Veolia : "Nous avons encore l’ambition d’être un partenaire de la régie lyonnaise"

INTERVIEW. Annoncé par le nouvel exécutif EELV pour 2023, le passage en régie publique de la gestion de l’eau à l’échelle du Grand Lyon, qui doit être entériné ce lundi en conseil métropolitain, résonne comme une mauvaise nouvelle pour Veolia. Le méga-contrat lyonnais de 90 millions d’euros par an faisait figure de poids lourd pour la branche Eau du leader français. Cyril Chassagnard, directeur régional de Veolia pour le secteur Centre Est, en détaille les implications à l’échelle du territoire pour La Tribune.
Face à la perte d'un contrat de 90 millions d'euros par an, Cyril Chassagnard se dit notamment prêt à apporter un support juridique, mais aussi technique à la future régie, voulue par Bruno Bernard.
Face à la perte d'un contrat de 90 millions d'euros par an, Cyril Chassagnard se dit notamment "prêt" à apporter un support juridique, mais aussi technique à la future régie, voulue par Bruno Bernard. (Crédits : DR)

La Tribune Auvergne Rhône-Alpes - Votre division Centre Est couvrait jusqu'à présent près de neuf territoires dont le Grand Lyon, qui devait voter ce lundi le passage en régie publique de sa gestion de l'eau, sous l'égide de la nouvelle majorité de gauche, conduite par l'écologiste Bruno Bernard. Que représentait plus précisément ce contrat à l'échelle du groupe ?

CYRIL CHASSAGNARD - Nous avions en effet a mis en place une filiale dédiée à fin d'assurer la gestion du service de l'eau potable à Lyon. Ce dossier représentait tout de même un tiers de notre chiffre d'affaires, et près de 280 salariés sur les 1.400 collaborateurs que compte le groupe à l'échelle régionale.

Nous gérons sinon par exemple les réseaux des villes de Villefranche, Genas, Roanne, ou encore en dehors de notre secteur, de Saint-Chamond, Macôn, ou encore Beaune (Côtes-d'Or). Le contrat avec la métropole lyonnaise date de 2015, mais il avait été négocié dès 2013, conformément aux délais généralement observés dans pour des contrats de cette taille. La première année est généralement passée à négocier les conditions du nouveau contrat, tandis que le nouveau prestataire a ensuite un an pour se mettre en ordre de marche.

Vous aviez obtenu la délégation de service public depuis 2015 avec la Métropole de Lyon, et plus largement depuis 1987 au niveau de l'agglomération de Lyon, qui préfigurait la métropole. La décision actuelle, qui signe une forme de rupture avec l'histoire lyonnaise, peut-elle se lire aussi comme une reprise de terrain progressive de la part des régies publiques, sur le marché de l'eau ?

Lyon est effectivement un lieu emblématique, mais nous observons en France la tendance inverse, à savoir que de plus en plus d'intercommunalités ou de communes passent d'une régie publique à une délégation de service publique (DSP). C'est le cas par exemple de la ville de Rumilly (Haute-Savoie), qui vient de passer avec ses communes alentours à un contrat de DSP.

Car nous réaliserons un métier de plus en plus technique, ou les contraintes réglementaires sont fortes, et où les collectivités préfèrent, en règle générale, s'adjoindre les services d'un prestataire spécialisé. C'est aussi une occasion pour elles de mutualiser les moyens, juridiques, techniques, et d'éviter ainsi de gérer ces problématiques de manière directe.

D'autant plus que ces délégations sont toujours encadrées par un contrat, qui stipule bien que la collectivité continue d'assurer le suivi de la DSP, ainsi que la définition de la stratégie, tandis que le délégataire n'en est que l'exploitant.

Vous attendiez-vous à un tel mouvement, consécutif à la "vague verte" enregistrée par plusieurs communes aux lendemains des élections municipales -dont Lyon est l'illustration, au même titre que d'autres villes en AuRA comme Grenoble, Annecy et plus largement, Chambéry ?

Paris, Grenoble et Nice sont en réalité les principales régies à l'échelle nationale, tandis que Bordeaux et Strasbourg (toutes deux sous gestion écologistes désormais, ndlr), ont plus récemment fait le choix de le faire également. Pour autant, on n'observe pas de phénomène de "vague" à proprement parler.

Même si l'ont voit effectivement que ce sont principalement des exécutifs issus d'Europe Ecologie Les Verts qui ont inscrit ces décisions au sein de leur programme.

Justement, vous avez rencontré récemment l'exécutif de la métropole et notamment Bruno Bernard à ce sujet. Alors que la décision est soumise ce lundi au vote du conseil métropolitain, pensez-vous qu'il existe-t-il encre des marges de manœuvre ?

Notre travail a été reconnu comme de qualité, tandis qu'on nous a précisé que le contrat actuel était à la hauteur des objectifs qui avaient été assignés.

Mais on nous dit aussi que malheureusement, il s'agit d'une question philosophique, car on considère que l'eau est un bien commun, qui ne peut pas être géré de manière privée. Bruno Bernard n'a cependant pas dit qu'il n'avait pas besoin de nous à l'avenir : il connaît nos implantations, notre autre structure locale ainsi que notre niveau d'expertise.

Nous avons encore l'ambition d'être un partenaire de la future régie lyonnaise, en sachant qu'en France, nous gérons proportionnellement plus de contrats passés avec des régies publiques, qu'en délégations de service public. C'est donc aussi dans notre culture, qu'il s'agisse d'apporter un support juridique, mais aussi en matière de recherche sur les micropolluants par exemple, ou de prestations de services, comme de réaliser des études de performance.

