Forum Santé Innovation [2/3] : les enjeux de la course au vaccin contre la Covid-19

[Dossier 2/3] Alors que la course au vaccin bat son plein, la pandémie de coronavirus a éclipsé d’autres problèmes de santé publique comme la grippe, la rougeole ou encore le sepsis. Comment concilier les impératifs sanitaires avec les contraintes économiques et gérer la pandémie sans toutefois négliger les autres maladies ? Autant de questions soulevées lors de la seconde table ronde du Forum Santé Innovation, organisé par la Tribune le 24 septembre dernier au H7 de Lyon.
Sébastien Cognat (OMS Lyon), Marc Bonneville (Institut Mérieux), ainsi que le Dr Jean Lang
(Sanofi) ont débattu des différentes stratégies de l'approche vaccinale pour lutter contre la Covid-19. Avec la nécessité de ne pas mettre en danger la chaîne des autres vaccins.
Sébastien Cognat (OMS Lyon), Marc Bonneville (Institut Mérieux), ainsi que le Dr Jean Lang (Sanofi) ont débattu des différentes stratégies de l'approche vaccinale pour lutter contre la Covid-19. Avec la nécessité de ne pas mettre en danger la chaîne des autres vaccins. (Crédits : DR)

Privilégier une approche multidisciplinaire dans les enjeux de santé publique, c'est le credo de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) comme l'affirme Sébastien Cognat, chef du bureau de l'OMS à Lyon. Pour lui, "la crise de la Covid-19 a permis une collaboration avec différents secteurs, comme le transport, le tourisme, etc. L'OMS est une plateforme de dialogue qui sait réunir les acteurs gouvernementaux", assure-t-il.

Néanmoins, il estime que pour faire avancer les projets, "il faut que les partenariats publics-privés prennent de l'ampleur". Un avis partagé par Jean Lang, vice-président associé en R&D chez Sanofi, qui réclame notamment une mutualisation des risques pour la production de vaccins : "En 2003-2004, l'isolement a suffi à combattre le Sars-Cov-1 et nous nous sommes retrouvés avec un vaccin qui n'a jamais été utilisé. Pour développer un vaccin contre le Sars-Cov-2, il faut penser de façon holistique, c'est-à-dire au développement du vaccin, à son industrialisation et à son accès. La clé pour cela, c'est le partenariat public-privé", estime-t-il.

Il insiste sur le fait que malgré l'accélération des recherches, il n'y aura pas de compromis sur l'innocuité et l'efficacité des vaccins : "Nous avons signé une charte avec neuf autres développeurs de vaccins. Si les données de sécurité, d'efficacité et de tolérance sont réunies, il y aura un vaccin mis sur le marché", assure-t-il.

Deux approches au vaccin

Néanmoins, alors que le coût du développement d'un vaccin est estimé à près d'un milliard d'euros, Jean Lang estime qu'il faudrait "partager les risques" en échange d'une mise à disposition des doses de vaccin pour la population. Aux Etats-Unis, la Barda (Biomedical Advance Research and Development Authority) est un organisme qui permet de réunir des financements pour ce genre de projet. "En Europe, nous réfléchissons à un organisme de ce type", indique-t-il.

Sanofi Pasteur développe actuellement deux approches de vaccins : une approche protéique avec un adjuvant et une approche disruptive avec le RNA-messager. "Nous avons pris l'engagement de mettre à disposition le vaccin à l'ensemble de la communauté mondiale. Le déploiement du vaccin se fera par les ministres de la santé", promet-il. Avec, dans un premier temps, un déploiement qui sera réalisé auprès du personnel de santé, puis des personnes à risques et enfin sur l'ensemble de la population.

"L'enjeu de l'accès aux vaccins n'est pas que politique ou économique, il est aussi technologique, indique quant à lui Marc Bonneville, directeur général adjoint scientifique de la Fondation Mérieux. Il y a notamment des exigences en terme de chaîne du froid, de logique de production, etc. D'où l'importance d'avoir une diversité de solutions", insiste-t-il.

