Auvergne-Savoies : Tout un fromage

Beaufort et abondance à l’est, cantal et bleu d’Auvergne à l’ouest, pour ne citer qu’eux : l’Auvergne et les Savoies sont depuis toujours des terres fromagères aux caractères bien identifiés. Une douzaine d’appellations d’origine et d’indications géographiques protégées (AOP/IGP) leur assure une place de leader sur le plateau national français, avec un chiffre d'affaires consolidé de 600 millions d'euros. Néanmoins, producteurs et organismes interprofessionnels sont confrontés au plafonnement de leurs ventes et à l'émergence d'une nouvelle concurrence. Leur riposte ? Communiquer.
Des fromages Salers en cours d'affinage dans le Cantal.

D'Ouest en Est, la région Auvergne Rhône-Alpes est riche d'appellations fromagères d'origine protégée (AOP). Avec sept fromages placés parmi les 51 appellations AOP/IGP (Indication géographique protégée) nationales, les deux Savoies occupent une place de choix, en totalisant 15 % de la production fromagère AOP/IGP française avec 33 100 tonnes de fromage produites (dont 4 500 tonnes de fromage fermier) pour un chiffre d'affaires de 305 millions d'euros en 2014.

Au total, la filière AOP et IGP savoyarde comprend 2 000 producteurs, 60 ateliers de transformation collectifs et plus de 340 ateliers de transformation à la ferme ou en alpage, pour 4 600 emplois. « Environ 90 % de la production du beaufort est réalisée par des groupements pastoraux ou des producteurs fermiers », estime Yvon Bochet, président de l'UPB (Union des producteurs du beaufort) et du Syndicat de défense du beaufort.

L'Auvergne en tête

Forte de 9 000 exploitations laitières et de 235 000 vaches (5e rang français), le « grand plateau de fromages » qu'est l'Auvergne, selon le slogan publicitaire lancé dans les années 1980 est, de son côté, devenu leader national pour le fromage de vache à pâte persillée et la deuxième région productrice de fromages à pâte pressée.

En tête des régions productrices de fromages AOP, elle représente, avec 300 millions d'euros de chiffre d'affaires,  22 % de la production nationale. Son territoire, au total, compte cinq AOP : cantal, fourme d'Ambert, saint-nectaire, salers et bleu d'Auvergne.

La force de l'AOP

« L'AOP est le signe officiel de notre origine, reconnaît Philippe Lorrain, président de l'Association des fromages d'Auvergne (AFA). C'est une garantie pour les consommateurs qui sont de plus en plus regardants sur la qualité. Cette production présente l'immense avantage de ne pas être délocalisable. Enfin, c'est une vraie richesse pour les producteurs installés en AOP. Par exemple, nous produisions 1 300 tonnes de fourme d'Ambert en 1972. Aujourd'hui, cela représente 5 200 tonnes. Cette AOP pèse, à elle seule, 300 emplois directs, dans un secteur géographique qui souffre économiquement. Elle permet de maintenir une activité économique et contribue à l'aménagement des territoires ruraux ».

Pour Sébastien Gardette, président de la chambre d'agriculture du Puy-de-Dôme, « l'AOP est un outil de différenciation qui permet aux producteurs de contourner les problèmes liés à la zone de montagne (climat, altitude, cahier des charges, etc.). En échange, l'AOP est une vraie valeur ajoutée qui tire les prix vers le haut et permet d'éviter les écueils que peuvent rencontrer certains producteurs de lait dans d'autres régions ».

Concurrence régionale

À l'est du territoire régional, de la création des premiers syndicats d'expéditeurs de reblochon, en 1935, à la délivrance des premières appellations reconnues, en 1958, au reblochon puis au beaufort, les producteurs ont gardé un lien fort avec le territoire et certaines pratiques, comme l'utilisation des pâturages, d'animaux adaptés au climat, du lait cru pour sa diversité aromatique et d'un affinage long et artisanal. Le beaufort reste l'une des appellations possédant le cahier des charges le plus strict.

« C'était un vrai choix de conserver les vaches de la région, pas forcément les plus productives : cela peut être vu comme une contrainte ou comme un atout pour se différencier des autres », explique Pierre Laurent, dont la coopérative laitière du Beaufortain représente 23 % du tonnage produit sur la zone, avec 132 exploitations.

Une recette qui fait des envieux. Pour Yvon Bochet, la principale concurrence se joue au niveau régional, « avec des ateliers qui utilisent leur surproduction pour faire des produits hors appellation et hors cahier des charges (beaumont, saint-mont ou cœur de Savoie) en essayant de surfer sur l'image du beaufort. L'AOP peut nous aider à nous prémunir, mais n'empêche pas les tentatives de copie avec un autre nom», nuance-t-il.

