Mourad Merzouki, créateur de métissage

Chorégraphe des temps modernes, Mourad Merzouki s'emploie à créer des spectacles de danse hip-hop, en mixant les genres et les sensibilités, pour, dit-il, "faire communiquer et connaître les arts", dans le but de les rendre accessible à tous les publics. Homme de dialogue et de défis, le Lyonnais les expérimente et les développe à la fois au Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne qu'il dirige, et à l'espace culturel Albert-Camus de Bron.

Espace culturel Albert-Camus de Bron, dans la banlieue lyonnaise. Troisième semaine de janvier. Dans la salle de spectacle, pivot central du site, alors que le rideau tombe, les spectateurs se lèvent. Les applaudissements nourris se mêlent au plaisir intense qui s'affiche sur les visages comblés de ceux qui ont assisté au spectacle aussi fascinant qu'étonnant qui vient de se dérouler sous leurs yeux. Visiblement, une heure de plaisir, offerte à tous par le chorégraphe et concepteur du spectacle Boxe Boxe Brasil, Mourad Merzouki. Une nouvelle version inédite et détonante aux couleurs du Brésil dont il a repensé l'écriture chorégraphique comme la partition musicale.

Sur scène, les gants sortent de la boîte qui ouvrent le spectacle, avant qu'ils ne soient portés par les danseurs qui les font vivre avec éclat et rudesse. Une œuvre jouée avec la jeune et virevoltante équipe de danseurs constituant sa compagnie Käfig, mais aussi les quatre musiciens du quatuor à cordes Debussy, initialement tourné vers la musique de chambre classique, façon Beethoven et Chostakovitch, jouée sur une scène dénudée, mais aimant aussi sortir des sentiers battus et mêler ses sonorités instrumentales aux mouvements de la danse contemporaine. Un ensemble lyonnais qui correspond à ce qu'entreprend Mourad Merzouki.

Dès lors est née entre les deux formations une entente parfaite et féconde, qui a pris racine en 2010 lorsque le chorégraphe lyonnais invitait le quatuor à partager la scène avec sa troupe, jouant sur les contrastes et les similitudes de la danse, de la boxe et de la musique classique. "Créer, pour moi, c'est bousculer, en particulier la danse hip-hop, née dans la rue. C'est la faire pénétrer dans d'autres milieux, la confronter à d'autres arts et par là, la confirmer, la continuer, la faire vivre et évoluer." Sur scène, six jeunes danseurs brésiliens sont aussi de la partie. Avec, à la clé, le succès mondial du spectacle, joué depuis devant 130 000 spectateurs. Une indiscutable réussite. Et un parcours sans faute pour ce jeune Lyonnais qui a su relever « un véritable défi », avoue-t-il dans un sourire.

Curiosité

Tout commence à Lyon, où Mourad Merzouki naît, en 1973, à une époque où s'affirme un nouveau genre musical : le hip-hop et son rythme accompagné de rap et de chant. Originaire des ghettos noirs et latinos de New York, le genre devient vite une culture urbaine dans l'ensemble des États-Unis, puis franchit les mers, trouvant dans l'Hexagone un leader en la personne de Patrick Duteil, dit Sidney, premier animateur de télévision noir en France, qui conçoit et fait vivre la première émission de télévision au monde sur le hip-hop.

Au même moment, le jeune Mourad s'initie aux arts martiaux, devient acrobate dans une école de cirque et découvre, comme la France entière, les émissions de Sidney. Une révélation. Fasciné par la discipline, il entre alors, à l'âge de 15 ans, dans une école associative de hip-hop à Saint-Priest. "Je suis véritablement tombé dedans", se souvient-il. Curieux de nature, il réalise des stages de danse, auprès, entre autres, de Maryse Delente, et se tourne tout naturellement vers le monde de la danse lyonnaise, alors en pleine transformation, pour ne pas dire reformation. En particulier à l'Opéra de Lyon, désormais placé sous la direction quasiment révolutionnaire de Louis Erlo, avec un corps de ballet dirigé audacieusement par le chorégraphe Vittorio Biagi.

