« Une victoire de DSK nuirait à mon intérêt de maire »

Entretien avec Gérard Collomb.

Depuis quelques mois, et votre livre constitue un nouveau levier, vous êtes engagé dans une ambition nationale. Avez-vous mesuré les apports mais aussi les dangers qu'une telle stratégie projette sur votre exercice local ?

 

Mes prises de position au niveau national n'auront pas d'influence sur mon implantation locale. La raison est simple : elles prennent appui sur la stratégie, je crois plutôt réussie, que j'ai appliquée à Lyon.


En votre qualité de sénateur, vous êtes membre de la Commission des lois, et de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Sur les PV relatifs aux comptes-rendus desdites instances qui se sont tenues depuis le début de l'année, votre nom n'apparaît pas. Témoignant là de votre faible assiduité. N'est-ce pas la preuve qu'un double engagement national et local n'est pas « tenable » ? L'accomplissement d'une possible mission ministérielle future n'exige-t-elle pas préalablement une présence régulière au Sénat ?

 

Je n'ai effectivement pas la prétention d'être le plus assidu des sénateurs. En revanche, je m'engage pleinement lorsque sont débattus des enjeux aussi essentiels pour l'avenir du pays que la réforme des collectivités territoriales. À cette occasion, aux côtés du président de l'Association des maires de France, Jacques Pélissard, j'ai exercé un rôle décisif pour que l'institution entérine la création des pôles métropolitains si déterminants pour le développement des villes.


C'est principalement une divergence de fond sur cette double stratégie qui a provoqué le départ en 2010 de votre directeur de cabinet Jean-François Lanneluc. Depuis trois ans, plusieurs mouvements de fonds ont marqué votre entourage : outre celui du désormais directeur général adjoint de la Ville et de l'agglomération strasbourgeoises, les départs de Christophe Cizeron, de Sylvain Auvray, de Benoît Quignon, de Jean-Yves Latournerie… Cette instabilité dans la gouvernance n'est-elle pas inquiétante ? Que traduit-elle de votre comportement de « patron » ?

 

 À quoi la plupart de ces départs répondent-ils ? Pour certains, comme Sylvain Auvray, à un vœu strictement personnel - en l'occurrence de s'installer dans la région Sud-ouest -. D'autres, comme Alexis Perret (chez Nexity) ou Christophe Cizeron (chez GL Events), se sont saisis de leur trajectoire au Grand Lyon pour franchir un palier professionnel. Je ne pouvais pas les retenir. Ces phénomènes sont naturels. La confiance absolue et la performance constitue les deux exigences clés que j'impose à mes collaborateurs.



Il existe un malaise dans vos entourages passé et actuel, qui dépasse les seuls Étienne Tête et Nathalie Perrin. Il vous est reproché un fonctionnement excessivement directif, voire autocrate, et la mise à l'écart de contre-pouvoirs qui jusqu'alors vous préservaient d'un risque autiste. Mgr Barbarin lui-même, dans un entretien accordé au Progrès le 4 octobre 2010, s'adressait à vous, métaphorisant un dialogue du film « Des hommes et des Dieux » : « Tu n'as pas été élu pour décider seul ». Reconnaissez-vous des défaillances dans votre gouvernance ? Est-ce finalement consubstantiel à l'exercice entrepreneurial et décisionnel qui le caractérise ?


Tout d'abord, je crois que le Cardinal Barbarin a regretté ces propos - affirmation à laquelle la direction de l'Archevêché ne souscrit pas, NDLR -. Cela étant, diriger une grande ville comme Lyon signifie être systématiquement le dernier et seul responsable. Bien sûr, et je m'y applique contrairement à quelques allégations, il faut écouter les avis de chacun. Mais après il faut décider. Et c'est ma responsabilité. Or aucune décision ne peut faire l'unanimité, chacune d'entre elles résulte d'un arbitrage qui peut mécontenter. Mon devoir est de jauger les risques, puis d'écouter mon intime conviction pour trancher. Trente-cinq années de vie publique me l'ont appris : se reposer sur autrui ou emprunter une voie à laquelle on ne croit pas en son for intérieur débouchent sur de mauvaises décisions.


Concédez-vous que cette pratique de gouvernance peut avoir pour répercussions d'éteindre autour de vous les vocations, les engagements, la dynamique de renouvellement des idées, la régénération des ressources sans lesquels établir un plan visionnaire de l'agglomération et préparer le troisième mandat deviendront compliqué ? Sans une ossature solide, comment pouvez-vous assurer de mener à bien les dossiers lyonnais en étant ainsi accaparé par votre ambition nationale ?

