Bernard Rivalta, un parcours en quête de pouvoir

De l'agence Socotec au début des années 1970, où il se familiarise avec les transports, à la direction du puissant Sytral qu'il dirigea jusqu'en 2015, en passant par son engagement à la CFDT et au PS, Bernard Rivalta aura mené de front sa carrière politique et professionnelle. Non sans secousses et ambitions.

IUT génie civil en poche, Bernard Rivalta a une vingtaine d'années lorsqu'il démarre sa carrière. Nous sommes au début des années 1970 et le jeune homme intègre l'agence lyonnaise du bureau de contrôle Socotec. Une période faste durant laquelle la société embauchait intensément. Sa mission : vérifier la bonne conformité des infrastructures. Un poste dans lequel il s'implique entièrement et qui l'amène, au fur et à mesure des missions, à travailler à l'étranger, en mer du Nord, sur une plateforme pétrolière, dans des centrales nucléaires ou au Qatar, pour un stade de football. Bernard Rivalta contrôlait alors ces grandes infrastructures, une fois construites. Des expériences qu'il aimait donner régulièrement en exemple devant ses équipes et ses interlocuteurs, n'hésitant pas à s'enorgueillir de sa qualité d'ingénieur, ce que d'aucuns ne se permettaient alors de remettre en cause.

Technicien ou ingénieur ?

Pourtant, à en croire deux de ses anciens collaborateurs, le grand ingénieur ne serait autre qu'un technicien de contrôle et non un ingénieur de formation comme il l'entend.

« Il n'a jamais été le grand ingénieur qu'il prétend avoir été. Il allait tout bonnement faire son métier de contrôleur technique, se souvient un ancien collègue à la retraite préférant rester anonyme. La fonction d'ingénieur, il l'avait uniquement sur le papier. »

C'était un « ingénieur maison et non un ingénieur de formation », confirme aussi Maurice Vignard, un autre de ses collaborateurs ayant travaillé une dizaine d'années avec lui. Des mots contraires à l'image qu'il a renvoyée toutes ces années. « Il ne savait pas réaliser des calculs ni n'avait la connaissance dans la résistance des matériaux, par exemple », précise l'ingénieur formé à l'Ensais de Strasbourg, devenu depuis l'Insa de Strasbourg.

Engagement à la CFDT et au PS

À l'agence Socotec de Lyon, tout le monde le connaissait. Homme engagé, politiquement à gauche, voire « même très à gauche, avec des idées bien arrêtées »,
Bernard Rivalta était encarté à la CFDT et déjà militant au Parti socialiste.

« Très tôt, nous avons bien vu qu'il avait des ambitions politiques, souligne son ancien collègue. Quelques années plus tard, lorsqu'il est entré à la mairie de Villeurbanne, il aimait bien montrer qu'il avait des relations politiques. »

Il ne cachait pas non plus son goût pour la provocation. Mais c'était un homme « très convivial et passionné », parfois « virulent avec la hiérarchie », mais « toujours sympathique », se souvient Maurice Vignard.

Ses idées affichées, il réussira à les appliquer dès la fin des années 1970, lorsqu'il entre en politique.

Bernard Rivalta

Carrière politique et professionnelle

Bernard Rivalta ne l'a jamais quittée avant ce jour du 4 février, réussissant à saisir chaque opportunité s'offrant à lui. À l'époque, il fait partie de cette nouvelle génération d'élus de gauche, comme Jean-Jack Queyranne (actuel président de la Région Rhône-Alpes) et Jean-Paul Bret (maire de Villeurbanne), avec lesquels il travaillera à ses débuts à Villeurbanne, combatifs et mitterrandistes. « Il arrivait toujours à faire le lien entre les problématiques techniques qu'il connaissait en tant qu'ingénieur et la politique », explique Gilles-Luc Devinaz, son ancien acolyte, aujourd'hui conseiller métropolitain et adjoint à Villeurbanne.

