COP 21 : La ville, une cause commune

Échanges de services basés sur le temps et non l'argent, habitats groupés ou coopératifs, jardins partagés, fablabs citoyens, monnaies locales, boîtes d'échanges d'objets entre voisins, tiers lieux, gestion collective des ressources et de l'énergie, etc. Autant d'initiatives construites et gérées en commun qui connaissent un regain d'intérêts auprès des adeptes d'une autre façon de vivre la ville. À tel point que les communs pourraient bien, à terme, transformer durablement l'espace urbain.

Le Temps des communs, festival francophone des communs auto-organisé et autogéré, accompagné par l'association Vecam, programmait, en octobre, 250 événements dans cinq pays francophones. Après Brest la pionnière, Lyon (et la région Rhône-Alpes) fait partie des villes françaises les plus actives en la matière, dans un pays légèrement en retrait sur la question.

Il faut se tourner vers le nord de l'Europe, la Suisse, l'Espagne (et notamment Barcelone) ou l'Italie, « un pays avec un rapport au territoire différent, où la ville dispose d'un fort impact », souligne Claire Brossaud, sociologue et chercheuse au laboratoire EVS-LAURE (Lyon Architecture Urbanisme Recherche) et membre du comité d'organisation du festival, pour trouver des initiatives avancées et abouties en la matière.

Si la multiplication des initiatives locales démontre un regain d'intérêt, la notion de communs ne date pas d'hier. Ils désignent traditionnellement l'eau, l'air et les ressources naturelles, trouvent leurs fondements dans les sociétés agricoles et rurales, où la gestion des espaces communaux était régie par les droits coutumiers.

« L'émergence des communs est apparue avec les mouvements écologiques et altermondialistes en Amérique Latine, aux États-Unis et en Italie. La crise climatique, l'appropriation des terres et des ressources par quelques individus ont favorisé la propagation du phénomène », explique Christian Laval, sociologue, professeur à l'université Paris Ouest Nanterre et co-auteur, avec le philosophe Pierre Dardot, de nombreux ouvrages, parmi lesquels Commun, Essai sur la révolution au XXIe siècle (Éd. La Découverte, 2014).

Irruption du numérique

« Ces nouvelles pratiques collaboratives, inventives et structurées se sont accélérées avec l'arrivée du numérique », poursuit Christian Laval.

L'avènement de l'ère digitale a donné un nouvel élan aux communs, les acteurs du secteur prônant le format ouvert de la connaissance et le logiciel libre.

« Le bien commun de la connaissance a ainsi donné naissance à Wikipedia », rappelle Claire Brossaud.

Les communs ont donc pris une forme nouvelle : la connaissance, les revues en ligne, les cartes collaboratives. Par concomitance, ils ont engendré de nouveaux espaces sociaux, les communs sociaux, concrétisés par des laboratoires de fabrication ouverts à tous, les « fablabs », des boutiques des sciences, de l'habitat ou des jardins partagés et des tiers lieux, protéiformes, ouverts à tous.

communes

Le festival le Temps des communs à Lyon

Ces pratiques collectives instituées sont le fondement des communs. Elinor Ostrom, prix Nobel d'économie en 2009, théoricienne des biens communs, a démontré comment « les biens communs, surtout les ressources naturelles, peuvent être efficacement gérés par les usagers ».

« Le processus des communs n'existe pas s'il n'y a pas une action de mise en œuvre commune des choses. In fine, peu importe ce que l'on produit, l'essentiel étant la dynamique collective des individus pour le projet », confirme Béatrice Maurines, socioanthropologue et chercheuse au centre Max-Weber de l'université Lyon 2.

De l'idée collective, le processus de gestion se doit lui aussi de rester commun.

« Personne n'est propriétaire de quoi que ce soit. Le projet doit se construite de manière autogérée », ajoute Claire Brossaud.

La ville, terrain de jeu des communs

Si les communs trouvent leur fondement dans la ruralité, « les villes constituent un environnement fertile pour les communs sociaux en raison de la grande diversité et de la densité de leurs habitants », écrit David Bollier, chercheur indépendant américain, dans son livre La renaissance des communs.

Car si le rôle des municipalités, des élus et des administrations est essentiel dans la gestion et le développement d'une ville, les habitants la façonnent et la co-construisent aussi à leur manière.

Dans le quartier de la Guillotière, à Lyon, la galerie Roger-Tator a investi, en 2003, un terrain délaissé pour y créer une œuvre non figée, avec une ligne graphique orange caractéristique, l'îlot d'Amaranthes. L'estimant terminée, la galerie en confie la gestion à Brin d'Guill, association cofondée par Évelyne Bonny et qui œuvre pour les jardins partagés.

la guillotière

L'îlot d'Amaranthes dans le 7è arrondissement de Lyon

Nés d'une envie de verdure dans un quartier en devenir, les jardins ont progressivement envahi les friches délaissées, se déplaçant au gré des constructions. Dans le cadre du projet d'aménagement de la place Mazagran, la structure de l'îlot a été rénovée, les jardins partagés intégrés à l'espace urbain. L'ensemble a été pensé et rénové avec le concours des habitants.

