Entretiens Jacques Cartier, la réunion de familles

Trois ans après avoir « tourné la page Bideau » – non sans douleur – et avoir remis à plat la gouvernance du centre Jacques Cartier ainsi que la réorientation des entretiens du même nom vers le monde économique, les relations entre Lyon (plus largement Auvergne-Rhône-Alpes) et Montréal se confirment un peu plus. Si bien que les ambitions communes de coopération pour les deux terres d’accueil n’ont jamais été aussi si fortes. Un lien indéfectible entre les cousins des deux rives de l’Atlantique. Tour d’horizon des points communs entre les deux territoires et de leurs apports mutuels au monde économique, alors que s’ouvrent ce lundi 16 octobre à Québec les 30èmes Entretiens Jacques Cartier et desquels Acteurs de l’économie-La Tribune est partenaire.
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"Aux couleurs de l'été indien". Posant le pied au Québec pour participer aux entretiens du centre Jacques Cartier, qui s'ouvrent ce lundi 16 octobre et se terminent le 18 octobre prochain, les hôtes d'Auvergne-Rhône-Alpes auront sans doute en tête cette chanson de Joe Dassin.

Les tons d'automne y sont magnifiés. Et ces entretiens, les trentièmes pour lesquels Acteurs de l'économie-La Tribune est partenaire, coïncident avec les 375 ans de la fondation de Montréal par Jacques Cartier, navigateur-explorateur. Un anniversaire brillamment célébré, du 23 février au 11 mars dernier, lors du festival en lumière de la capitale québécoise durant lequel Lyon fut mise à l'honneur. L'amitié entre ces deux "second cities" est solide.

"Les relations sont anciennes. Elles se sont davantage officialisées en 1989 par la signature d'un protocole de coopération décentralisée", rappelle Alain Galliano, vice-président aux relations internationales et à l'attractivité à la métropole de Lyon.

"Ce sont deux villes dynamiques qui se ressemblent à bien des égards, non pas architecturalement, mais par l'ambiance et la lumière", décrit Régis Goujet, professeur associé en entrepreneuriat à emlyon business school. Le vol direct Lyon-Montréal, affrété par Air Canada depuis le 6 juin 2016, met les deux villes à la porte l'une de l'autre.

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Solides sont aussi les liens unissant le Québec à la région Rhône-Alpes (désormais Auvergne-Rhône-Alpes), laquelle signa un pacte d'actions avec la délégation générale de la Belle Province à Paris, en 1994.

"Ce sont des liens particuliers et spécifiques. Il s'agit de la région de France avec laquelle nous avons la plus longue histoire de coopération et qui s'inscrit dans "une durée vraiment verticale". Elle associe économie, université, recherche et culture. Et repose sur un socle fort : convergence, valeurs et ambitions communes. Le Québec et Auvergne-Rhône-Alpes sont des entités comparables sur le plan démographique. Le dispositif du centre et des entretiens Jacques Cartier joue ainsi comme un accélérateur", se félicite Line Beauchamp, déléguée générale du Québec en France.

Du côté français, le positivisme est aussi de rigueur. "Nous ne sommes pas là pour renverser la table. Mais pour avancer ensemble avec la Métropole dont les services techniques sont associés à nos réunions préparatoires des entretiens Jacques Cartier, insiste Philippe Meunier, vice-président délégué à l'international auprès de Laurent Wauquiez, président LR du conseil régional. Nous souhaitons que le Québec soit inscrit dans le schéma de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (2017-2021) de la région, comme priorité. Un nouveau schéma de coopération avec le Québec sera présenté à l'assemblée régionale en novembre et signé début 2018."

Legs et crédibilité

Ville et métropole de Lyon, ainsi que région Auvergne-Rhône-Alpes sont parmi la soixantaine de contributeurs, français et québécois, publics et privés, du centre Jacques Cartier (CJC). Recrue de fraîche date, Clermont Auvergne Métropole a adhéré au printemps 2017. De l'autre côté de l'Atlantique figurent évidemment la communauté métropolitaine de Montréal ou encore la ville de Montréal.

Jacques Cartier

Pierre-Marc Johnson.

"Le centre permet de faire le lien entre nous", avise Philippe Meunier. "Il s'agit d'un catalyseur d'évènements", ajoute Alain Galliano. "Les entretiens créent un moment particulier", éclaire quant à lui Frédéric Bove, nommé directeur général de la structure en novembre 2014. Sa mission : "Rendre plus lisible l'action du centre, un outil unique. Dès le départ, il y avait une vraie vision de ce que pouvait être une animation bilatérale accélérant les opportunités. J'ai repris un travail accompli pendant près de trente ans, un legs et une crédibilité."