Mourad Merzouki

Or, en 1977, cinq chorégraphes lyonnais se sont associés avec l'idée de créer, dans la ville, une salle exclusivement réservée à l'art chorégraphique, ce qui aboutit en juin 1980 à l'inauguration de la première Maison de la danse en France, dans les locaux d'une ancienne salle des fêtes de la Croix-Rousse et dont la direction est confiée à Guy Darmet. Un autre Lyonnais, licencié en droit, diplômé en gestion, formé au marketing mais aussi passionné par le cinéma, le théâtre et la danse. Pari tenu, la Maison de la Danse, lieu unique en France, devient vite l'une des scènes de diffusion et de création chorégraphiques les plus importantes au monde. Succès complété par celui rencontré tout aussi prestement par la Biennale de Danse que Guy Darmet, s'inspirant du célèbre carnaval de Rio, lance en 1996, faisant défiler dans les rues de Lyon des milliers de danseurs amateurs et professionnels.

Le hip-hop étend son territoire d'expression

Aimant faire se rencontrer le populaire et l'exigence, aimant aider et faire découvrir les jeunes générations de créateur, le directeur remarque vite le jeune Mourad qui s'est lancé dans l'aventure, s'attachant à faire dialoguer le hip-hop avec d'autres langages chorégraphiques. En 1989, avec Kader Attou, un autre jeune chorégraphe lyonnais, il crée la compagnie Accrorap et connaît, cinq ans plus tard, son premier succès, avec la présentation de sa création Athina à la Biennale de la danse de Lyon. Un spectacle remarqué par le public et les professionnels, tout comme Käfig, qui voit le jour en 1996 aux Rencontres urbaines de la Villette, à Paris.

Le ton est donné : le hip-hop étend son territoire d'expression. D'autres créations suivent, en particulier le spectacle Käfig, lequel va susciter celui de la compagnie que Mourad Merzouki fonde en 1996 et avec laquelle il expérimente et développe son propre univers artistique. Les succès s'enchaînent, qui amènent le chorégraphe au poste de directeur du Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne en 2009, avec mise en place du festival Kalypso en 2013. "Mais sans couper le lien avec ma ville. Je peux œuvrer en France et dans le monde entier, mais je reste très attaché à Lyon et ses environs. Elle reste la ville qui m'a vu naître."

Jeunesse

D'ailleurs, c'est à Lyon que sa compagnie a fêté ses 20 ans, à la Maison de la danse, à la fin de l'année 2016. Pour l'occasion, Mourad Merzouki, qui assume un rôle de codirection artistique du défilé de la Biennale de la danse au côté de Dominique Hervieu (directrice de la structure), a réuni dans le spectacle chorégraphique Cartes blanches, plusieurs danseurs ayant traversé la vie de la compagnie, de ses débuts à aujourd'hui. "Un lieu de retrouvailles amicales et complices, présente-t-il. Vingt ans dansés par ceux qui ont été témoins et acteurs de cette épopée." Pas moins de huit représentations chaudement réceptionnées et complétées le mois suivant, par la recréation de Boxe Boxe Brasil à Bron.

Mourad Merzouki

Chorégraphe, Mourad Merzouki multiplie aussi les activités et vient de prendre la direction du centre Albert-Camus, sans quitter pour autant Créteil. Un espace qui aime visiblement jouer avec le chiffre six : ouvert en 1986, devenu salle régionale en 2006 et qui a nommé son nouveau directeur en 2016 ! Un lieu dédié à la danse hip-hop, implanté au cœur du quartier Parilly, dont les missions sont d'accueillir des compagnies en résidence, de proposer des ateliers d'initiation ou de perfectionnement à la danse hip-hop et d'organiser chaque année le festival Karavel, lequel constitue un temps fort de rencontres et de découvertes autour de la discipline. Un lieu accordant une part importante à la formation, avec ses deux studios de danse, se voulant une passerelle entre l'art et la culture, entre les artistes, les amateurs et les habitants.

Dans l'optique de donner un second souffle, faire mieux connaître et impulser une nouvelle vie, une nouvelle dynamique au centre Albert-Camus, établissement public en régie autonome personnalisée, financé en grande partie par la ville de Bron. "Je souhaite continuer à toucher tous les publics, à les faire venir, à aller les voir, à aller voir l'autre, à lui parler à ma façon, à créer un contact, à créer du bien." Élargissant ses activités, Mourad Merzouki va donc s'y employer, élaborant sa première saison de spectacles pour l'année 2017-2018.

"Programmer, c'est pour moi accueillir les artistes avec ma sensibilité, faire communiquer et mieux connaître les arts, comme la danse et le théâtre. Donc les artistes, comme les danseurs et les comédiens." Autre défi de taille que l'artiste souhaite relever : celui de sensibiliser les jeunes artistes. "Dans mon domaine, ils sont nombreux. Je veux donc les écouter, les aider, les accompagner, les faire connaître. Ils sont là et n'attendent que cela !"

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