« Nous avons réussi à imposer le jardin par l'accoutumance en invitant le quartier à participer à nos actions. C'est une véritable appropriation du paysage urbain par les habitants », explique Évelyne Bonny.

Désormais, l'îlot est accessible tous les après-midi et chaque fois qu'un jardinier est présent. Ces collectifs qui émergent peuvent donc changer le visage de la ville, « grâce à l'interaction des initiatives privées et de la collectivité », ajoute-t-elle.

Réappropriation de l'espace public

Cette réappropriation physique de l'espace par les habitants modifie, de fait, les pratiques urbaines. Ces collectifs impliquent, à terme, une recomposition économique des territoires, qui commencent à se différencier avec les monnaies locales. Dans leur sillage, une autre façon de consommer.

« Dans la logique des communs, l'alimentation doit être durable et de proximité. L'agriculture en ville influence la politique au sens général et réaménage l'urbanité », estime Béatrice Maurines.

Les communs restructurent aussi socialement la ville, qui devient un espace de débat, voire de délibération.

« Si les jardins partagés sont synonymes de mieux-être, de lutte contre l'exclusion et de création de liens pour certains, ils sont pour d'autres catégories, avec des moyens financiers et culturels, un moyen de réinventer l'usage de la ville en un autre avenir, plus collectif. En cela, les communs sont une critique sous-jacente de la pensée néolibérale », indique Christian Laval.

Ces règles de collaboration animent, à Lausanne, à Bruxelles ou au sein du quartier Vauban de Freiburg, en Allemagne, des écoquartiers entièrement gérés selon cette gouvernance particulière, « une structure économique au format distinct qui formalise les différentes règles », explique Claire Brossaud.

Il faut sortir du simple local à vélo

Autant d'éléments qui affectent physiquement la ville, offrant un nouveau terrain de jeux aux architectes, qui doivent désormais la penser avec les habitants et non plus à leur place.

« Nous devons rendre l'espace libéré aux habitants », estime Yannick Hoffert, architecte à l'Atelier 43 et enseignant titulaire à l'École nationale d'Architecture de Montpellier. Des architectes qui doivent réinventer l'habitat, surtout lorsqu'ils sont sollicités pour inventer les nouveaux espaces communs nécessaires aux ambitions de l'habitat collaboratif.

À Villeurbanne, le Village Vertical - premier immeuble abouti dans la région -, fait référence en la matière. Mais partout dans la région les projets se multiplient, comme dans le quartier Beauvert, à Grenoble, où un immeuble de 12 logements individuels avec espaces communs devrait voir le jour à l'orée 2018. Il s'agit donc de sortir du local à vélo traditionnel pour aller vers des espaces de réunion, des jardins collectifs, des ruches sur le toit ou des chambres d'amis partagées.

village verticale

« Désormais, poursuit Yannick Hoffert, notre dimension de conseils et d'accompagnement sur un projet prend tout son sens. Nous devons, plus que jamais, prendre en compte l'usager et l'habitant dans la construction d'habitat, surtout si elle est portée par un collectif. »

Du local au glocal

Ces communs ne risquent-ils pas néanmoins de demeurer confinés à l'échelle d'un minuscule territoire, voire de glisser vers une forme de repli identitaire ?

« Tout dépend des règles de fonctionnement que le collectif s'impose pour se développer au-delà du local. La victoire de l'équipe municipale de Barcelone, qui s'est constituée sur les règles des communs, peut laisser penser que cela fonctionne », ajoute Christian Laval.

La pression du collectif peut influer sur le territoire et changer le rapport à la ville. « Si les demandes se multiplient, le secteur public est obligé de le prendre en compte », estime Claire Brossaud. Souvent, on vient de loin pour s'inspirer de ces pratiques locales :

« De nombreuses délégations étrangères nous rendent visite et je suis souvent invitée à témoigner de notre expérience », confirme Évelyne Bonny.

« Les organisations paysannes ont bien compris que les circuits courts ne pouvaient fonctionner que dans un mouvement de fond international. Tous s'associent pour créer une dynamique territoriale, de l'Amap lyonnaise au sud du Chili, où les expériences de production ont démontré qu'il n'y avait pas de repli sur soi », explique Béatrice Maurines.

Ces îlots communs implantés au cœur des villes traditionnelles ont permis l'émergence d'une nouvelle façon de gérer l'espace et la ville. Ils ont donné naissance à des assemblées des communs - celles-là mêmes qui ont remporté les élections municipales de Barcelone en mai dernier ou gagné la petite mairie de Saillans (Drôme).

« C'est un véritable retour à la démocratie participative, initiée par les habitants. Un faire autrement qui reconfigure le rapport aux gens », souligne encore Christian Laval.

Le pragmatisme alors l'emporte : le fait de partager un usage ou une expérience rend le citoyen légitime. Il est désormais un acteur de et dans sa ville. À part entière.

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