La ville intelligente s'invente autour du citoyen

Jusqu'ici, la ville répondait à de nouveaux besoins par de nouvelles infrastructures. Face à la croissance démographique et à l'émergence de ces nouveaux besoins, dans un contexte de crise, la ville intelligente émerge et, avec elle, des solutions à de nouveaux défis mettant à profit les technologies numériques.

« What is the city but the people ? » - « Qu'est-ce que la ville sinon ses habitants ? » -, lance le tribun Sicinius, dans le Coriolan de William Shakespeare. Une interrogation plus qu'actuelle à en croire les données démographiques. Si les tendances récentes se maintiennent, la région Rhône-Alpes comptera 7,5 millions d'habitants en 2040, soit 1,4 million de plus qu'en 2007, selon les statistiques publiées par l'Insee. Les aires urbaines devraient voir leur population augmenter dans des proportions variables :  quelque 220 000 habitants supplémentaires dans la Métropole de Lyon, tandis que la métropole grenobloise devrait accueillir environ 42 000 habitants de plus. À l'inverse, la cité stéphanoise devrait voir sa population se stabiliser autour de 390 000 habitants

Faire face à de nouveaux défis

Avec l'accroissement de leur population, les métropoles urbaines font face à de nouveaux défis et se doivent de répondre aux besoins de leurs habitants. Les infrastructures urbaines - mobilités, énergie, déchets, etc. - ont jusqu'alors été construites pour accompagner la croissance de consommation des usagers. Cette évolution présente aujourd'hui des limites sociales, économiques, territoriales et environnementales. Les villes sont confrontées aux augmentations des consommations énergétiques, des coûts et des émissions des gaz à effet de serre.

Or la ville du futur se doit d'être construite en fonction des préoccupations des habitants dans tous les domaines. Qu'il s'agisse d'une forte demande sociale pour une meilleure santé ou du développement des modes de déplacement doux, d'une place plus large accordée à la nature en ville ou de circuits courts pour l'alimentation, d'une plus grande proximité entre les lieux de travail, de loisirs et d'habitation ou encore d'une moindre vulnérabilité aux aléas économiques grâce notamment à la création d'emplois locaux et durables.

Une ville « hyper-connectée »

Le concept de ville intelligente recouvre plusieurs aspirations : une ville plus fluide, plus efficace et donc plus agréable pour sa population. « Du point de vue du citoyen, la notion, demeure encore difficilement intelligible, compréhensible, estime Karine Dognin-Sauze, vice-présidente de la Métropole de Lyon chargée de l'innovation, de la métropole intelligente et du développement numérique. En revanche, cela ne remet pas en cause sa réalité. La ville intelligente s'est d'ores et déjà saisi des nouvelles technologies pour changer les expériences de vie en ville, là où des problèmes se posent, qu'ils relèvent de la mobilité ou de l'efficacité énergétique, par exemple. »

La ville intelligente entend mettre en place des solutions concertées et durables pour diminuer son impact environnemental, repenser les modèles d'accès aux ressources, répondre mieux aux besoins essentiels de ses citoyens et améliorer leur qualité de vie. « Tout ce qui permet de rendre la ville plus efficiente dans son fonctionnement participe de ce caractère intelligent », définit Guillaume Faburel, professeur en urbanisme, aménagement et environnement à l'Institut d'urbanisme de Lyon.

Synergies entre les différentes dimensions

Plusieurs critères concourent à la classification « intelligente » de la ville, parmi lesquels la qualité du réseau télécom (internet, mobile), la gestion des services de la ville (énergie, eau, déchet, transport), plus inattendus, la communication municipale (open data...) et la qualité du cadre de vie (usages des lieux publics...). La nouveauté de la ville intelligente, c'est de ne plus considérer indépendamment ces différentes dimensions, mais, au contraire, de créer des synergies entre elles.

« Plus qu'intelligente, la ville de demain sera d'abord hyper-connectée, juge Jean Viard, sociologue, directeur de recherches CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) : On entre dans une société collaborative, où les individus seront constamment en lien grâce aux outils et aux réseaux numériques. Cette hyper-connexion permanente permettra de structurer et d'optimiser tous les types de flux urbains, qu'il s'agisse de flux d'énergie ou de déplacement. L'aléatoire s'en trouvera par conséquent diminué. »

La ville intelligente est donc celle qui permet à la fois d'optimiser le fonctionnement des infrastructures de la ville. Son développement s'organise autour des besoins de ses habitants, qui ne sont plus considérés comme de simples consommateurs des services mais comme des partenaires et des parties prenantes de sa construction. Cette place nouvelle leur est accordée grâce à la démocratisation des moyens d'information permettant davantage de participation.