Son entrée en politique, Bernard Rivalta l'effectue en 1977, lorsqu'il rejoint l'équipe de Charles Hernu, alors parachuté maire de Villeurbanne. Deux ans plus tard, il accède au poste de conseiller général du Rhône sur le canton nord de la ville - qu'il conservera jusqu'en 2011 -, et poursuit simultanément son activité professionnelle à la Socotec.

Une situation qui, selon Maurice Vignard, n'était pas pour déplaire au bureau de contrôle, puisqu'il imaginait « un moyen d'influence afin d'obtenir des contrats. D'ailleurs, la Socotec lui fera une fleur en lui laissant quelques mois encore une voiture de fonction », se souvient-il. Le bureau de contrôle travaillera à plusieurs reprises pour le Sytral après que Bernard Rivalta aura été licencié en 2001 de la société afin de devenir président de l'organisme public. Entre Bernard Rivalta et la Socotec, les liens ne seront jamais clairement coupés.

« Élu visionnaire »

Investi sur les dossiers d'urbanisme, d'infrastructures et de transports, Bernard Rivalta déroulera toute sa carrière politique en complémentarité de ces domaines qu'il côtoie dans le privé. À son arrivée à la Ville de Villeurbanne, il occupe la fonction d'adjoint à l'urbanisme avec la principale idée de faire évoluer la cité en une ville dynamique après la chute de l'industrie du textile. Villeurbanne doit retrouver une économie et attirer des entreprises. Bernard Rivalta s'y attèlera. « Il faisait partie de cette nouvelle génération d'élus visionnaires, qui avaient une nouvelle façon de concevoir la ville », se souvient Jean Frébault, ancien directeur de l'agence d'urbanisme de Lyon, de sa création en 1978 à 1988.

À ses côtés, Jean Rigaud (président de l'agence et maire d'Écully), Jacques Moulinier (adjoint à l'urbanisme à la Ville de Lyon), Maurice Charrier (conseiller municipal de Vaulx-en-Velin) ou encore Guy Fischer (adjoint à l'urbanisme à Vénissieux).

Bernard Rivalta

Alain Chaboud, Jacques Moulinier, Jean Rigaud, Bernard Rivalta, Gérard Collomb, Jean Frébault à New York en 1980.

Une équipe de « quadras » attachée à penser la ville de demain, avec pour chacun, un œil sur son territoire. « La décentralisation a été une période fondatrice pour l'agglomération. L'agence a été ainsi à l'origine du schéma directeur « Lyon 2010 » (approuvé en 1992, NDLR) », rappelle, un brin nostalgique, Jean Frebault. Bernard Rivalta, un convaincu de la loi Defferre, dira :

« L'agence était véritablement un nouvel outil créé pour réaliser des projets transversaux, sortant de l'ordinaire. Nous avons une fois de plus servi de modèle à un niveau national, à l'époque de la création de la Fédération nationale des agences d'urbanisme. Nous avons vécu la décentralisation comme une décision fantastique, une libération pour le pays et l'agglomération »

Une époque salvatrice marquante, influençant par la suite chacun de leur parcours professionnel, si bien que l'équipe fondatrice de l'agence avait créé le Club Lyon 2010 et continuait, plusieurs années après, à se revoir deux fois par an autour d'un repas.

 En quête de pouvoir

Visionnaire et donc ambitieux, Bernard Rivalta montre déjà rapidement des signes de pouvoir. Fabusien quant Jean-Paul Bret et Jean-Jack Queyranne sont chevènementistes, les tensions entre les trois hommes sont rapidement visibles. Il s'investit moins dans la fédération du parti, contrairement à ses débuts où il collait des affiches lors d'élections. Les militants doutent de son engagement. Et ils s'en éloignent. « Il pensait à lui avant le PS », reconnaît Manan Atchekzai, dirigeant la société SFIP, militant socialiste. « Il faisait déjà la diva », se souvient un militant. Des années plus tard, son choix de ne pas reverser un pourcentage de ses indemnités à la fédération de Villeurbanne, et ce dès 2001 (l'affaire est sortie en 2009), n'arrangera pas non plus son image auprès d'eux. Frédéric Vermeulin, secrétaire de la fédération PS de Villeurbanne de 2008 à 2014 s'en souvient encore amèrement :