 

Contrairement aux rumeurs, mes adjoints exercent des délégations absolument pleines et entières, dans une liberté simplement cadrée par la stratégie politique que j'ai édictée. Je n'interviens dans leurs compétences qu'en cas de défaillance ou de dysfonctionnement. Je n'évolue pas dans un système auto centré. Chaque jour je repère des profils, des personnalités, qui peuvent venir enrichir nos équipes. Je réfléchis déjà à un renouvellement qui se posera inévitablement.


Y compris pour bâtir une stratégie, une vision « autre » de l'agglomération ?

 

La stratégie est en place. Seuls les moments de son application diffèrent. À mon arrivée en 2001, que n'ai-je pas entendu sur l'édification de la Salle 3000, le développement de la Cité internationale, ou la création du quartier Confluence ! Nous sommes partis d'une feuille presque vierge, et avons déployé dans la ville une dynamique qui a porté ses fruits. L'enjeu est désormais de faire rebondir cette dynamique vers l'arc centre-est de l'agglomération (de Vaulx-en-Velin à Saint-Fons) et sur le périmètre du pôle métropolitain. Ce dernier, échelon supplémentaire de l'intercommunalité, est clé. Rassemblant aujourd'hui le Grand Lyon, la Communauté d'agglomération des pays isérois, Saint-Étienne métropole, et la Communauté de communes d'agglomération de Vienne - en attendant, je l'espère, que la Communauté de communes de l'Est lyonnais qui abrite l'aéroport Saint-Exupéry s'y rallie -, il adopte une architecture polycentrique, grâce à laquelle la mise en synergie des quatre territoires impliqués respecte scrupuleusement l'identité, la personnalité, les singularités de chacun d'entre eux. C'est sa souplesse qui garantira au dispositif son efficacité. Michel Delebarre en a fait la démonstration dans son fief de Dunkerque. Le pôle métropolitain s'articulera autour de trois grandes compétences : planification urbaine - éviter les phénomènes parisiens d'étalement urbain et de développement en « tâche d'huile », concentrer les efforts autour des lignes de transport en commun existantes ou futures - ; constitution d'une autorité métropolitaine des transports - dont la gouvernance doit se faire autour de la métropole et de la région, puis s'ils le souhaitent, des départements - ; convergence des forces universitaires, de recherche, et des pôles de compétitivité.


Le retour de Benoît Quignon à la direction générale des services du Grand Lyon, au début de l'année, a surpris, tant son départ semblait irréversible. Elle a toutefois moins étonné que le propre recrutement de Jean-Yves Latournerie, au profil préfectoral incompatible avec le vôtre. Qu'avez-vous promis à Benoît Quignon pour le convaincre de revenir ? La fusion des directions générales des services de la Ville et de l'Agglomération ?
À moyen terme, il apparaît inéluctable de rapprocher les deux collectivités. Ce que d'ailleurs la complémentarité de leurs actions démontre déjà aujourd'hui. Le « carburant » nécessaire au développement de l'agglomération est de plus en plus situé au Grand Lyon. Là réside l'essentiel des moyens nécessaires à l'accomplissement de quelques-uns des chantiers majeurs (Part-Dieu, grand arc du sud-est, pôle métropolitain) qui ont convaincu Benoît Quignon de revenir.

 

C'est sur cet arc centre-est que doit être érigé le Stade des lumières. Lequel pourrait constituer le fardeau de votre deuxième mandat. Vous préparez-vous à cette hypothèse ?
Non. Chaque projet d'une telle envergure connaît des débuts difficiles. Quinze jours avant son inauguration, mon ex-rival Dominique Perben condamnait l'aménagement des Berges du Rhône… dont le succès populaire ne s'est pas démenti depuis. Autre exemple : j'attaque actuellement un projet sur le tronçon ouest du périphérique, auquel la même alliance de corporatismes conservateurs locaux affiliés à l'UMP ou aux Verts et opposé au Stade des lumières, tentera de faire face. Or il faut entreprendre. C'est vital. Je n'agis pas dans la perspective de ma réélection, mais parce que je crois à l'utilité, pour l'agglomération, de ces décisions.


