Alain Bideau et le Centre Jacques Cartier : le divorce

Le divorce entre le Centre Jacques Cartier et son créateur est violent. L'association et les Entretiens éponymes y survivront-ils ? Premiers éléments de réponse le 12 novembre, lors d'une assemblée générale qui s'annonce explosive.
Alain Bideau ne sera bientôt plus délégué général des Entretiens Jacques Cartier.

Le 12 novembre 2014, l'assemblée générale de l'association Centre Jacques Cartier (CJC) mettra fin définitivement au mandat de délégué général d'Alain Bideau. L'emblématique fondateur des Entretiens éponymes (27 éditions de conférences-débats annuelles au Québec et en Rhône-Alpes dévolues à la promotion des échanges scientifiques et inter-universitaires des deux côtés de l'Atlantique) sera ce jour-là officiellement écarté.

Une crise ancienne

La crise couvait depuis plusieurs mois, et l'édition 2014 s'était déroulée du 2 au 10 octobre à Québec sous d'irrespirables auspices. Alain Bideau avait ainsi déclaré :

« Il règne depuis six mois un climat délétère. Mon action est systématiquement dénigrée. D'abord, depuis 2010 par les trois universités lyonnaises qui ne sont plus membres du CJC. Il est ubuesque d'entendre qu'elles veulent décider de la gouvernance d'une institution à laquelle elles n'appartiennent plus. D'autre part, il est choquant d'apprendre qu'un certain nombre de réunions sont organisées en catimini sans que j'y sois convié.

Ces réunions ayant comme seul objectif de « dégager » à la fin de ces Entretiens le délégué général fondateur que je suis. Ce déferlement de calomnies reflète surement jalousie, rancœur, sectarisme... Comment peut-on dire que « les Entretiens sont un évènement exceptionnel, un joyau de la coopération » et considérer que je ne joue aucun rôle dans cette réussite ? Ce parfait oxymore est injuste et ridicule. Heureusement, l'éducation que j'ai reçue m'a appris à ne pas tolérer l'injustice, le sectarisme, la lâcheté et la trahison. Et à rester digne (...) ».

Climat irrespirable

Alain Bideau - qui a refusé de répondre à nos questions - est donc « viré » du bateau qu'il avait construit avec le docteur Charles Mérieux en 1984, fait naviguer sous le capitanat de Raymond Barre, et au gouvernail duquel il avait ensuite placé le Québécois Pierre-Marc Johnson - éphémère Premier Ministre de la Province à l'automne 1985. Les Entretiens Jacques Cartier, ce furent au total 15 000 conférenciers et 55 000 participants mobilisés pour cultiver les nombreuses potentialités d'échanges non seulement universitaires mais également économiques, politiques, et industrielles entre les deux territoires. Une indéniable réussite, que la personnalité particulièrement clivante, duale et contestée d'Alain Bideau mais aussi son mode de fonctionnement autocrate et sa conception suspecte de la gouvernance n'avaient pas manqué d'assombrir. Ses ultimes soutiens, notamment institutionnels, se sont finalement retirés, las d'un climat et de conflits, y compris judiciaires, qui depuis plusieurs années étaient devenus insoutenables.

Plan B

Le 4 octobre dernier, le comité exécutif devait être réuni à Montréal pour débattre des orientations stratégiques pilotées par Alain Bideau depuis le printemps. Ce Plan d'action prévoyait la mise en place d'un dispositif préfigurant le recrutement d'ici au printemps 2015 d'un nouveau délégué général français et d'un délégué général adjoint québécois, Alain Bideau se positionnant pour assurer d'ici là la transition et, au-delà, pour occuper la présidence du conseil d'administration. Selon la « victime », Pierre-Marc Johnson informait la veille l'ensemble des participants de l'annulation de cette réunion, prétextant l'élaboration d'un « Plan B ». Qu'Acteurs de l'économie s'est procuré.

« Modèle à bout de souffle »

Cette « vision renouvelée du CJC », en date du 27 octobre et qui prend acte de la décision d'Alain Bideau de ne pas solliciter de renouvellement de son mandat, appelle à un « aggiornamento » résultant d'un sévère diagnostic. Notamment « un manque de lisibilité et de rationalité de la gouvernance, un modèle d'affaire à bout de souffle, la nécessité de dépersonnaliser la délégation générale ». Son axe cardinal porte d'une part sur la régénération de la mission d'ensemble, de la communication, et en premier lieu de la gouvernance, d'autre part sur une « innovation » jugée fanée. Reste une interrogation : le Centre et les Entretiens Jacques Cartier pourront-ils survivre non seulement au départ précipité de leur géniteur - par ailleurs riche d'un réseau considérable dans la « belle Province » -, mais surtout à la campagne de discrédit voire de démolition que d'aucuns l'imaginent orchestrer dans les prochains mois ?

Gouvernance révisée

Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement, le statut, la notoriété, la reconnaissance de l'infatué Bideau, par ailleurs démographe de bonne réputation, étant indissociables d'une « œuvre » qu'il a créée... et qui l'a créé ? La préparation de l'édition 2015 mais aussi la prochaine composition des différences instances de gouvernance appelée à être rebattue, constitueront à ce titre un premier élément de réponse. Et par exemple, Claudine Schmidt-Lainé, « très proche » d'Alain Bideau et aujourd'hui recteur de l'Académie de Rouen, continuera-t-elle de participer au comité d'orientation stratégique et scientifique et d'occuper la vice-présidence du conseil d'orientation France-Europe - responsabilité figurant sur le site du CJC mais étonnamment retirée de la liste présentée en annexes du projet stratégique d'Alain Bideau ?

Tout ou rien

En filigrane du bouleversement de gouvernance provoqué par l'éviction d'Alain Bideau, l'assise financière et donc la pérennité même du CJC et des Entretiens sont interrogées. La gestion de l'ensemble et notamment les frais de fonctionnement ou des dépenses jugées « personnelles » firent souvent, par le passé, l'objet de vives réprimandes de la part de certains contempteurs. Le bilan 2012 fait apparaître une perte de 43 746 euros qui, ajoutée à celle de l'exercice précédent, annonce des fonds associatifs négatifs pour 49 898 euros. En cause notamment, une inévitable érosion des produits d'exploitation (539 664 euros contre 897 585 euros deux ans plus tôt). Inévitable dans le contexte endogène mais aussi dans un environnement de crise qui raréfie les contributions autant publiques que privées. Et l'inconnue est grande : le départ d'Alain Bideau permettra-t-il de mobiliser davantage de moyens financiers ou au contraire précipitera-t-il l'ensemble dans les abymes ?

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