« Personne n'osait dire quoi que ce soit ni les lui réclamer. Alors j'ai décidé de remettre tout à plat, afin que l'ensemble des élus fasse comme tout le monde. Sauf que je me suis retrouvé devant une fin de non-recevoir de la part de Bernard Rivalta qui estimait qu'en faisant de la politique, il avait perdu une partie de ses revenus. »

L'élu refusera de rembourser les quelque 100 000 euros réclamés, et la fédération ne souhaitera pas l'attaquer en justice estimant que « c'était mauvais pour tout le monde ». Alors Frédéric Vermeulin renoncera avec regret et l'affaire sera étouffée.

Scission politique

Mais c'est plutôt avec Charles Hernu que la grande scission politique de sa carrière s'est produite. Devenu ministre de la Défense après l'élection de François Mitterrand en 1981, le maire devient moins présent sur les dossiers villeurbannais. À un poste stratégique pour redorer l'image de la ville, Bernard Rivalta en profite alors pour saisir des opportunités, devenir plus autonome et prendre de l'assurance. Quitte à en prendre un peu trop.

Jusqu'à ce que, cinq ans après sa nomination, Charles Hernu soit contraint de démissionner de son poste à cause de l'affaire du Rainbow Warrior et revienne à Villeurbanne. Mais l'ambiance a changé et l'ambition affichée de Bernard Rivalta et ses prises de position ne passent pas. La confiance entre les deux hommes s'érode au point que Charles Hernu le refusera sur sa liste aux municipales de 1989. Il se dira même que Bernard Rivalta aurait envisagé de devenir maire de la ville voyant Charles Hernu embarrassé par son affaire nationale. Finalement, il doit se contenter de son poste de conseiller général du Rhône. « Si Charles Hernu n'était pas décédé en 1990, je ne suis pas certain qu'il aurait laissé Bernard Rivalta mener la campagne des cantonales de 1993 », indique Gilles-Luc Devinaz.

Bernard Rivalta ne reviendra à la mairie de Villeurbanne qu'en 2001, lorsque Jean-Paul Bret est élu maire, mais dans le rôle de simple conseiller municipal.

Collomb Rivalta

 Le soutien de Gérard Collomb

Une fonction qui lui permettait ainsi de pouvoir prétendre à la présidence du Sytral, avant que ce dernier, sept ans plus tard, le refuse lui aussi sur sa liste aux élections municipales. Grâce à son ami Gérard Collomb, Bernard Rivalta rebondira in fine à Vénissieux. La relation entre les deux hommes alimente depuis longtemps les rumeurs et interroge le milieu lyonnais. Qu'est-ce qui les lie ? « Le travail et le savoir-faire de Bernard Rivalta », répondent en cœur ses amis. D'autres y voient plutôt des « renvois d'ascenseur » qui remonteraient à leur début en politique. Gérard Collomb ne donnera pas suite à notre sollicitation d'interview, mais Bernard Rivalta se chargera de répondre à sa place :

« Nous sommes liés par 40 ans de vie politique ni plus ni moins. Avec ses coups et ses succès, cela forge une amitié. Nous avons donc un lien sans commune mesure par rapport aux autres. »

Malgré cette proximité, Gérard Collomb n'aura pas réussi à sauver politiquement Bernard Rivalta. Les évènements de Vénissieux l'auront déchu de ses titres de conseiller municipal et communautaire, mais surtout de la présidence du Sytral. Pourrait-il l'aider à revenir ? La question reste entière.

>> Lire l'intégralité de notre enquête :

Bernard Rivalta, le crépuscule d'un Dieu (1/3)

Bernard Rivalta, un parcours en quête de pouvoir (2/3)

Bernard Rivalta, un homme compétent au caractère critiqué (3/3)

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