Mais votre sens de la responsabilité entrepreneuriale peut-il s'accommoder d'un projet économique dont le business model est extraordinairement fragile - l'endettement abyssal de la plupart des clubs de football européens, la nature commerciale du projet, la dépendance des recettes aux droits TV et aux résultats sportifs dont découlent les produits dérivés... - ? Le rapport que le think tank Terra Nova, qui partage avec vous une même proximité avec Dominique Strauss-Kahn, vient de publier sur le sujet est d'ailleurs effrayant...

 

Le modèle économique de l'OL ne peut à ce jour être solide, puisqu'il s'appuie presque uniquement sur le nombre, insuffisant, de spectateurs au stade de Gerland, et sur un faible merchandising. Chaque fois qu'un spectateur veut consommer, il doit sortir de l'enceinte... C'est seulement par la construction du Grand Stade, incluant restaurants, bars, hôtels, salles de séminaires, centre de congrès, qu'il sera possible de développer l'attractivité nécessaire à la viabilité pérenne du modèle économique du club.


Lequel demeure tout de même conditionné aux résultats sportifs. Or, qu'y a-t-il de plus aléatoire que le comportement sportif ? Sa mise en perspective avec l'envergure des investissements publics apparaît à beaucoup vertigineuse...

 

D'autres modèles économiques, tout aussi fragiles parce qu'ils étaient liés à un talent, à une personnalité, à une singularité entrepreneuriale, ont fait la preuve de leur performance. Qui aurait parié sur Apple lorsque Steve Jobs l'a créé ?


En quoi est-il socialiste et moralement acceptable de défendre un tel projet (et d'y investir autant en deniers publics) dont la finalité est, faut-il le rappeler, de rémunérer une vingtaine de joueurs de football l'équivalent de 500 médecins, de 1000 chercheurs, ou de 2000 infirmières - argument auquel le président du conseil d'administration des HCL ne peut être insensible - ? Les priorités ou urgences en matières sociale, économique, infrastructurelle, de logements, n'exigent-t-elles pas du Grand Lyon un autre arbitrage ?

 

À l'instar de Michel Platini, on peut penser que les rémunérations dans le football européen sont trop élevées. Pourquoi ne pas envisager, comme c'est le cas en NBA aux États-Unis, un « salary cap », c'est-à-dire un plafonnement de la masse salariale par club ? Cela permettrait de rebattre les cartes, de placer des clubs sur un même plan, et de régénérer le suspense. Réfléchir à des réformes du modèle sportif européen est donc utile. À l'inverse, décider de ne pas investir du tout dans le sport au motif des coûts salariaux n'a pas de sens. Le sport est un spectacle. Or tout spectacle coûte cher. L'opéra comme le football.


Lorsque la région Rhône-Alpes aura emménagé et que les grands chantiers seront achevés, c'est à un engorgement redouté des déplacements que se prépare le quartier Confluence. N'est-ce pas incohérent avec les préoccupations environnementales que vous placez en priorité des enjeux des villes ?

 

Pour l'heure, on ne peut pas préjuger de la future circulation dans le quartier. Il est dit qu'on ne peut pas s'y garer - il est vrai que la proximité de la gare de Perrache et la gratuité des places de stationnement conduisent aujourd'hui à la longue immobilisation des véhicules. Mais, c'est provisoire, et par exemple le parking de 1600 places n'est pas encore livré. Tant que les chantiers ne seront pas finis, il sera impossible d'estimer la situation. L'extension du tramway vers Gerland permettra de quadriller « l'épine dorsale » de l'agglomération jusqu'à Oullins, au quartier des hôpitaux, à Villeurbanne, et à la Part-Dieu. Enfin, le quartier Confluence sera équipé de parkings, sur les quais afin de limiter volontairement la circulation des voitures en son sein. À pied, à vélo, ou en tramway : les artères centrales seront très accessibles.


Votre projet pour le redimensionnement du quartier de la Part-Dieu est jugé par d'aucuns déraisonnable ou irréaliste...

 

Où situe-t-on l'origine de la réflexion ? Sur le problème de la gare : engorgée, elle sature aujourd'hui l'ensemble du réseau français des TGV, et pose un lourd problème au moment où les rames en provenance de l'Espagne ou de l'Allemagne devront la traverser. Le président de la SNCF en est très préoccupé...


... Mais pourquoi ne lui objectez-vous pas que la gare Saint-Exupéry, qu'il a fait le choix d'abandonner pour ne pas servir les intérêts d'Air France et plus globalement de l'aéroport, constituerait une alternative ?

