Le MAMC de Saint-Étienne, ce mini-Beaubourg ignoré

Parfois encore méconnu du grand public – en particulier des Stéphanois –, le musée d’Art moderne et contemporain de Saint-Étienne dispose néanmoins de l’une des plus importantes collections d’œuvres d’art de sa discipline. Trop élitiste ? Un travail de longue haleine est en cours pour faire tomber les préjugés. Mais comment ? La nouvelle directrice de l’institution, Aurélie Voltz, s'y emploie.
(Crédits : Laurent Cerino / ADE)

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À l'entrée nord de Saint-Étienne, un bloc noir, très graphique, se détache du paysage urbain. Des plaques de céramique couleur jais recouvrent le bâtiment conçu par Didier Guichard, faisant écho au passé minier de la ville. Excentré à Saint-Priest-en-Jarez, le musée d'Art moderne et contemporain (MAMC) ne semble pas des plus accueillants. Pourtant, à l'intérieur, son fonds d'œuvres est impressionnant. Ses réserves regorgent de près de 20 000 œuvres, du design à la photographie en passant par des toiles de maître. De quoi se tailler une solide réputation au fil des années, en France et à l'étranger. "C'est comme un mini-centre Pompidou", glisse malicieusement sa nouvelle directrice générale, Aurélie Voltz, 44 ans et ancienne directrice des musées de Montbéliard, en nous entraînant au pas de course de salle en salle.

Musée d'art contemporain

Dès l'entrée, on découvre avec surprise une œuvre de Le Corbusier non pas en architecture comme attendue, mais en peinture, des œuvres design, des classiques de Picabia, Picasso ou Dubuffet, sans oublier une scène américaine foisonnante. Pendant des années, la collection était à l'étroit au musée d'Art et d'Industrie de Saint-Étienne, avant que le MAMC ne soit créé en 1987 pour l'accueillir de façon adéquate. Aurélie Voltz "pile" devant des chefs-d'œuvre de Supports/Surfaces, un des mouvements fondateurs de l'art contemporain français, puis nous conduit devant My Red Homeland (2003), installation monumentale en cire rouge sang de 12 mètres de diamètre, et autres pièces inédites du plasticien britannique Anish Kapoor, guest star pour célébrer les 30 ans du lieu.

"Ce musée fait partie des pépites de la métropole, un pôle d'attractivité important", lance d'emblée Robert Karulak, vice-président chargé du design, du patrimoine, de la culture et du tourisme. En gestion directe, la métropole de Saint-Étienne finance le MAMC à hauteur de 1,5 million d'euros par an, hors ressources humaines.

La collection avant tout

"Historiquement, il y avait deux grands musées d'art contemporain dans la région, le musée de Grenoble qui est un peu moins dans l'actualité et le musée de Saint-Étienne qui a décollé dans les années 1970, notamment avec Bernard Ceysson (directeur du musée d'Art et d'Industrie dès 1967 puis directeur du MAMC de 1987 à 1998, NDLR)", explique Thierry Raspail, directeur du MAC Lyon depuis 1984.

Si peu de projets communs ont été menés, ces trois lieux semblent complémentaires avec des acquisitions d'œuvres différentes.

"Celui de Saint-Étienne a développé son fonds de manière plus conventionnelle, dans le bon sens du terme, pour être représentatif de l'histoire de l'art, avec une démarche plus académique comme Beaubourg par exemple, poursuit le cocréateur de la biennale d'art contemporain de Lyon, une référence dans le milieu. Face à ces deux musées, le MAC de Lyon a pu être beaucoup plus libre. Nous avions comme principe de collectionner des expositions personnelles."

 À titre de comparaison, le MAC Lyon compte 1 400 œuvres, parfois monumentales lorsqu'il s'agit de collections entières, réparties sur une superficie de 40 000 m2. "La collection de Saint-Étienne est fabuleuse, avec du pop art ou de l'art conceptuel par exemple", commente en bon voisin Thierry Raspail.

À peine arrivée, en octobre, à la tête du MAMC, Aurélie Voltz, une jeune parisienne réputée pour son dynamisme, entend bien revaloriser ce fonds, souvent considéré comme le deuxième en France dans son domaine. Pour cette spécialiste de l'art contemporain, formée à l'école du Louvre, tout l'enjeu est de réaffirmer l'identité du MAMC, "un des musées puissants en France", sans compter uniquement sur les expositions pour attirer le public.

"On ne découvrira pas la collection au détour d'une cimaise. Pour moi, cela, c'est révolu. Les expositions doivent être une émanation de la collection, doivent la prolonger, l'augmenter", abonde Aurélie Voltz avec entrain. "Cela peut être une carte blanche à un commissaire extérieur ou à un artiste qui viendra relire la collection", imagine-t-elle.

Musée d'art contemporain

Aurélie Voltz

Pour enrichir ce fonds, la directrice envisage de relancer la politique d'acquisition, en plus de celle réalisée chaque année par les entreprises du Club des partenaires (Casino, CIC Lyonnaise de Banque, L'Essor affiches, la chocolaterie Weiss, etc.). Car le musée a un lien particulier avec le mécénat des entreprises locales, en particulier avec le groupe Casino, dont le siège social se trouve à Saint-Étienne. Pendant ses dix premières années, le musée a reçu près de 5,4 millions d'euros de ce leader de la grande distribution. Plus récemment, le montant global du mécénat se situait entre 60 000 et 70 000 euros par an en moyenne.