Il reconnaît l'œuvre de son prédécesseur Alain Bideau, l'historien-démographe qui a fondé le CJC en 1984 avec le soutien de Charles Mérieux. L'universitaire sera définitivement écarté à l'automne 2014 au terme de quatre années houleuses. Ainsi finissent parfois les règnes trop longs.

"Les conférences étaient de haut niveau, pour la plupart. Toutefois certaines s'adressaient à un monde clos d'universitaires, éclaire Pierre-Marc Johnson, président du CJC depuis 2010 et ancien Premier ministre du Québec. A l'époque existait une certaine idéologie réticente à la pertinence économique des colloques. Une réorientation a été décidée pour mettre fin à l'ambiguïté. Elle s'imposait dans un contexte où le digital et les data mettent l'économie en tension.

On se veut une bougie d'allumage pour que se créent des coopérations concrètes en favorisant la création de ponts entre les mondes universitaire, de la recherche et des affaires. Tout ceci se marie et s'enrichit pour renforcer l'attractivité de ces deux territoires."

Khaled Bouabdallah, président de l'Université de Lyon (fédérant 19 universités, grandes écoles et instituts), confirme l'attachement historique de la sphère académique au centre et aux entretiens. Ce dernier cite l'accord stratégique formalisé avec l'université de Sherbrooke, à l'occasion de l'édition 2016 à Lyon, renforçant la collaboration "sur les leviers de l'innovation et de l'entrepreneuriat". Et Line Beauchamp d'énumérer les initiatives interdisciplinaires significatives entre les deux régions :

"C'est avec Auvergne-Rhône-Alpes que nous avons le plus d'échanges d'étudiants. La mobilité concerne 750 à 800 étudiants et représente près de 10 % du total des échanges entre la France et le Québec. Le projet de campus numérique de la région nous intéresse fortement et nous le voyons comme une opportunité pour intensifier les relations entre étudiants, professeurs et jeunes entreprises.

De plus, Michelin a choisi Montréal pour organiser à nouveau en 2018 Movin'on, son sommet mondial de la mobilité durable. Enfin, le ministre québécois de la Santé s'est rendu en France en 2016. Il a rencontré son homologue français, mais la mission s'est poursuivie à Lyon avec les Hospices civils sur la question de l'impact du numérique dans la santé."

 « L'inflexion vers l'économie est un bon créneau », avise le professeur d'économie Khaled Bouabdallah, résultat d'un repositionnement du CJC qui s'est assorti de la mise à plat de la gouvernance ; le centre (une association) est coiffé par deux fondations de part et d'autre de l'Atlantique.

Innovation ouverte

Trois ans après cet aggiornamento, toutes les parties interrogées se montrent satisfaites. "Notre soutien au CJC date de plusieurs années, mais maintenant que le volet économique est plus affirmé nous sommes des membres actifs", témoigne Alain Palisse, référent international au bureau du Medef Auvergne-Rhône-Alpes et président du Medef de l'Ain.

Cette dimension tournée vers l'économie a incité le CIC Lyonnaise de banque à devenir partenaire des entretiens en 2015. "Nos échanges avec le centre se déroulent tout au long de l'année et nous travaillons en bonne entente, ainsi sans participer à la gouvernance", souligne Isabelle Bourgade, directrice générale de la banque. Le Canada est une terre où le CIC International possède un bureau, à Montréal, et CIC Investissement va prochainement s'implanter à Toronto.

Jacques Cartier

les entretiens lors de la 21e édition.

Quant au groupe Siparex, il a annoncé la constitution d'un fonds de capital investissement en association avec les Caisses Desjardins (mouvement coopératif d'épargne). Ce véhicule doté de cent millions d'euros de capitaux sera opérationnel en 2018, selon Benoît Métaix, membre du comité exécutif du groupe.

Pour Keolis, opérateur des transports en commun lyonnais, "l'objectif même des entretiens converge avec les nôtres, l'innovation ouverte et l'émergence de projets communs. Nous sommes concernés par la moitié des thèmes de l'édition 2017", se réjouit Pascal Jacquesson, son directeur général.

Il raconte comment, lors des Entretiens 2016 à Lyon, les responsables de Montréal ont été particulièrement intéressés par la navette autonome Navly (circulant avec le véhicule de la start-up lyonnaise Navya), en test dans le quartier de Confluence, pour l'acheminement des voyageurs sur le premier ou le dernier kilomètre.

