Lausanne, l’or vert

Usines de biogaz ou de capture de CO2, avion et bateau électriques autonomes, c’est au cœur de Lausanne, royaume de l’horlogerie et du chocolat, que sortent des initiatives retentissantes sur la scène mondiale dans le domaine de l’environnement. Dans cette ville suisse s’invente, se dessine et s’opère une grande partie des innovations vertes grâce à un écosystème favorable et une politique de soutien active participant ainsi à la singularité de la cité du bord du Léman.
Race for water.
Race for water. (Crédits : Peter Charaf)

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L'innovation helvétique n'est plus à prouver. Le petit pays eut tôt fait de compenser son absence de matières premières par de multiples revalorisations et un terreau propice aux startups et à la prospérité entrepreneuriale (lire à ce sujet les numéros 131 et 132 d'Acteurs de l'économie-La Tribune), jusqu'à se classer comme le pays le plus innovant au monde.

Déjà compétitive et en avance dans de nombreux secteurs, la Suisse s'illustre de plus en plus sur le plan de l'économie durable et en matière d'"innovation verte". Nombre d'entreprises suisses misent en effet sur les technologies durables qui, avec une forte progression sur l'ensemble du globe, s'annoncent comme la tendance majeure des prochaines décennies. Et Lausanne, plus grande ville du canton de Vaud et terreau fertile aux jeunes startups technologiques, porte haut les couleurs de cette "clean technology", vivier de technologies propres.

En tête de proue figure évidemment le célèbre Solar Impulse, un avion électrique alimenté par énergie solaire qui, l'an dernier, a bouclé un tour du monde sans une goutte de carburant et aucune émission polluante. Imaginé dès 1999 par Bertrand Piccard, rejoint dans son projet fou par André Borschberg, à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), une telle invention ouvre la voie à bien des espoirs. Car pour les deux pilotes, cette performance pionnière n'est que le début.

Bertrand Piccard, co-pilote de Solar impulse.

En créant le Comité international pour les technologies propres, leur objectif est bien de fédérer des centaines d'organisations, entreprises et associations environnementales pour toucher l'opinion publique et politique. Côté développement industriel, le savoir-faire acquis par les équipes de Solar Impulse va pouvoir se décliner, notamment dans la conception de drones solaires stratosphériques capables d'œuvrer comme des satellites spatiaux. Airbus et Facebook suivent déjà de très près les tests des prototypes suisses. Quant à l'aviation, les pionniers à croix blanche assurent qu'avec leurs recherches, d'ici une décennie, des avions électriques embarqueront quelques dizaines de passagers pour des vols courts ou moyen-courriers.

Sensibiliser les populations

C'est dans le même esprit que la fondation Race for Water, sise à Lausanne, vient de lancer pour cinq ans la nouvelle "Odyssée" de son catamaran, dont le système à hydrogène novateur quadruple l'autonomie solaire. Objectif de cette mission née d'un partenariat avec les équipes de la société avant-gardiste Swiss Hydrogen et qui accueillera des scientifiques du monde entier : étudier jour et nuit la pollution des eaux par le plastique, à bord d'un bateau 100 % autonome, équipé de 500 m² de panneaux solaires avec un système d'électrolyse de l'eau de mer. Le président de la fondation, Marco Simeoni, explique que 5 à 10 % de la production mondiale de plastique finissent dans les océans et présage pour 2050 autant de plastique immergé que de poissons. "Nous ne nous battons pas contre le plastique, tempère-t-il, mais plutôt contre sa fin de vie."

Marco Simeoni

Marco Simeoni

Et d'expliquer que la solution pour l'empêcher d'atteindre l'eau serait de mieux le valoriser. En guise d'exemple : une technique qui vise à transformer le plastique en gaz puis en électricité en le chauffant entre 800 et 1 050°C. La technologie est produite par la société franco-suisse Etia et s'apprête à être testée en terre vaudoise, à Gland.

"En traitant 7 500 tonnes de déchets plastique, on produirait de l'électricité pour plus de 3 300 foyers suisses", assène Marco Simeoni.

Le projet global de Race for Water permettra, par la même occasion, de sensibiliser les populations en démontrant que des technologies matures et des énergies renouvelables fiables permettent une réelle transition écologique et affichera ces convictions lors de grands événements comme la Coupe de l'America ou les Jeux Olympiques de Tokyo.

