associé chez JLL, responsable de l'investissement en régions.

Coup de pouce

Le message est entendu. "Les ténors de la promotion n'ont pas besoin de nos services, mais le marché de la promotion immobilière étant très atomisé en France, nous avons tout de même de quoi faire", observe le directeur général de Wizeed Immobilier. "Certes, nous restons sur des projets limités en taille, même si nous avons participé au financement de 160 logements à Marseille. Les promoteurs ont compris que nous leur permettions d'accélérer leur croissance en réalisant davantage d'opérations. C'est pourquoi ils nous sollicitent de plus en plus", abonde Joachim Dupont, président d'Anaxago, spécialiste du crowdfunding, qui a mis un premier pied dans l'immobilier en 2014.

Si le crowdfunding a le vent en poupe auprès des promoteurs, il séduit aussi les particuliers qui se ruent sur les offres immobilières accessibles à partir de 1 000 euros en moyenne.

Pour avancer leurs pions, les acteurs du financement participatif pourraient bénéficier d'un coup de pouce du gouvernement, qui envisage de porter le montant maximal de financement en capital collecté par les plateformes de crowdfunding à 2,5 millions d'euros par projet. Et aussi de l'appétence des collectivités pour l'innovation, puisqu'elles exigent des montages financiers toujours plus novateurs dans leurs cahiers des charges de projets immobiliers.

Pressions des banques

Malgré ces signaux favorables, un frein subsiste de la part du monde bancaire. "Le crowdfunding ne remplacera jamais nos partenaires financiers. Nous travaillons de manière fidèle et étroite avec eux. Aussi, nous ne souhaitons pas témoigner d'un sujet qui puisse nous mettre dans une position délicate vis-à-vis d'eux", fait savoir un acteur en vue de l'immobilier local. Lequel a financé une opération via le crowdfunding et s'est entendu dire par l'une de ses banques que s'il optait désormais pour cette source de financement, elle ne donnerait pas de suite favorable à ses demandes de prêts.

Une exception ? "Il existe des banques progressistes qui comprennent que, sans fonds propres, elles ne peuvent pas prêter et d'autres, rétrogrades, qui voient toute innovation, dont le crowdfunding, d'un mauvais œil", botte en touche Joachim Dupont. "Nous faisons beaucoup de pédagogie auprès des banques. La grande majorité a bien compris que nous étions complémentaires, nous en fonds propres, eux en dette", assure pour sa part Souleymane Galadima. La plupart des promoteurs acquiescent, mais certains avouent discrètement que l'entreprise de conviction du banquier est bien plus ardue lorsqu'une partie de fonds propres vient du financement participatif.

(Crédits : Laurent Cerino / ADE)

Une affirmation réfutée par Thierry de Vincenzi, directeur des professionnels de l'immobilier à la Caisse d'Épargne Rhône-Alpes.

"Nous nous sommes toujours inscrits en accompagnement des acteurs de l'immobilier pratiquant le crowdfunding. La seule limite que nous posons est que les opérateurs restent majoritaires dans leurs projets, car nous estimons que l'on travaille toujours mieux lorsque l'on engage ses propres fonds. En termes de financement, nous ne pouvons pas véritablement parler de concurrence avec le crowdfunding. Le rendement qu'il offre aux promoteurs est possible uniquement par l'effet de levier et cette voie de financement ne sera jamais en concurrence avec le crédit. Par ailleurs, les promoteurs auront toujours besoin d'un banquier pour leur GFA (Garantie financière d'achèvement). Le crowdfunding est donc un outil de financement supplémentaire, mais il ne constitue pas une solution de remplacement du crédit', défend-il.

Un outil de financement dont le pouvoir de séduction semble néanmoins sans limites.

Risqué, mais adulé

En effet, si ce dispositif a le vent en poupe auprès des promoteurs, il séduit aussi les particuliers qui se ruent sur les offres immobilières accessibles à partir de 1 000 euros en moyenne. "La confiance des investisseurs est très forte sur l'immobilier, plus que sur les startups", reconnaît Souleymane Galadima. "Dans ces opérations, un côté ludique transparaît. Les investisseurs peuvent suivre l'avancée du programme qu'ils financent sur internet. Ils sont en quelque sorte promoteurs. Par ailleurs, cela crée une forme de communauté entre investisseurs", abonde Pierre Nallet.

Il faut dire que les taux sont alléchants. Pas moins de 8% de gains et sans doute davantage - 10% voire 12% - sont promis par les acteurs du crowdfunding immobilier. Sans compter la rapidité du retour. "Sur les startups, les investisseurs s'engagent sur cinq à sept ans, alors que dans l'immobilier, nous avons réalisé des opérations en 12 mois, même si la moyenne est aux alentours de deux ans", explique le président d'Anaxago. Pour l'heure, les revers ne semblent pas (encore ?) de mise, mais personne, dans l'univers de la finance comme de l'immobilier, ne se voile la face.

À l'image des startups, certains programmes n'iront pas au bout et les déconvenues surviendront tôt ou tard. Et ce, même si l'Autorité des marchés financiers veille et que les acteurs du crowdfunding immobilier affûtent leurs plans de communication pour faire valoir leurs techniques de sélection des programmes et des montages d'investissement. "Notre valeur ajoutée réside véritablement dans la qualité des programmes que nous proposons. Nous réalisons non seulement une analyse corporate du promoteur et de l'opération, mais en plus nous disposons de développeurs qui visitent les programmes pour vérifier que les produits correspondent au marché", fait valoir Souleymane Galadima.

Portés par la vague, certains seront sûrement moins scrupuleux : en quelques mois, le nombre d'acteurs actifs sur le crowdfunding immobilier a explosé. Difficile d'ailleurs d'en évaluer précisément le nombre. Selon les montages financiers, les investisseurs peuvent donc perdre tout ou une partie de leur mise de départ. Pas de quoi décourager les adeptes de l'économie collaborative. Ni ceux de l'immobilier qui arrivent toujours loin devant (65%, selon le Cercle de l'épargne) quand les Français sont interrogés sur leurs placements préférés. Avec l'immobilier, le crowdfunding devrait donc tenir un bon filon.

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