 

L'éclatement géographique des gares n'est jamais opportun pour l'économie d'une agglomération. La concentration sur un même lieu des correspondances est essentielle à la fluidité des échanges, y compris économiques. Par ailleurs, au-delà de la problématique ferroviaire, la Part-Dieu souffre d'un manque de mètres carrés consacrés au tertiaire. Si l'on n'est pas capable de répondre aux besoins des entreprises qui sollicitent à coup de 4000 m², elles prospectent ailleurs. D'autre part, ce quartier, morcelé par quelques grandes artères, n'est que de transition. On n'y séjourne pas. L'enjeu est de donner aux particuliers le goût d'y emménager. Mieux... d'y vivre.



La maquette que vous avez récemment présentée à Cannes, lors du salon Mipim, exposait quatre grandes tours. Est-ce réaliste quand la seule Incity est en pleine commercialisation ?

 

Cette maquette traduit une vision à long terme et une logique anticipatrice. Deux conditions clés pour assurer au développement d'un quartier l'homogénéité et la cohérence plutôt que le déséquilibre et les dysfonctionnements. A l'alternative d'un éclatement géographique, elle privilégie la concentration sur la Part-Dieu. Le cap des 50 à 60 % d'occupation est en voie d'être atteint à la tour Incity. Sur le versant sud-est du quartier, là où le Conseil général du Rhône va établir le site d'accueil des Archives départementales, deux grands projets vont se développer dès cette année. Plus près de la gare, à l'emplacement où sont érigées les enseignes Athena et Novotel, nous souhaitons l'implantation d'un ambitieux projet hôtelier, haut de gamme, qui participera à combler notre retard dans le domaine, préjudiciable à la dynamique événementielle lyonnaise ; les groupes Intercontinental et Accor sont intéressés. Enfin, pourquoi devrait-on freiner la volonté de Swiss Life de projeter la construction d'une tour « en blanc » ?


Le quartier Grôlée, que vous destiniez à concentrer des enseignes de luxe, est devenu fantôme depuis qu'il a été cédé en bloc au fond de pension américain Cargill puis, pour partie, aux Docks Lyonnais. La seule enseigne de ce type, Zilli, menace même de ne pas poursuivre au-delà de son bail actuel. Dans ce contexte, n'est-il pas illogique d'avoir opté pour une transformation de l'Hôtel-Dieu, adjacent audit quartier Grôlée, en lieu de consumérisme de luxe ?

 

Cessons de dire n'importe quoi. La presse rapporte ce type de déclarations mais Alain Schimel, ex-patron de Zilli, m'a adressé une lettre de démenti. Donc Alain Schimel n'a aucune intention de partir - contactée, la direction de la communication soutient le contraire, NDLR -. En revanche, il est clair que la situation est très insatisfaisante. Mais la crise économique a frappé durement, et jusqu'au boulevard Saint-Germain à Paris des enseignes de luxe ont disparu. Je demeure toutefois optimiste : d'abord, à l'aune du nombre de consommateurs qui, jusque de la Suisse, se rendent à Lyon, on a la preuve qu'il existe un potentiel de commerces haut de gamme. D'autre part, on ne peut pas espérer rivaliser avec Milan, Munich ou Barcelone si l'on a pour seule ambition de faire venir des enseignes de bas ou moyen de gamme. Enfin, d'ici trois à quatre ans, l'activité économique d'ensemble devrait s'être redressée, bénéficiant alors à l'offre lyonnaise.


Il est peu dire que les relations entre le Grand Lyon et la Région sont médiocres, à l'aune de vos propres relations avec Jean-Jack Queyranne. D'ailleurs, dans votre essai, la place que vous réservez aux Régions dans le schéma de reconstruction administrative de la France est congrue. Est-ce une conception différente de l'exercice politique et managérial des collectivités qui vous distingue de Jean-Jack Queyranne ?

 

Chaque fois que la région prépare son scrutin, on me demande de présider le comité de soutien. À ce titre, je crois avoir contribué à l'élection de Jean-Jack Queyranne. Après, qu'entre deux élections « on » oublie mon implication... C'est dans la nature des choses. Il est clair que les manières dont nous pratiquons nos responsabilités à la tête des collectivités sont très différentes. Ceci étant, et alors que la réforme des collectivités concoctée par le gouvernement signe leur mort, les régions constituent au contraire à mes yeux « l'autre pilier », avec les agglomérations, de l'architecture administrative française. Si la prépondérance de ce couple ne transparaît pas dans mon livre, c'est regrettable. Quant à la qualité des collaborations entre le Grand Lyon et la Région, je les trouve satisfaisantes. Attendons de voir comment le nouveau directeur général des services, Thierry Lataste, coopèrera avec ses homologues de la Ville de Lyon et du Grand Lyon.