Pallier le "tout électrique"

Ces différentes démarches arrivent à "point nommé", selon Charles-Denis Perrin, actuel président d'une plate-forme de réflexion politique sur l'approvisionnement énergétique et la sortie du nucléaire. "La consommation d'électricité va augmenter", assure cet ancien élu de la ville de Lausanne. Même alarmisme de la part des différents professionnels de l'énergie. En cause ? Le plein essor du "tout électrique", qui tente de garantir la progression du numérique.

Smartphones, voitures, objets connectés, domotique, pompes thermiques, ordinateurs et même montres, les appareils électriques qui doivent se recharger ou rester branchés se révèlent de plus en plus nombreux et gourmands (entre 3 000 et 5 000 kWh par an et par foyer, sans compter l'énergie dite "grise" relative à la fabrication, l'acheminement et l'élimination de ces objets).

"Si le monde entier possédait des tablettes, nous n'aurions pas assez d'électricité pour les recharger", explique avec pragmatisme un électricien. "Et alors que tout un chacun a recours à des services dans le nuage, il ne faut pas oublier que le cloud, c'est avant tout des ordinateurs qui ont besoin d'électricité pour stocker des données et des ressources dans des data centers", poursuit un informaticien.

Force est de constater que ces gigantesques bâtiments qui pullulent pour un numérique galopant s'avèrent être une plaie pour l'environnement, tant la consommation d'énergie est gargantuesque (l'équivalent d'une ville de plusieurs milliers d'habitants). Une énergie transformée en chaleur par ces fermes de serveurs qui nécessite des climatisations encore plus énergivores. Trouver comment valoriser ces déperditions devient donc incontournable pour casser le cercle vicieux.

Dès 2008, en Suisse, IBM a ainsi choisi de réutiliser les 2 800 mégawatts de chaleur annuels pour chauffer une piscine publique. Dans des villes comme Genève ou Gland, cette même chaleur est réutilisée pour chauffer les immeubles voisins, tandis que des certificats imposent l'utilisation d'une énergie verte, d'origine hydraulique. Cette dernière fait d'ailleurs partie des nombreuses énergies renouvelables et des agrocarburants favorisés ou testés en Suisse, à l'image du complexe d'Emosson, près de Chamonix, où plusieurs barrages produisent près de 3,5 millions de kWh/an, pour un débit cumulé de plus de 400 m3/s, et 51 000 l/s.

Ainsi, un seul litre d'eau du lac peut produire de quoi éclairer une lampe de 40 W durant cinq minutes ! Ces prochaines années, aux côtés de technologies innovantes, les énergies solaire, géothermique, éolienne et hydraulique auront donc encore plus... le vent en poupe.

Une démarche politique

Et si de telles avancées prennent place en Suisse, ce n'est pas un hasard. C'est surtout un choix des pouvoirs publics et un engagement de la population. Outre une forte implication en faveur des entreprises, le soutien à la cleantech est particulièrement important, grâce à un écosystème dynamique, des initiatives populaires retentissantes et de nombreuses subventions aux rénovations.

Lausanne propose ainsi un crédit de 700 000 francs (600 000 euros) pour les particuliers qui n'auraient pas obtenu le soutien fédéral à une installation photovoltaïque. Historiquement à majorité rose-verte et longtemps dirigée par l'écologiste Daniel Brélaz, la Ville a même fait un pas de plus en 2009 en approuvant la création d'une société anonyme (SA) pour le développement des énergies renouvelables, en la dotant d'un capital de 30 millions de francs (25 millions d'euros).

Université de Lausanne

Campus de l'EPFL.

Cette nouvelle entité de l'exécutif lausannois vise des investissements de plusieurs dizaines de millions de francs afin de produire d'ici à 2020 au moins 100 GWh/an à partir d'énergies propres.

"Depuis 2014, tout nouveau bâtiment doit couvrir 20 % de ses besoins en électricité par une source de production renouvelable, détaille Denis Rychner, conseiller de la direction générale de l'environnement. Une disposition qui s'ajoute à celle, déjà existante, de produire 30 % de ses besoins en eau chaude sanitaire par une source renouvelable."

Normes et certifications sont donc élevées, alors que la R&D n'est pas en reste, avec le programme "100 millions pour les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique". "Le canton de Vaud encourage et soutient le renouvelable", insiste la conseillère d'État Jacqueline de Quattro. L'État influence même les fournisseurs dans les priorités et orientations. Une réelle stratégie énergétique qui s'est imposée après la catastrophe de Fukushima, et provoque le développement d'un écosystème.