Une approche historique du design

Aujourd'hui, l'une des priorités reste de faire venir davantage de Stéphanois et de lutter contre l'image élitiste collant à la discipline.

"Après 30 ans, le musée n'a pas encore été adopté, les habitants du territoire ne s'y rendent pas. Comment être source d'attractivité culturelle pour le public de proximité ? À un moment donné, je pense qu'il faut aller vers eux", répond franchement Aurélie Voltz, de retour dans son bureau.

Sur son écran d'ordinateur, les chiffres défilent et révèlent un regain d'intérêt. Après avoir stagné autour de 60 000 visiteurs par an, la fréquentation est en hausse avec 66 543 visiteurs en 2017, contre 56 685 en 2016. Le nombre de visiteurs scolaires et périscolaires s'affiche en hausse de 26 % par rapport à 2016. Pour le moment, l'impact de l'exposition d'Anish Kapoor, dont la notoriété est très recherchée, ne montre pas une augmentation flagrante du niveau des entrées, malgré une forte couverture médiatique.

Pour Aurélie Voltz, l'une des solutions pour redynamiser le flux de visiteurs est de croiser les publics et ne pas s'adresser seulement aux initiés. "Nous pouvons, par exemple, profiter de la fête du livre à Saint-Étienne pour faire venir les passionnés de littérature au musée, croiser les disciplines en s'associant avec le cinéma Le Méliès ou le théâtre La Comédie", espère-t-elle.

De juin 2018 à janvier 2019, le MAMC et la Cité du design, qui n'a pas d'œuvres en stock, vont d'ailleurs s'associer afin d'exposer une centaine d'objets design à la Cité, autour du thème "L'ornement est un crime". À raison, car le musée possède une collection importante d'environ 2 000 œuvres design. "On vient apporter notre savoir et notre expertise. Nous avons une approche historique du design", rapporte Aurélie Voltz.

Si l'exposition aura lieu hors biennale, ce rapprochement avec la Cité du design est stratégique d'autant plus que la dernière biennale internationale design Saint-Étienne a accueilli près de 230 000 visiteurs en 2017. Autant de passionnés à attirer vers le MAMC lors des prochains événements. Et depuis peu, les billets du musée sont jumelés avec la Cité du design notamment. En plus de prêter ses pièces à d'autres institutions culturelles (environ 500 par an), le MAMC veut les exposer hors les murs, dans la cinquantaine de communes de la métropole. Dès son arrivée, la directrice a d'ailleurs écrit aux maires de ces localités pour leur proposer un partenariat.

"Nous ne sommes pas un musée élitiste", promet-elle.

Ambitions nouvelles

Parmi les autres chantiers, l'institution est en train de prendre un virage numérique très attendu. Le site vient d'être entièrement modernisé, les billets sont désormais accessibles en ligne depuis décembre et des écrans ou tablettes sont à disposition dans les salles. Grâce à une nouvelle application, les visiteurs pourront également découvrir des morceaux de musique en lien avec des périodes artistiques, comme par exemple écouter du Velvet Underground en contemplant une œuvre d'Andy Warhol, artiste lié à l'histoire de ce groupe rock des années 1960. Ce qui semble être classique à l'heure du 2.0 est un grand pas en avant pour cette institution.

Musée d'art contemporain

Pour 2019, Aurélie Voltz a de nouvelles ambitions et souhaite mettre à l'honneur des têtes d'affiche plus cohérentes avec l'histoire de cette institution. "L'artiste Pierre Buraglio, par exemple, aura une rétrospective en 2019. Il a travaillé en parallèle du mouvement Supports/Surfaces, mouvement porté par Bernard Ceysson", rappelle-t-elle. Pour célébrer les 30 ans du musée dans les prochains mois, des artistes enracinés dans la région seront invités comme Jean-Michel Othoniel, connu pour ses œuvres en verre à l'instar du Kiosque des noctambules installé devant le métro Palais Royal à Paris, ou encore l'artiste photographe Valérie Jouve, une enfant de Firminy.

Reste à raviver l'aura du lieu pour attirer des visiteurs internationaux jusqu'à Saint-Étienne.

"Ce qui manque un peu, ce sont les étrangers. Les autres pays ne représentent que 2 % des visiteurs en 2017, poursuit Aurélie Voltz en scrutant ses diagrammes. Je pense qu'on pourrait faire largement mieux, parce qu'on est présent à l'étranger aussi."

Depuis son arrivée, elle s'est attachée à rencontrer des institutions comme Saint-Etienne Tourisme pour renforcer l'attractivité touristique du musée. De ses années passées à Berlin en tant que commissaire indépendante, la nouvelle directrice du MAMC a conservé une envie de tisser des partenariats internationaux. Dans le cadre de son anniversaire, le musée a d'ailleurs exporté une cinquantaine d'œuvres dans trois villes de Chine, à l'initiative de la précédente direction. "Il y a un engouement pour les musées français en Chine, c'est impressionnant", s'exclame-t-elle. À Pékin et Chengdu, près de 470 000 visiteurs ont été recensés en quelques mois à peine. Ces chiffres ont de quoi laisser rêveurs.

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