Votre exercice politique local bénéficie aujourd'hui d'une opposition anémique dans les rangs de la Droite. Ce qui relance l'hypothèse d'un parachutage d'ici 2014. La nomination récente à Lyon de « proches » de Jean-Louis Borloo - notamment Jean-François Carenco, son ancien directeur de cabinet au ministère de l'Ecologie, de l'Energie et du développement durable et désormais Préfet du Rhône et de Rhône-Alpes, ou encore Lionel Bessard, l'un de ses anciens conseillers techniques au ministère et dorénavant secrétaire général d'Aéroports de Lyon - vous interroge-t-elle ?

 

Il me semble qu'avec Dominique Perben, l'opposition UMP a « donné »... Une telle perspective est totalement exclue. Surtout chez une personnalité aussi « parisienne ».


À la lecture de votre essai, et une fois vos réflexions programmatiques projetées sur celles, très éloignées, qui caractérisent la plupart des courants du PS, une question s'impose : êtes-vous encore socialiste ? Votre social - réformisme n'est-il pas incompatible avec le terreau idéologique de votre parti ?

 

Ma fidélité au PS remonte à... 1969. Déjà à l'époque, le socialisme que je défendais, éloigné de la révolution prolétarienne, était réformiste. Il avait pour dessein de faire en sorte que les enfants vivent mieux que leurs parents. Ce progrès, particulièrement pour moi qui étais issu d'un milieu modeste, avait du sens. La capacité de transformer un territoire ou une communauté, quels qu'ils soient, n'est pas proportionnée au degré de radicalisation ou d'incantation idéologiques, mais à la volonté et à la faculté de « réaliser ».


La social - démocratie est en panne. L'État-providence est délité. Vous remettez en cause le dogme de l'État, véritable citadelle dans la tradition de gauche. Face à ce constat, votre social-réformisme reflète-t-il l'aspiration de la population ainsi résumée par l'historien Marcel Gauchet : « une politique de gauche dans ses fins, de droite dans ses moyens » ? Cette quintessence n'est-elle pas ce que l'on dénommait il y a encore peu le « gaullisme social » ?


Effectivement, des ponts peuvent être établis entre pensées et entre personnalités de différentes obédiences réunies par un certain nombre de valeurs communes. Les lignes de fracture politique traditionnelles ont évolué, de nouvelles apparaissent, et c'est cette dynamique collective qui peut préparer le rebond. À ce titre, je partage des convictions, notamment sur la vision de l'Homme, avec un certain nombre de Gaullistes sociaux, de centristes humanistes, ou de fidèles de la démocratie chrétienne.


Quels sont ceux d'entre eux dont vous vous sentez proche ?

 

François Bayrou, Etienne Pinte, Dominique de Villepin, ou Jean-Louis Borloo figurent parmi eux.


Votre manière d'exprimer votre conscience de gauche ne trouve-t-elle pas davantage d'écho auprès d'eux que dans la bouche de Benoît Hamon, d'Arnaud Montebourg, de Martine Aubry et de Ségolène Royal ?

 

Le Parti socialiste vit sur la malédiction du Congrès de Reims, au cours duquel les réformistes, pourtant majoritaires, se sont sabordé. En se divisant, ils ont permis à l'aile gauche de surjouer sa partition et ont rendu leur propre voix inaudible. S'il est candidat, Dominique Strauss-Kahn devrait recentrer l'axe stratégique du parti. Surtout, en cas de victoire étriquée, le PS devra accepter que la mise en mouvement du paquebot France et l'adhésion aux réformes exigent une ouverture vers ceux, des mouvements politiques ou de la société civile, qui partagent un même dessein. C'est à cette condition que l'on peut gouverner. À Lyon ou à l'Élysée.


Votre aspiration - qui trouve d'ailleurs une partie de son inspiration dans le cheminement maçonnique - à l'émancipation de l'Homme, à sa capacité à se « réaliser », induit une redéfinition de l'individualité. Laquelle demeure tabou dans le substrat idéologique socialiste...