Conjugués aux taux d'imposition attractifs du canton de Vaud (de 0,1 à 0,3 % d'impôt sur le capital par exemple, contre de 1,8 à 2 à Genève), ces choix politiques ont de quoi convaincre les entreprises du secteur. Patrick Barbey, directeur de la plateforme InnoVaud, distingue de son côté d'autres arguments qui expliquent l'attractivité de la région lausannoise :

"Les infrastructures sont riches dans la région avec des incubateurs et des technopôles bien fournis qui sont autant de lieux adaptés à l'agritech et à la cleantech, et à la fois proches des marchés-cibles pour tester au plus près du terrain."

Les aides financières accordées aux entreprises innovantes sélectionnées sont également légion, jusqu'à 100 000 francs (85 000 euros) à fonds perdus par start-up, le remboursement de la moitié d'un dépôt de brevet ou de la sous-traitance d'une partie de l'activité, participation financière à la participation à des salons professionnels, etc. "De quoi grandement soulager la trésorerie des entreprises qui se lancent", souligne le directeur. Même le distributeur d'électricité local joue le jeu en tissant des partenariats avec les jeunes entreprises innovantes.

Des conditions qui nourrissent ainsi un terreau particulièrement fertile, où l'innovation fait progresser la transition énergétique, jusqu'à voir muter progressivement l'approvisionnement.

Alors qu'en France (pays le plus nucléarisé au monde avec 58 réacteurs dans 19 centrales), Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, vient d'annoncer le report de la réduction de la part du nucléaire de 75 à 50 %, celle de Vaud a chuté à... 19 % (35 % au niveau national, moins de 6 % pour Lausanne).

Yverdon, comme Genève et Bâle, déclare même un taux d'achat de 0 % au moment où les Suisses ont approuvé par référendum une loi interdisant la construction de nouvelles centrales, actant la sortie du nucléaire par la fermeture progressive des quatre centrales que compte la Suisse, favorisant les énergies vertes et la réduction de la consommation... quitte à payer plus cher leurs factures d'électricité. Mais les objectifs climatiques seront sans doute difficiles à tenir en raison de l'impact écologique de certaines orientations. "Et ne déplacerions-nous pas innocemment la pollution chez les autres ?", s'interroge un électricien.

Tout n'est pas vert

Parallèlement à l'Union européenne qui met les bouchées doubles en matière de protection de l'environnement, les Suisses n'ont pourtant pas à rougir de leurs poubelles, leur pays étant même hissé dans les premières places par l'OCDE.

Avec des taux de recyclage exemplaires (dans le peloton de tête au niveau mondial avec plus de la moitié de ses déchets recyclés et compostés, un taux plus élevé qu'en France en générant plus de déchets), le système helvétique de gestion et de traitement des déchets fait office de bon élève dans la (re)valorisation des ordures. Pour preuve : la plus grande installation de biogaz inaugurée l'année dernière par Greenwatt dans le canton de Vaud sur un terrain de Nestlé et qui alimentera en électricité un millier de ménages en traitant chaque année 28 000 tonnes de matière organique, fournie par les paysans locaux et... le marc de café des capsules usagées de Nespresso. De même, Zurich a vu s'installer la première usine au monde de capture de CO2. Des déploiements disruptifs pour l'économie en place mais nécessaires.

Car à l'échelle mondiale, la consommation d'énergie devrait bondir de près de 40 % d'ici à 2040 et l'alimentation des bâtiments va devenir insuffisante.

"Le gros point d'interrogation demeure la manière dont nous allons fournir tant d'énergie et qui payera les raccordements spéciaux", note avec beaucoup de scepticisme le gérant d'une entreprise d'électricité suisse.

"Sur le seul sujet des voitures électriques qu'on veut systématiser, à l'instar d'un Paris sans essence à l'horizon 2030, il faut installer un voire deux transformateurs de 3 x 1 500 ampères, soit 1 000 kW, pour un seul immeuble rien que pour les bornes de recharge automobile, soit autant que pour toute la consommation ménagère ! Quant aux éoliennes, l'armée contrôle les sites d'installation en raison du trafic aérien et, pour le photovoltaïque, nous n'aurons pas assez de matière première pour en fabriquer pour tout le monde."

Faire progresser le secteur est donc un enjeu primordial pour l'avenir. Des multiples avancées dans le domaine sont incontournables, quand bien même certaines sont balbutiantes. Et sur ce point, Lausanne se révèle être précurseur.

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