"Nous avons été sollicités pour organiser une démonstration au printemps 2017. Aujourd'hui, nous sommes en train de monter un projet conjoint et innovant avec la municipalité régionale des Moulins, dans la banlieue nord de Montréal", savoure-t-il.

Géraldine Martin, directrice de l'entrepreneuriat à la ville de Montréal (qui était de la délégation 2016), dit avoir été enthousiasmée par sa visite du quartier Confluence, espérant que les entreprises de Montréal signent davantage de contrats avec Lyon et réciproquement. "Chacune des villes a des forces complémentaires", énonce-t-elle.

Cette direction de l'entrepreneuriat, Denis Coderre, maire de la ville canadienne, l'a créée en avril 2016. Elle regroupe quelque 25 personnes et fait de l'entrepreneuriat féminin   un des thèmes des rencontres 2016   un de ses axes stratégiques : "Si les femmes étaient aussi nombreuses que les hommes à faire le pas, le nombre des créations d'entreprise progresserait de 33 % au Québec. Un vrai enjeu", analyse Géraldine Martin. En attendant, la communauté féminine de Montréal se mobilise pour accueillir ses homologues de la région partenaire en octobre 2017.

Élargir les publics

L'édition de cette année demeure fidèle à la volonté d'aborder un large éventail de sujets structurés autour de huit grands chapitres(1) placés sous le thème principal de l'intelligence artificielle. Il n'est pas question de toucher à la pluridisciplinarité. Au contraire. C'est ainsi que la finance est entrée dans la ronde.

Pour la première fois, le CJC a innové en lançant un appel à projets.

"Nous avons reçu une quarantaine de propositions, dévoile Amandine Bresselle, responsable administrative et du développement partenarial. Il fallait que les projets soient portés par des partenaires de l'une et de l'autre des régions. Le comité de programmation en a retenu une vingtaine que nous financerons."

Les autres pourront faire l'objet de conférences à l'initiative de leurs promoteurs. Durant cet événement, les startups seront évidemment de la partie. "Elles sont en ébullition et nous voulons contribuer à ce mouvement", s'émerveille Pierre-Marc Johnson. Geolid, expert en publicité et référencement local né en 2008 dans l'incubateur de l'école de management lyonnaise, témoignera sur les pratiques de croissance rapide d'une jeune société lyonnaise. "Nous sommes un bon cas d'école. Nous étions encore étudiants quand nous avons créé Geolid", remarque Gautier Cassagnau, son président.

Gautier Cassagnau

Il sera amené à partager ses méthodes avec Louis-Philippe Maurice, cofondateur de Busbud, entreprise spécialisée dans le domaine du voyage, lors d'une masterclass pilotée par "Immersion entrepreneuriale à l'international".

Ce programme est né, il y a trois ans et demi, d'un partenariat entre emlyon business school et HEC Montréal.

"Lorsque Frédéric Bove, qui dirigeait le pôle recherche de l'école québécoise où il enseigne toujours, a été chargé de mettre sur une nouvelle orbite le CJC, nous en avons profité pour donner le coup d'envoi de ce type de rendez-vous. Cela permettait d'élargir aux étudiants le public des entretiens", raconte Régis Goujet.

Microclimat favorable

Profitant de cet évènement que constituent les entretiens - ils se dérouleront désormais alternativement à Lyon et à Montréal -, plusieurs missions économiques vont avoir lieu. Le moment est jugé opportun puisque le Ceta, traité de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada(2), appliqué provisoirement fin septembre 2017, abolit un certain nombre d'obstacles (tarifs douaniers...).

D'une façon générale, "le microclimat au Québec est très favorable à l'industrie. Aux PME en particulier, relève Jean-Luc Logel, président du cluster Eden (Défense). On peut créer une société en une journée. La R&D est supportée par l'État et la province du Québec à hauteur des deux tiers à condition que le capital soit majoritairement détenu par des actionnaires locaux."

Last but not least, la francophonie est unanimement reconnue comme le ciment de cette coopération multiforme. "Le fait de s'exprimer dans notre langue maternelle crée de la proximité même si nous sommes tous internationaux dans l'âme", acquiesce Jean-Charles Foddis, directeur de l'Agence pour le développement économique de la région lyonnaise (Aderly). "Néanmoins, ce sont des Américains qui parlent français, observe Jean-Luc Logel. C'est business first." Principe de réalité.

(1) Santé/sciences de la vie, énergie et développement durable, mobilité/territoires et smart cities, finances et affaires juridiques, numérique et technologies, entrepreneuriat, enjeux sociaux et économiques, culture/art et performance.

(2) Pierre-Marc Johnson a été le négociateur en chef pour le Québec.

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