L'habitat participatif, vivre une histoire commune

Dans un contexte de crise du logement et d'accès difficile à la location et à la propriété pour les modestes revenus, l'habitat participatif émerge. Mais derrière le besoin primaire de se loger, réside des expériences collaboratives et démocratiques, favorisant le lien social et le vivre ensemble.

En matière de logement, en marge des deux secteurs historiques dominants que sont la promotion immobilière privée et le logement social, une troisième voie se dessine : c'est l'habitat participatif, qui vise à financer, construire et vivre le logement autrement. Ce modèle se révèle être, bien au-delà d'un simple mode de production de logements, une démarche innovante.

 De nombreux projets en Rhône-Alpes

En France, il est apparu dans les années 1970 notamment sous sa forme autogérée, dans le prolongement de la philosophie des cités radieuses de Le Corbusier. Au début des années 2000, l'approche participative connaît un regain d'intérêt en réponse à la crise du logement ajoutée à une volonté de vivre dans des espaces plus qualitatifs qui facilitent le lien social. Des petits ensembles d'une dizaine de logements, prenant rigoureusement en compte les exigences environnementales en matière de construction et dotés d'espaces partagés ont ainsi vu le jour récemment. En France, une vingtaine de projets ont été concrétisés, 50 sont actuellement en développement et 300 autres en constitution. Une pratique embryonnaire, comparativement à ce qui existe dans certains pays européens (5 % des logements suisses et 15 % des logements norvégiens).

A l'échelle de la région Rhône-Alpes, le Village Vertical, à Villeurbanne, a vu s'installer 14 ménages en juin 2013. Dans leur sillage, plusieurs autres projets en sont à divers stades d'avancement : Coop'en germe à Saint-Germain-au-Mont-d'Or, dans l'ouest lyonnais, Chamarel à Vaulx-en-Velin. D'autres collectifs, en Isère, dans la Loire, en Savoie et en Haute-Savoie, se sont engagés dans des démarches proches et sont soutenus par l'association Habicoop qui, depuis 2005, accompagne la création et le développement des coopératives d'habitants. D'un projet à l'autre, les principes guidant ces démarches présentent des parentés et un point commun : devenir acteur de son logement. Outre la participation des habitants à la conception et à la gestion de leur habitat, les projets recourent le plus souvent à des modes de consommation et de construction censés être plus responsables et respectueux de l'environnement.

Participation des habitants

Le terme d'habitat participatif recouvre un grand nombre d'approches et de réalités. « C'est un très grande famille, unie par un principe : la participation citoyenne des habitants », sourit Valérie Morel, accompagnatrice de groupes projets au sein de l'association Habicoop.

L'habitat participatif englobe l'autopromotion, forme de promotion immobilière mais autogérée par plusieurs familles qui ont fait le choix de se regrouper. Il recouvre en outre l'habitat groupé ou cohabitat. Dans ce schéma, le projet d'habitat est conçu et géré par plusieurs familles, parfois en coopération avec un bailleur social ou un bailleur/promoteur privé. Enfin, l'habitat coopératif caractérisée par une coopérative d'habitants propriétaires des logements conçus par leurs habitants et gérés de façon participative.

Ce qui différencie ces approches, c'est donc la part d'implication des habitants, allant parfois jusqu'à la participation aux travaux et le positionnement sur la notion de propriété. La loi Alur (pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) du 24 mars 2014 définit l'habitat participatif dans son article 47 :

« une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s'associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements, et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d'acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d'assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis », cette démarche s'inscrivant « dans une logique de partage et de solidarité entre habitants ».

Un fonctionnement démocratique

Le principe fondamental de l'habitat participatif est l'implication des futurs habitants dans la conception et la gestion de leurs logements. La coopérative d'habitants « est régie par un fonctionnement démocratique sur le principe « Un habitant égal une voix », souligne Michèle Tortonèse, coopératrice au sein de la société Chamarel-Les Barges, à Vaulx-en-Velin, et ce quel que soit le nombre de parts sociales détenues dans la société coopérative. » « Avec ce système, nous sommes acteurs du logement, et pas consommateurs », martèle Brigitte, coopératrice au sein du Village Vertical depuis 2007.

Comme dans toute structure coopérative, les membres ont une double qualité. D'un côté, en tant que coopérateurs, ils sont impliqués directement dans la gestion de la structure dont ils détiennent des parts sociales. Ils en établissent les statuts et déterminent son fonctionnement interne. Ils en élisent le(s) gérant(s) et participent régulièrement aux décisions relatives à l'organisation de l'activité de la structure. De l'autre côté, les membres d'une coopérative d'habitants sont aussi les bénéficiaires des services offerts par la coopérative. Ils sont par ailleurs locataires des logements dont la coopérative est propriétaire.

 « Une coopérative d'habitants, ce n'est ni de la propriété privée, ni de la location classique. C'est un espace en propriété collective, explique Philippe, "villageois vertical" à Villeurbanne. L'unique propriétaire, c'est la société coopérative, et nous sommes tous à la fois locataires de la coopérative et coopérateurs.»