 

Longtemps, dans l'histoire de la société, l'individu s'est trouvé englobé dans un collectif qui le dépassait. C'est particulièrement prégnant dans la « grande fabrique anglaise », les mondes minier, sidérurgique, textile - celui du Nord, car les canuts lyonnais fondaient au contraire leur émancipation sur l'indépendance, qui s'articulait avec des solidarités de toutes sortes -. Là-bas, l'individu acceptait de n'être plus rien car il considérait que le collectif était plus important que l'individu. Ici on a toujours défendu les valeurs d'autonomie. Aujourd'hui, ce dernier a repris le dessus. La problématique de la gauche doit l'intégrer. Et admettre de le réinsérer dans son projet.


Vous inscrivez le travail, l'entreprise, le progrès au « cœur de votre projet ». Or ils demeurent objet de contestation, de défiance voire de stigmatisation au sein du PS. Quels sont le travail et l'entreprise « sociaux - réformistes » ? Sont-ils solubles dans le projet socialiste ?

 

L'un des problèmes majeurs de la France est sa désindustrialisation. Comment peut-on espérer juguler le phénomène et restaurer l'économie et la compétitivité du pays si l'on promeut une doctrine de la méfiance à l'égard de celles dont dépend justement ce rebond : les entreprises ? Or au sein du PS, l'hostilité continue de dominer. On n'évoque l'entreprise que pour dénoncer les déviances, stratégiques ou morales, de ses dirigeants. Ne faudrait-il pas préalablement sanctuariser l'utilité des entreprises, et seulement dans un deuxième temps explorer les moyens de les réformer ? L'histoire, particulièrement des XIXe et XXe siècles, démontre que les formes et les organisations d'entreprises ont considérablement évolué. Y compris selon leur identité culturelle et leur origine géographique. L'enjeu est de redonner aux chefs d'entreprise - petites et grandes - les moyens d'une marge de manœuvre grâce à laquelle ils peuvent inscrire leur stratégie dans le long terme, dans l'indépendance à l'égard de la dictature des marchés boursiers, et... dans le sens.


Une élection présidentielle, c'est une rencontre entre le peuple et un candidat totalement symbiotique avec son programme. C'est d'ailleurs cette osmose qui conditionne la double crédibilité du candidat et du programme. Le PS a fait le choix, pour beaucoup suicidaire, d'établir le programme avant de choisir le candidat... Ce programme est désormais connu, et reflète les grands écarts idéologiques du PS. Comment peut-on imaginer un DSK portant un projet élaboré en partie par Benoît Hamon ? Le patron du FMI et le maire de Lyon peuvent-ils par exemple soutenir l'idée de plafonner les rémunérations des patrons des entreprises au capital desquelles l'État participe ?

 

 Il y a le projet du PS, qui est d'ailleurs loin d'être abouti, et puis il y a le projet que défendra le candidat. La personnalité de celui-ci jouera évidemment beaucoup. Dominique Strauss-Kahn portera un projet réformiste qui se donnera comme but de réduire les déficits abyssaux où nous sommes, de relancer l'économie, de redévelopper notre appareil industriel.


Plus largement, à quelle mesures (ne) souscrivez-vous (pas) ? Le financement, pour l'heure nébuleux, de ce programme est-il réaliste ?

 

Pour résorber nos déficits après 2012, il nous faudra trouver 20 milliards par an en recettes ou en réduction de dépenses. Cela demande que nous sériions les priorités des actions nouvelles. Il y a deux priorités. L'une est économique : investir dans l'innovation, la recherche et le transfert des technologies envers les petites et moyennes entreprises. L'autre est sociale : résorber la coupure sociale et spatiale qui marque nos agglomérations, et sortir de la ghettoïsation un certain nombre de quartiers.


Vous soutenez de nouveau Dominique Strauss-Kahn. Ceci après l'avoir quitté en 2006 pour Ségolène Royal et vous être rapproché, un moment, de Martine Aubry. S'il est élu, DSK ne peut-il pas assimiler ces changements de direction à une forme d'opportunisme, d'infidélité, voire de déloyauté, qui vous éloignerait de toute perspective ministérielle ?

 

 C'est possible. Mais je n'attends rien. J'occupe à Lyon une position qui me satisfait, et n'ai pas l'ambition particulière de siéger dans un ministère.


Ne vous ennuyez-vous pas à Lyon ? Après tout, il n'est pas suspect d'aspirer à une responsabilité nationale et de redimensionner son ambition quand on a été aussi confortablement réélu...