Impliquer le citoyen intelligent

Le développement des TIC permet une meilleure gestion urbaine grâce à l'obtention et à l'analyse d'informations clés, de données (fonctionnement des installations de production d'électricité renouvelable, état en temps réel des réseaux de distribution public, surveillance du trafic routier, mesure des niveaux de pollution, etc.). En effet, en assurant une bonne gestion de la multiplicité de données, ces systèmes facilitent la prise de décision aux administrateurs des territoires et permettent ainsi, d'une part, d'améliorer les services existants et, d'autre part, de rendre de nouveaux services à la collectivité (gestion de bornes de recharge de véhicules électriques, éclairage public, etc.) et à ses habitants (réduction des consommations d'énergie et d'eau, traitement des déchets, facilitation des déplacements urbains, sécurité, etc.).

Depuis avril 2013, le CEA-Leti de Grenoble (Laboratoire d'électronique et de technologie de l'information) coordonne le projet ClouT, contraction entre le « Cloud Computing » et « l'Internet of Things » (IoT, Internet des objets). Son objectif :  « Aider les villes à combiner les avantages de ces deux technologies afin de renforcer l'implication du citoyen dans une logique de ville intelligente », précise Levent Gürgen, coordinateur du projet ClouT au CEA-Leti.

 "Le citoyen doit devenir producteur de services"

Le projet ClouT, grâce à une approche centrée sur l'utilisateur, doit permettre aux citoyens de créer leurs propres services et de les partager avec d'autres citoyens. Les applications visées incluent l'amélioration des transports publics, une plus forte implication des citoyens grâce à l'utilisation d'appareils mobiles pour photographier et enregistrer des situations présentant un intérêt pour les administrateurs municipaux (voirie, déchets, par exemple), la gestion de la sécurité et la gestion des urgences.

« L'objectif est de redonner un pouvoir d'influence aux administrés afin qu'ils soient plus impliqués dans le quotidien et la gestion de leur ville, qu'ils en deviennent de véritables acteurs », insiste Levent Gürgen.

Le dispositif prend forme dans plusieurs applications concrètes. Par exemple, une application proposera aux administrés différents modes de transports pour aller d'un point A à un point B, tout en indiquant à l'usager les données relatives à la pollution. En matière de santé, des capteurs reliés à une application enverront des notifications du niveau de pollen et de poussière dans l'air aux personnes allergiques.

« Le citoyen doit devenir producteur de services pour d'autres citoyens, et faire ainsi de la ville intelligente une véritable plate-forme collaborative. Dans cette dimension collaborative, il s'agit de consacrer le rôle du citoyen dans la coproduction de services, aux côtés des acteurs économiques et des collectivités », détaille Émile Hooge, professeur de marketing public et d'innovation territoriale à EMLyon.

Un lieu d'expérimentation

Autre innovation centrée sur le citoyen, sur l'habitant de la ville, le Tubà, inauguré fin novembre dans le quartier de la Part-Dieu, à Lyon. Lieu d'expérimentation pour l'avènement de la ville intelligente, cet espace vise à favoriser les échanges de données urbaines et à tester de nouveaux services numériques pour les usagers. Le Tubà fait cohabiter deux entités dans un seul et même espace de 600 m². D'un côté, le Tubà Mix, un laboratoire urbain collaboratif, qui met à disposition des entreprises les conditions pour innover, développer de nouveaux produits ou services. De l'autre, le Tubà Lab, un espace d'expérimentation, d'échanges et d'animations pour tester de nouveaux produits ou services. Ce dispositif prouve, selon Karine Dognin-Sauze, que :

« la ville intelligente fait d'abord et avant tout référence à l'intelligence collective. Tout l'enjeu est d'embarquer l'usager quel qu'il soit, dans une dimension de production et de contribution à la création de services. Tubà relève de ce principe. Il permet de tester un panel de nouveaux services urbains en impliquant très en amont les utilisateurs ».

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