L'agriculteur, toujours maître de son exploitation ?

Pour le milieu agricole, les avancées technologiques posséderaient plusieurs avantages, notamment celles d'améliorer les conditions de travail, mais également la productivité. Effets pervers ou positifs, une question devient essentielle : jusqu'à quel point l'agriculteur va-t-il pouvoir conserver la maîtrise de sa ferme face à une industrie toujours plus puissante et intrusive ? Enquête, alors que se déroule jusqu'au 6 mars, le salon international de l'agriculture.

Les avancées technologiques posséderaient plusieurs avantages, notamment celles d'améliorer les conditions de travail de l'agriculteur, comme le tracteur a pu le faire à son arrivée : souplesse, confort, suppression de certaines tâches répétitives, meilleure réactivité, etc.

L'agriculture en avance sur les robots

Parmi les premiers à en avoir fait l'usage : les éleveurs de vaches laitières. Depuis de nombreuses années, tous ou presque utilisent, deux fois par jour, matin et soir, et toute l'année, des robots de traite. Et avec ce système, les conditions se sont améliorées.

« Les robots fonctionnant en permanence, ils permettent ainsi aux éleveurs de prendre un peu plus de temps pour eux, d'alléger leur travail », reconnaît Anne Blondel, responsable technique de Fidocl Conseil Élevage pour la Saône-et-Loire et l'Ain, société de collecte de données en élevage, qui travaille en lien direct avec eux, collectant des données pour des analyses fines sur l'animal ou la qualité du lait. Mais loin l'idée que la machine puisse remplacer l'homme, au contraire : « Cela nécessitera toujours une surveillance humaine et une vigilance permanente, car la technologie n'est pas infaillible », ajoute-t-elle.

Un métier de plus en plus technique

Le métier d'éleveur a donc évolué vers plus de technicité. Aujourd'hui, il reste toujours le principal utilisateur de robot. Un chiffre évoqué par Michel Berducat, ingénieur de recherche et directeur adjoint du laboratoire UR TSCF en charge de l'innovation à l'Irstea de Clermont-Ferrand, montre que sur 5 000 robots vendus dans l'agriculture entre 2012 et 2013, 95 % étaient des robots dédiés à la traite. Reste donc l'autre marché.

Des signaux présentent déjà un développement exponentiel de l'agriculture 3.0, irriguant l'ensemble des filières agricoles. Airinov est l'une de ces start-ups, dont l'aventure a démarré en 2010, ayant fait le pari de drones au service des agriculteurs. Aujourd'hui, la société de 28 personnes travaille avec 5 000 agriculteurs. Elle leur propose un service clé en main dans le but d'obtenir une image aérienne et un diagnostic précis de leurs sols cultivables par exemple, afin, qu'ils puissent ensuite s'adapter aux différentes exigences imposées par l'Union européenne.

Airinov

L'agriculteur ne pilote pas l'engin, mais des opérateurs le font. Il n'est sans doute plus qu'une question de temps avant que chaque exploitation possède le sien.

« Il y a encore cinq ans, ils étaient inconnus. Depuis, les agriculteurs les découvrent, sont curieux, à l'écoute voire audacieux, se réjouit Romain Faroux, fondateur de la société et fils d'agriculteur. La vraie histoire commence ! »

Et l'engouement est là, Airinov enregistre une croissance annuelle de 7 % en moyenne.

Investir, mais pour quel retour ?

Déjà connecté au monde (application météorologique et cours de la Bourse sur smartphone), le rôle de l'agriculteur devrait lui demander une meilleure connaissance et maîtrise des technologies. La machine ne se substituera pas à son expertise, mais l'obligera à s'adapter se conformant alors aux logiques économiques instaurées par l'évolution du secteur - et par l'industrie notamment. Mais cette mutation ne pourra se faire isolément.

Le modèle de l'agriculteur individuel tend à disparaître vers des regroupements, des coopérations pour des raisons de coûts essentiellement.