Chaque année, les fromages de Savoie grignotent quelques parts de marché. (Crédits : Hossel)

Si certains fromages traditionnels (persillé, bleu ou même fromage de Tamié) n'ont pas demandé leur reconnaissance en raison d'un faible volume de production et d'une maîtrise de leur réseau de distribution, la raclette de Savoie serait, à son tour, en cours de reconnaissance auprès de la Commission européenne, après avoir déjà passé le protocole de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao). « Cela confirme la stratégie des fromages de Savoie de vouloir garantir la provenance et une base de valeurs partagées », estime Sébastien Breton, directeur de l'AFTAlp (association des fromages traditionnels des Alpes savoyardes).

Pour l'abondance, l'obtention de l'AOP en 1990 a permis un renouveau :

« C'était un fromage qui était en perte de vitesse et qui risquait de disparaître, avec très peu de producteurs. En dix ans, nous avons doublé notre tonnage, avec 2 800 tonnes fabriquées en 2015 », explique Joël Vindret, responsable administratif du Syndicat interprofessionnel du fromage abondance (SIF).

Grandes surfaces...

Chaque année, les fromages de Savoie grignotent quelques parts de marché. « Les évolutions surviennent surtout dans les pâtes pressées cuites, comme le beaufort ou l'abondance, qui enregistrent chacune + 0,7 % et +3 % à la coupe en grandes et moyennes surfaces (GMS) », estime Sébastien Breton.

Bien que la grande distribution représente encore une part importante de la commercialisation, c'est surtout au rayon de la coupe que les ventes se jouent. « Dans l'abondance, environ deux tiers des ventes se réalisent en grande surface », estime Joël Vindret, du SIF. Mais, rappelle Pierre Laurent, si, dans les années 1990, le beaufort s'est développé grâce à la grande distribution, la généralisation du libre-service et le nombre de références ne lui donnent plus, aujourd'hui, de visibilité.

... ou réseaux de distribution locaux

En parallèle à ces réseaux GMS, certains producteurs, comme ceux du beaufort, n'ont donc pas hésité à développer des boutiques à l'échelle locale et urbaine, comme à Chambéry, Annecy, Grenoble, Lyon ou même Paris, atteignant ainsi jusqu'à 30 % des ventes réalisées.

« Les coopératives de beaufort comptent une cinquantaine de magasins. C'est là où nous sommes les plus performants pour parler de nos produits et où nous les valorisons le mieux, même si les habitudes de consommation en ville sont différentes de celles des vacanciers à la montagne », glisse Yvon Bochet.

« Nous n'en sommes pas là pour l'abondance », nuance Joël  Vindret.

Niches de développement

« Le marché de l'AOP est arrivé à maturité, confirme Jean-Luc Dischamps, patron du groupe éponyme. Il a connu une très forte croissance au cours des 20 dernières années, mais aujourd'hui, il stagne. Certaines AOP se vendent également mieux que d'autres, comme le saint-nectaire qui peut s'exporter plus facilement que le bleu d'Auvergne ou encore le cantal. »

« Aujourd'hui, les niveaux de vente plafonnent, reconnaît Philippe Lorrain. On ne fera pas manger deux fois plus de fromages à ceux qui en achètent déjà ! Il faut trouver des niches de développement potentiel, aller voir à l'extérieur, développer l'export et se faire mieux connaître, y compris dans les autres régions de France ».

Saint-Nectaire

Le saint-nectaire figure parmi les cinq fromages AOP d'Auvergne. (Crédits : Ludovic Combe)

Une analyse que partage Jean-Luc Dischamps. Face aux grands comme Sodiaal et Lactalis (*), sa laiterie familiale, basée à Sayat (Puy-de-Dôme), réalise 80 millions d'euros de chiffre d'affaires et produit 3 300 tonnes de saint-nectaire laitier ou fermier AOP. Au total, 7 000 tonnes de fromages sortent de cette usine, revendues à 85 % à la grande distribution.

Opérations séduction

Pour mieux se faire connaître et trouver des leviers de développement, l'AFA, en charge de la promotion des AOP, a sorti l'artillerie lourde pour faire parler d'elle. Avec un budget annuel de 600 000 euros - financé par l'Europe à hauteur de 50 % -, elle organise des opérations de promotion jusque-là jamais vues. Dégustations gratuites au pied des pistes de ski auvergnates pour toucher la clientèle exogène, opération séduction sur les quais du métro parisien, affichage 4 x 3 sur les murs de la capitale... les idées ne manquent pas pour dépoussiérer l'image parfois vieillissante de la filière. Y compris à travers les réseaux sociaux comme Facebook, où la page de l'association compte désormais 22 000 fans.