Le débat alimenté par la métropole de Lyon s'est notamment centré sur le niveau de marge réalisée par un prestataire externe, comme Veolia. Pourriez-vous nous indiquer de quelle nature est cette marge et que répondez-vous au fait que le Grand Lyon souhaite que cette somme soit redirigée en interne, vers d'autres objectifs ?

Sur la base de notre contrat négocié en 2013, notre niveau de marge était de 4,9 % en moyenne. Et ce niveau n'a pas bougé lorsque nous avons renégocié notre contrat à mi-chemin, il y a quatre ans. Celui-ci comprend également une grande part d'investissement, visant à assurer un meilleur rendement des réseaux notamment, ce qui fait que la première année présente un niveau de marge supérieur à la dernière année du contrat, car les investissements ne sont pas encore entamés.

Mais cette moyenne demeure à 4,9 % sur l'ensemble du contrat. Lorsqu'il faut représenter cette marge, on estime que cela correspond à un montant de cinq euros par an, sur la facture de consommation d'eau d'un ménage de quatre à cinq personnes. Celle-ci est à comparée également avec la mutualisation des moyens qui sera nécessaire demain pour mettre en place la nouvelle régie et ses services, puisqu'elle devra-elle même se structurer pour renforcer ses compétences, disposer de son propre centre d'appels par exemple, etc.

Pour finir, comment envisagez-vous de rebondir après la perte d'un tel contrat de 90 millions d'euros ?

Perdre un tiers de son chiffre d'affaires du jour au lendemain n'est bien entendu pas neutre. Tout notre enjeu sera donc de savoir rebondir d'ici 2023, en espérant que la collectivité fasse, d'ici là, des consultations sur différents sujets afin que nous puissions y apporter notre expertise et nos emplois locaux. À nous de trouver de nouvelles formes de prestations et de partenariats.

D'ores et déjà qu'il existe un certain nombre de sujets sur la transformation écologique, dans lequel notre entreprise peut être attendue par les citoyens et les politiques, en vue d'apporter des solutions, de rechercher et d'innover.

Environ 280 salariés jusqu'ici affectés au contrat du Grand Lyon : pourraient-ils être transférés directement à la nouvelle régie ? Et qu'en sera-t-il de votre effectif global présent sur la région AuRA : pourrait-il être impacté à moyen terme ?

Les 280 collaborateurs de ce dossier sont clairement identifiés et pourraient être transférés automatiquement, si le Grand Lyon décide de conserver le même périmètre que ce qui existe aujourd'hui. A ma connaissance, celui-ci n'est pas encore défini, de même que ce qui pourrait être fait en interne ou à l'externe...

Nous pouvons en ce sens proposer des prestations efficaces et utiles, et ce sera le sens de notre démarche, afin de pouvoir conserver plus globalement nos collaborateurs. Nous avons deux ans pour nous préparer. Je ne pars pas encore dans la perspective de devoir mener une réorganisation en 2023...

Outre son importance économique, le contrat Lyonnais occupait-il une autre symbolique au sein de votre groupe ?

Il s'agissait bien entendu de l'un des plus contrats les plus importants, enregistrés par le groupe au niveau français. Il incarnait aussi une vitrine, dans laquelle nous avions particulièrement investi pour déployer de nouveaux équipements, plus performants.

Sans oublier que cela nous avait conduit à avoir un fort maillage territorial sur la région, avec l'implantation de notre direction générale dans la région lyonnaise, mais également d'un centre d'appels à l'échelle nationale mais basé à Jonage, ainsi que d'un service comptabilité dédié au marché national et d'un accélérateur de startups dédié à l'économie sociale et solidaire.

On nous assimile souvent à un groupe international alors que dans la pratique, nous fonctionnons plutôt comme un ensemble d'entreprises locales, basé sur des emplois non-délocalisables.-

Les industriels pourraient-ils également être une source de diversification à ce stade ?

Ils le sont déjà en partie, puisque certains peuvent faire appel à nous pour gérer leurs cycles de l'eau ainsi que leurs stations d'épurations. Cela a toujours été une voie de développement, mais qui ne peut cependant pas effacer la perte à venir... Il faudrait beaucoup d'industriels sur Lyon pour compenser le contrat de la Métropole !

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Commentaires 6
à écrit le 14/12/2020 à 21:31
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"Nous avons encore l'ambition d'être un partenaire de la régie lyonnaise" ... en la rachetant, bien sûr !

à écrit le 14/12/2020 à 18:36
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Le service de l'eau ne devrait jamais être confié au privé. S'il est un domaine où le "quoi qu'il en coûte" devrait être appliqué, c'est bien celui ci. "Quoi qu'il en coûte", ce service ( tout comme celui de l'électricité, des autoroutes... ) devrai...

le 14/12/2020 à 21:30
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Là, vous êtes dur avec Macron ... vous allez lui provoquer un AVC doublé d'un arrêt cardiaque 😁

le 15/12/2020 à 0:15
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@Panoramix Loin de moi l'idée d'en vouloir à la santé des gens, surtout en cette période de Covid19. Cependant, cette idée que le privé ferait mieux que le public en stigmatisant au passage les agents publics pour justifier le passage au privé est ...

le 15/12/2020 à 2:10
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Si on se réfère à la reprise du RhônExpress (liaison Lyon Part-Dieu/Aéroport St Exupery), la suppression de la concession privée a coûté à la collectivité plusieurs dizaines de millions d'euros... et n'a pas fait baisser le tarifs pour les usagers la...

le 15/12/2020 à 6:22
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Réponse à Valbel89 : je suis entièrement d'accord avec vous.

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