 La coopérative d'habitants est une société sans but lucratif. Elle propose à ses coopérateurs des logements dont les loyers reflètent le coût réel d'exploitation de l'immeuble dans lequel ils vivent. L'implication des coopérateurs, les efforts de mutualisation de moyens, la mise à disposition d'espaces communs et le souhait d'éviter les intermédiaires visent à offrir des loyers inférieurs aux prix du marché. « La non-spéculation constitue un autre principe du système coopératif », décrit Valérie Morel. Ses caractéristiques intrinsèques évitent d'entrer dans une logique spéculative. Le coopérateur acquiert un certain nombre de parts sociales, « dont la valeur est déconnectée de celle du bien immobilier », précise-t-elle. Elles lui seront remboursées par la coopérative lorsqu'il décidera éventuellement de quitter son logement.

Des espaces partagés

La coopérative est issue d'un travail collectif qui tente de prendre en compte les besoins de chacun. Impliqués dès l'origine du projet, les coopérateurs définissent ensemble les caractéristiques de leurs logements et des espaces qu'ils souhaitent partager. Placés au cœur de la production et de la gestion de leur lieu de vie, les habitants coopérateurs conçoivent tout à la fois des espaces de vie privatifs, mais aussi des espaces communs selon leurs besoins partagés et individuels.

C'est l'une des particularités de l'habitat participatif : proposer des espaces de vie collective. « Notre futur habitat proposera notamment une salle polyvalente collective, des chambres d'amis partagées, un atelier, une buanderie équipée », détaille Patrick Chrétien, coopérateur Chamarel. Le choix de la mutualisation de certains espaces et du matériel est une des solutions pour obtenir plus de confort en réalisant, là encore, davantage d'économies.

L'habitat participatif répond en outre à une recherche de relations de voisinage basées sur l'échange et la solidarité. La vie en coopérative encourage le développement d'un nouveau lien social, les échanges et la solidarité entre voisins. Les espaces communs permettent de mutualiser les services et favorisent la convivialité, tandis que la participation aux décisions communes encourage une véritable coopération de voisinage.

Maîtrise du coût du logement

Proposer un logement à coût maîtrisé représente un autre atout de l'habitat participatif. Dans le contexte actuel, l'accès au logement devient de plus en plus complexe pour les populations modestes comme pour les classes moyennes. D'abord, en raison de l'insuffisance de l'offre de logements. Ensuite, en raison de l'incapacité de nombreux ménages à faire face aux prix d'achat dans l'immobilier.

L'habitat participatif représente donc une alternative pour accéder à la propriété, y compris pour les ménages disposant de faibles ressources. « Dès l'origine de la coopérative, nous avons souhaité permettre à de futurs habitants, disposant d'un faible apport, de participer au projet », insiste Patrick Chrétien. C'est aussi ce qui a plu à la coopérative HLM Rhône Saône Habitat qui s'est associé aux habitants du Village Vertical.

 « Toute action permettant à des ménages modestes d'accéder à la propriété nous semble intéressante à expérimenter, précise-t-on à la coopérative HLM. Le projet d'habitat coopératif tel que celui du Village Vertical est pour nous une occasion de créer une autre façon d'habiter. »

En se donnant les moyens de concevoir un immeuble à plusieurs, il est plus aisé de faire baisser, en les optimisant, les coûts de construction ou de réhabilitation du futur logement, généralement financés par un emprunt bancaire collectif. Les habitants coopérateurs paient une redevance mensuelle qui permet de rembourser cet emprunt et de payer l'ensemble des charges (y compris chauffage, fluides, provisions pour gros travaux et vacances). Permettant par ailleurs de financer les grands espaces communs, « cette redevance ne suit pas les prix du marché, mais l'évolution du coût de la vie », précise Valérie Morel.

Préoccupation environnementale

L'habitat participatif s'érige en outre en exemple de construction adaptée à ses habitants et à leur environnement. Il repose sur un triptyque éco-responsable : une architecture en harmonie avec son milieu naturel, le recours à des techniques économes en énergie et l'utilisation de matériaux sains. En termes de construction, l'habitat participatif constitue là-encore une démarche innovante : il cherche à améliorer les performances énergétiques des bâtiments, tout en privilégiant le confort des habitants. Les matériaux utilisés sont souvent écologiques, choisis pour leur faible bilan énergétique ou leur provenance locale.

Les habitants d'immeubles partagés ont souvent à cœur d'encourager la nature en milieu urbain. Jardins partagés, terrasses-potagers, murs ou toits végétalisés sont des axes exploités dans le cadre de la conception de l'immeuble partagé. Le projet d'habitat participatif peut donc être considéré comme un véritable « laboratoire écologique au cœur de la ville, estime Carmen, coopératrice au sein du Village Vertical depuis 2010. Nous voulons mener des expériences écologiques, par exemple, pour mieux gérer nos déchets, économiser l'eau ou l'énergie. C'est plus facile en groupe, à l'échelle d'un immeuble ». Cette prise en compte de l'environnement répond une nouvelle fois aux exigences d'un développement soutenable et constitue un véritable enjeu à l'heure de l'invention d'une ville durable.

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