 

 Ma pensée n'est pas celle-ci. À Lyon, je trouve matière à m'épanouir, et surtout à semer, à innover, à bâtir encore. On a le droit d'écrire un livre pour un projet national et consacrer l'essentiel de son énergie au développement d'une grande agglomération. Pourquoi ? Parce que les deux démarches résultent d'un même intérêt : la vie des citoyens, du plus proche à Lyon au plus éloigné en France.


Le barnum médiatique national auquel vous vous prêtez depuis quelques mois et particulièrement depuis la parution de votre livre est de nature à enivrer. Même à déconnecter de la réalité locale ou à relativiser l'intérêt des responsabilités qu'on exerce...

 

Certes le risque existe. Mais je ne m'en sens absolument pas menacé. Car tout m'intéresse. J'ai autant de plaisir à échanger avec mes administrés sur un projet urbanistique qu'à disserter sur les enjeux géostratégiques internationaux ou la politique d'immigration.


Les instances du PS ont acté l'incompatibilité, pour ses membres, de cumuler deux mandats local et national. Si la gauche l'emporte en 2012 et qu'un portefeuille vous est proposé, vous avez affirmé que vous arbitreriez en faveur de votre responsabilité locale. Cela vaudrait-t-il également pour un ministère régalien ?

 

Absolument.


Prenons la double hypothèse d'un assouplissement de cette règle interne et d'une sollicitation à rejoindre le gouvernement. À l'aune de vos profondes dissensions idéologiques avec nombre de caciques socialistes inévitablement nommés en cas de victoire de DSK, quel crédit faudrait-il apporter à votre cohabitation ?

 

Je n'accepterai une telle charge qu'à deux conditions : la victoire de DSK, et l'application d'une ligne de conduite stratégique conforme mes idées. Si j'ai le moindre soupçon, je déclinerai une telle offre.


Vous n'aimez guère la rue de Solférino, mais elle vous le rend bien. La faiblesse de vos soutiens au sein du parti, vos engagements précédents avec les sulfureux Georges Frêche et Jean Noël Guerini, ne condamnent-t-ils pas vos espérances nationales ?

 

 Je suis très heureux d'avoir soutenu Georges Frêche, qui fut un maire extraordinaire, un formidable développeur pour cette ville qu'il a métamorphosée…


… selon des méthodes dont il faut espérer qu'elles ne soient pas celles du maire de Lyon...

 

Ne comparons pas des territoires, des histoires, des contextes différents. On ne peut pas toujours faire porter la responsabilité des égarements sur les seuls maires. Ces derniers sont aussi à l'image de leurs administrés, ils épousent leurs singularités et ensemble établissent une correspondance. Cela vaut pour la corruption ; lorsque la population exerce une pression irréfléchie en faveur de pratiques clientélistes, le maire ne peut pas intégralement en faire fi.


Mais tout de même il a bien pour devoir éthique inviolable de constituer un rempart à ces dérives ?

 

Certes, mais face à un abîme, à un écart trop profond, on ne peut ériger de rempart. Jean-Noël Guérini est sous les feux des projecteurs - attendons d'ailleurs qu'il soit seulement mis en examen puis que justice se fasse avant de verser sur lui un opprobre à ce jour non fondé juridiquement -, mais Marseille... Une ville fantastique, des atouts prodigieux, un capital sympathie considérable... mais aussi une culture endogène du clientélisme à laquelle les élus locaux ne peuvent pas se soustraire totalement.
Lyon n'est pas Marseille ou Montpellier. Là-bas, le maire ne pourrait être mis en minorité dans sa fédération socialiste comme j'ai failli l'être dans le Rhône. À Lyon, aucun employé municipal n'est adhérent des sections du PS. Si j'ai prononcé quatre recommandations depuis mon élection en 2001, c'est le maximum. À terme, tout système clientéliste tue une ville.


La conquête du 3e mandat municipal est traditionnellement complexe. In fine, une victoire de la Gauche en 2012 - et les retours de balancier générés inévitablement par la politique peu populaire qui devra être déployée - ne constituerait-elle pas un lourd handicap à deux ans des élections municipales ?

 

Je suis d'accord. Une victoire de DSK nuirait à mon intérêt en tant que maire de Lyon. Mais au nom de l'intérêt du pays, je suis prêt à prendre le risque d'une telle nuisance.

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