À Annecy, le cinéma d'animation chinois joue son avenir

Écartelée entre censure politique et développement international, l'industrie chinoise du film est à un tournant de son histoire. Le festival international du film d'animation d'Annecy - qui met à l'honneur la Chine lors de cette édition - permet d’appréhender concrètement ces paradoxes. Pour preuve, le polar chinois Have A Nice Day a été interdit de diffusion, ce qui n'empêche pas les protagoniste occidentaux et ceux de l'empire du Milieu d'imaginer les co-productions qui compteront demain.

Pour la toute première fois, la Chine s'est offert deux films et une co-production en compétition du festival du film d'animation d'Annecy. Projeté cette semaine, Big Fish & Begonia est un bijou en 2D plein de poésie et de folklore qui évoque Le Voyage de Chihiro. Have a Nice Day est un polar noir et satirique... déprogrammé il y a deux semaines. Dans les allées du centre Bonlieu, on sait bien que les "pressions officielles" qui l'ont contraint à se retirer émanent des autorités chinoises. "Ces dernières n'aiment pas qu'on parle des problèmes dans les films chinois", reconnaît Marie-Claire Kuo Quiquemelle, spécialiste du cinéma d'animation du pays. Chronique d'une société en pleine mutation obsédée par l'argent, le film du réalisateur Liu Juan était justement loin de s'en priver.

Deuxième marché du cinéma mondial

Mais l'omnipotence des autorités chinoises ne décourage pas tous les acteurs du secteur. Et pour cause, le cinéma de l'empire du Milieu, et notamment celui d'animation, est en pleine structuration. Deuxième marché mondial du cinéma, il pourrait dépasser celui des États-Unis en 2020, selon une étude de l'Unesco."La Chine est en train de s'ouvrir", se réjouit Mickael Marin, délégué général du MIFA.

Pour preuve, dans le grand pavillon rouge et or de 180m2, 50 studios et plus de 130 accrédités chinois échangent en anglais avec professionnels et étudiants. Les membres de la délégation présentent des films et séries animés, qu'ils cherchent à distribuer. D'autres sollicitent des partenaires éventuels afin d'envisager des coproductions. C'est aussi un bon endroit pour trouver de nouvelles compétences. Les studios d'animation BigBigSun et Oriental Dreamworks recrutent des talents français pour des postes de character-designers ou de directeurs artistiques en Chine. Une première. "Avant, certaines délégations ne revenaient pas d'une année à l'autre. Aussi, trop d'invités parlaient uniquement chinois. Là, les échanges se multiplient. Les Chinois qui sont là ont la capacité et l'envie de travailler à l'international".

Le temps de la renaissance

Ce travail réalisé à Annecy avec les protagonistes mondiaux du cinéma d'animation est capital pour l'avenir. Car si l'animation chinoise est en plein essor, elle reste encore largement méconnue en Occident, conséquence d'un long passage à vide. Après l'âge d'or des années 50 à 80, "les studios chinois ont été écrasés par la concurrence du Japon, de la télévision et des États-Unis", explique Marie-Claire Kuo. Face à Zootopie ou Moi Moche et Méchant 2, un temps interdit, ont émergé une ribambelle de films bancals tentant d'émuler ces succès... sans trouver de distributeurs. Ou comme le film Rock Dog, sabordés par des querelles internes.

La renaissance sera notamment incarnée par des succès tels que The Monkey King 2 (2016) puis Big Fish & Begonia, financés par d'énormes campagnes de crowdfunding et produits par des indépendants. Des réussites qui changent la donne. Car suite à leur triomphe en Chine, les voilà catapultés dans les les salles étrangères et les festivals du monde entier, à l'instar de celui d'Annecy. "En cinq ans, les studios d'animations chinois se sont structurés et ont intégré la dimension de marché international", assure Mickael Marin. Car c'est là que se joue l'avenir du modèle chinois.

Coproduction

Pour assurer et pérenniser le succès de leur création, les producteurs  chinois ont compris qu'il fallait multiplier les co-productions avec l'étranger, seules à pouvoir financer des projets aussi ambitieux que La Tortue Rouge ou Ma Vie de Courgette. Co-réalisé avec Oriental Dreamworks, le triomphal Kung Fu Panda 3 avait récolté plus d'argent qu'aux États unis en 2016, doublant de loin les premiers opus accusés de trahir la culture chinoise. Everest troquera donc le panda contre un yéti en 2019. The Ark and the Aardvark, chez Unified Pictures et l'hispano-chinois Dragon Keeper suivront.

Pour les occidents, le marché chinois peut apparaître comme juteux. "Nous avons tout intérêt à travailler avec la Chine", insiste Mickael Marin. "C'est un pays gigantesque avec énormément d'interlocuteurs". Ses 41 000 écrans de cinéma, enrichis chaque jour d'une dizaine supplémentaire*, vont accroître le potentiel des recettes de ce secteur d'activité, dans un contexte où le public est de plus en plus friand des films d'animation.

Pour preuve, le Petit Prince et Ballerina y ont récolté 5 millions de dollars chacun. 68 millions pour Les Minions. Après 108 Rois Démons (2015), coproduction franco-chinoise inédite, les Français n'ont pas réitéré l'expérience. Mais l'aubaine du crédit d'impôt international et celle d'échapper au quota chinois de 34 films extérieurs par an devraient vite relancer la vague de coopérations. TeamTO (Angelo la Débrouille), Superprod et Xilam (Oggy et les Cafards) ont déjà impulsé le mouvement côté séries d'animation. "Pour un long-métrage, il faut partir de pages vierges écrites à plusieurs mains", affirme le délégué général de CITIA. "Ça prend du temps et il faut trouver les bons partenaires. Mais j'espère que naîtront ici les films qu'on verra dans 3 ou 4 ans". "La Chine a des talents, un savoir-faire, une authenticité", renchérit Marie-Claire Kuo. "Ce festival, c'est l'occasion unique de les faire connaître".

*"La Chine construit près de 10 écrans par jour", a déclaré Christopher Dodd, Président-Directeur Général de MPAA en mars 2013

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