Table ronde Forum Santé Innovation

Envisager des réponses innovantes

Outre le vaccin, d'autres outils peuvent être utilisés pour lutter contre le virus. "La lutte contre des maladies infectieuses repose sur des moyens de prévention et de lutte : détecter les malades, les isoler, les prendre en charge. Or, en 2020, on a recours à des outils du passé, comme le confinement", déplore Sébastien Cognat.

Selon lui, il faudrait donc réussir à aller au-delà et à envisager des réponses innovantes. "Sur le diagnostic, les enjeux sont majeurs, commente-t-il. Le test rapide apparaît comme un outil supplémentaire qui va compléter la PCR". Alors que l'OMS a fixé un objectif de 500 millions de tests déployés d'ici mi-2021, il ajoute qu'en Afrique, "on a observé un recul de l'épidémie, mais on ne sait pas si elle recule vraiment, ou si c'est faute de tests".

Cette importance des outils de diagnostic dans la lutte contre l'épidémie est également soulignée par Marc Bonneville. Néanmoins, "il n'existe pas de test diagnostique qui soit 100 % spécifique, 100 % sensible et pas cher", tranche-t-il. "Le développement d'un test, c'est un compromis. Tout l'enjeu est de le réaliser sur la bonne personne, au bon endroit, au bon moment".

Biomérieux a développé plusieurs types de tests, mais Marc Bonneville remarque qu'il "n'y a pas une solution qui va répondre à toutes les demandes". Concernant les tests salivaires, il note que "l'avantage est qu'il n'y a pas besoin de personnel spécialisé pour réaliser le prélèvement naso-pharyngé, ce qui peut permettre de désemboliser les laboratoires d'analyse".

Pour Sébastien Cognat, "la préparation aux épidémies doit être l'enjeu du XXIe siècle. Or cela passe aussi par une responsabilité individuelle".

Et Jean Lang de rappeler : "Les maladies émergentes sont souvent des zoonoses qui franchissent la barrière des espèces. Nous sommes en contact avec des coronavirus régulièrement, certains circulent tous les hivers". Pour lui, il faut "mettre autour de la table tous les partenaires pour limiter le risque financier de l'innovation" dans la lutte contre ces maladies émergentes.

Recul de l'accès aux soins

Car la Covid-19 ne doit pas faire oublier les autres enjeux de santé publique. "En février, nous avons commencé à alerter sur l'impact de cette pandémie sur les autres maladies, explique Sébastien Cognat. Une enquête montrait que 80 % des pays notaient des reculs, en terme d'accès aux soins pour les enfants, de vaccination, etc. Nous pouvons facilement perdre 20 ans au niveau de plusieurs enjeux de santé publique", met-il en garde. Il cite par exemple les épidémies de rougeole, qui continuent à être nombreuses, même si certains espoirs demeurent, "comme le fait que l'Afrique a été déclarée polio-free après des décennies de vaccination", nuance-t-il.

Pour Jean Lang, il y a deux enjeux dans la crise du coronavirus : "maintenir la chaîne de distribution des vaccins essentiels, et ne pas mettre en danger les autres vaccins. Il ne faut pas réallouer tout sur le Sars-Cov-2", met-il en garde.

"La problématique de la résistance aux antibiotiques doit également être prise en compte", renchérit Marc Bonneville, qui pointe également l'enjeu de la prise en compte du sepsis, qui a touché 50 millions de personnes et en a tué 11 millions en 2017. "C'est un problème majeur qui embolise les systèmes de soins intensifs. Le développement de médicaments pour lutter contre la Covid-19 pourrait aussi permettre de lutter contre le sepsis", estime-t-il.

Pour les trois intervenants, les mots "humilité", "coopération" et "solidarité" résument l'épidémie que nous connaissons actuellement. "Il y a eu une dynamique de collaboration internationale extraordinaire mais pourtant, on sait encore peu de choses sur ce virus", commente Marc Bonneville. "Il faut beaucoup d'humilité, de concertation pour s'entendre sur des règles consensuelles pour la gestion de cette épidémie", conclut-il.

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