« L'accès à l'innovation demande de lourds investissements, nous devons donc les mutualiser à plusieurs pour pouvoir continuer à travailler et posséder un parc de matériels optimisé », explique Jean-Yves Collomb, agriculteur dans le Nord-Isère et par ailleurs adhérant à la Coopérative d'utilisation de matériel agricole (Cuma) de Morestel (Isère).

« Nous assistons à une recomposition des forces, souligne François Purseigle, sociologue des mondes agricoles. L'entreprise agricole ne se gère plus désormais comme hier. » Une situation qui génère son lot d'interrogations.

Quelle maîtrise de l'exploitation ?

« Jusqu'à quel point l'agriculteur va-t-il pouvoir conserver la maîtrise de sa ferme ? », demande Daniel Condat, exploitant agricole à Montfermy, un village du Puy-de-Dôme .

« Trop de réglementation, d'administratif, on en oublierait presque les missions premières de l'agriculteur, regrette Paul Rannard, maire de Chêne-en-Semine en Haute-Savoie et président de la coopérative laitière Les Fermiers Savoyards. Et le comble de cette évolution fait qu'ils doivent travailler désormais à plusieurs, investir et se diversifier, pour in fine peiner à vivre décemment. »

Un problème soulevé par l'élu et repris par les acteurs. L'innovation, les réglementations, la conformité coûtent de l'argent, mais sans moyens financiers pour se verser déjà un minimum de salaire ; difficile alors pour l'agriculteur de pouvoir investir dans des outils high-tech.

« Lorsqu'un agriculteur se lance aujourd'hui, il réalise un investissement de 300 000 à un million d'euros, mais pour quel retour à la fin ? », demande Roger Le Guen, sociologue à l'École supérieure d'agriculture d'Angers.

Des effets pervers

Certains ont donc fait le choix de se tourner vers des partenaires industriels afin d'obtenir de meilleures conditions.

« Devant l'augmentation des risques et contraintes sanitaires, financiers, réglementaires, il y en a qui raccrochent, parfois résistent en se différenciant. D'autres acceptent moins de libertés, mais donc moins de contraintes et surtout veulent s'assurer un minimum de revenu », soutient l'enseignant titulaire de la Chaire mutations agricoles.

Mais le risque d'en faire des exécutants à la botte des industriels est réel.

vaches

« C'est le cas en Russie ou dans les pays du Golfe. Les agriculteurs peuvent rester propriétaires de leurs fermes, car les firmes ne cherchent pas à l'être pour des questions de coûts et de risques. Celles-ci les pilotent, à distance, par des centres de matière grise hautement qualifiée qui collectent, contrôlent et évaluent un maximum de données. Ce n'est donc pas pour rien que les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon, NDLR) s'intéressent de près à l'agriculture », ajoute-t-il.

« Voici l'effet pervers des technologies, estime Gilbert Grenier, professeur à Sciences Agro. Lorsque nous observons ces grandes entreprises investir le secteur agricole, dans le big data entre autres, les craintes de voir l'agriculteur ne plus maîtriser son travail sont grandes. À une échelle moindre, c'est déjà le cas, lorsque celui-ci doit répondre à un cahier des charges précis ou se voit imposer des fournisseurs. »

Générateur d'emplois ?

L'agriculture vit un nouvel épisode de son histoire, sans doute l'un des plus importants. Positive ou non, l'évolution du rôle de l'agriculteur vers un nouveau métier est sans doute un moyen aussi d'attirer davantage de jeunes, nés un smartphone dans les mains. Donnant ainsi un côté plus attractif au secteur.

« Notamment pour des jeunes en dehors du cercle agricole, note Christophe David de l'Isara de Lyon. Nous observons une vraie attirance pour le métier. De plus, le niveau de formation augmente et celui des connaissances aussi. »

Grâce aux technologies ? « Il est sans doute plus facile de les motiver si vous apportez la démonstration que le métier bénéficie de conditions plus favorables », estime Anne Blondel. Les technologies : un des remèdes anti-crise ?

 Article initialement publié le 9 octobre 2015

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.