La concurrence est cependant rude à travers l'Hexagone, premier pays consommateur de fromages au monde avec près de 1 000 fromages différents, dont 51 AOP/IGP.

« Comme notre tonnage augmente, nous prenons forcément de la place. Mais à qui ? », se demande Joël Vindret.

« Nous sommes sur un marché où la valorisation est assez haute, et où l'on retrouve souvent des prix au-dessus de 20 euros le kilo pour le consommateur. Dans ce contexte, nous n'atteignons pas des croissances de 10 % ou 20 % », analyse Pierre Laurent.

Lire aussi : L'export, source de débouchés pour les fromages AOP ?

Pour se distinguer, la communication est également devenue un levier important pour les fromages savoyards. Chacun y va de son enveloppe, et de manière mutualisée : à l'AFTAlp, trois millions d'euros sont investis chaque année à l'échelle collective pour développer la notoriété de chaque appellation, auxquels s'ajoutent 400 000 euros de communication collective en locale. Au Syndicat de défense du beaufort, ce sont environ 700 000 euros qui sont alloués chaque année, et environ la même somme au niveau des coopératives. « C'est une belle somme pour 5 000 tonnes de fromage produite, glisse Pierre Laurent. Personne n'a de marque en dehors des appellations, ce qui nous permet d'avancer tous dans la même direction plutôt que de favoriser l'individualité de chaque marque. »

Médias sociaux et événementiel

La filière fromagère savoyarde mise pour sa part notamment sur les rencontres avec les touristes à travers des opérations ciblées telles que la Fête des fromages ou la Route des fromages où le public peut découvrir le fonctionnement d'une soixantaine de sites. « Nous nous appuyons sur le pouvoir de communication des montagnes et de valeurs communes telles que la gestion de la biodiversité, les races locales », précise Sébastien Breton.

Le Syndicat de défense du beaufort développe depuis trois ans des opérations, sur les médias sociaux, couplés à de l'événementiel auprès des skieurs en station, comme le Beaufort Tour. « Nous en profitons pour communiquer sur l'ensemble des fromages savoyards afin de nous relier à la région et au tourisme. Car on n'est jamais aussi forts que lorsque nous communiquons chez nous », observe Yvon Bochet.

Bleu d'Auvergne

La carte de la zone AOP du bleu d'Auvergne devrait être réduite de 50 %. (Crédits : Pierre Soissons)

L'abondance, dont le budget communication annuel atteint les 300 000 euros au SIF, a choisi de cibler les périodes des vacances de ski pour communiquer de manière décalée par le biais de l'affichage en ville, ou en offrant des dégustations aux pots d'accueil des offices du tourisme.

Offre concurrentielle

Pour autant, il existe une certaine chasse gardée au sein des territoires :

« Nous n'irions pas en Franche-Comté pour faire la publicité de nos fromages, afin de ne pas brouiller le message », pense Joël Vindret.

La concurrence certes, mais dans un esprit de complémentarité : « Nous ne sommes pas forcément sur les mêmes créneaux et sur les mêmes prix. D'ailleurs, nous mangeons aussi du comté ! », sourit Louis Gachet, du Gaec de Presset, qui s'est joint depuis trois ans à un autre Gaec pour créer le regroupement pastoral de Precol (140 vaches sur 450 hectares).

« Là où nos collègues auvergnats sont très forts, c'est qu'ils sont très présents sur les aires d'autoroute du Massif central. Nous avons encore des choses à faire, notamment pour proposer nos produits à la vente », concède Pierre Laurent, qui se souvient avoir déjà mené des opérations de distribution de fromage aux péages de Tarentaise et de Maurienne, mais qui n'ont pas pu être reconduites.

Carte réduite

Autrefois hégémonique dans sa catégorie, le bleu d'Auvergne, qui jouit d'une notoriété de 80% auprès du grand public selon une enquête réalisée par la filière, se trouve de plus en plus attaqué par d'autres marques de fromage, souvent moins regardantes sur leur cahier des charges. La zone AOP va donc être revue et corrigée pour lui rendre toute sa valeur. « L'AOP bleu d'Auvergne a été créée il y a 50 ans, rappelle Aurélien Vorger, directeur du groupement des pâtes persillées d'Auvergne. À cette époque, on était moins regardants. »

La carte de la zone AOP devrait ainsi être réduite de 50 %. Les discussions avec les producteurs sont toujours en cours, ainsi que l'enquête publique, mais elles devraient aboutir avant la fin de l'année. Une manière d'assurer au bleu une place de choix sur le large plateau fromager régional.

(*) En Auvergne, il existe plusieurs grands groupes et PME de transformation du lait : Sodiaal (Candia), Bongrain, Lactalis, 3A, Fromageries Occitanes, Dischamp, Walchli et Garmy.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.