Pôle Métropolitain : l’union qui divise

Cela fait deux ans qu’ils préparaient les esprits à la métropole du XXIe siècle. Aujourd’hui, ils sont quatre à l’avoir fait : le Grand Lyon, Bourgoin-Jallieu, Vienne et Saint-Etienne allient leur force au sein du premier pôle métropolitain rhônalpin. Mais plusieurs failles fragilisent le projet, qui peine à convaincre tous ses voisins.
Entre Lyon et Saint Etienne il n'y a pas que le football qui divise. ©Laurent Cerino/Rea

« Là-bas, on ne pèse rien". Ces quelques mots glissés par un dirigeant stéphanois au retour d'un voyage à Bruxelles résument assez efficacement un paradoxe : alors que les principaux bassins de vie et d'activité économique s'organisent autour des villes, la plupart d'entre elles sont encore, à l'échelon européen, de véritables nains politiques - en particulier les métropoles régionales françaises. C'est du moins le constat qui a présidé à la création, début avril, d'une nouvelle forme d'administration : le pôle métropolitain. Après le sillon lorrain (Metz-Nancy-Thionville-Epinal), créé au mois de janvier, le pôle de Strasbourg-Mulhouse et celui de CREA Seine-Eure (Rouen), lancés tous les deux en février, Lyon-Saint-Etienne est le quatrième réseau d'agglomérations à avoir choisi de parler d'une même voix aux citoyens européens comme aux investisseurs. Deux autres agglomérations se sont jointes au Grand Lyon et à Saint-Etienne Métropole dans cette aventure : la Communauté d'Agglo­mération Porte de l'Isère (CAPI) et la Communauté d'Agglomération du Pays Viennois (Vienn'Agglo). Est-ce l'acte de naissance d'une "super communauté urbaine", d'un "Très Grand Lyon" qui s'étendrait de Firminy à Bourgoin-Jallieu, avec Givors comme épicentre ? Cela ressemble plutôt à son joker : dans le jargon administratif territorial, le pôle métropolitain est un "syndicat mixte de type fermé", un EPCI d'EPCI (Etablissements publics de coopération intercommunale). En d'autres termes : le pôle métropolitain est l'officialisation d'un réseau de travail de communautés d'agglomérations qui décident entre elles des chantiers qu'elles souhaitent mettre en commun. Un échelon de plus au millefeuille administratif, critiquent ses détracteurs, plus technique, moins lisible pour les citoyens que le fameux statut de "métropole" (voir tableau ci-dessous) proposé par la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. Mais également une structure plus souple : "Ce qui nous rapproche, c'est une vision commune du territoire, explique le président du Grand Lyon, Gérard Collomb. Tout se fait sur la base du volontariat. Notre souci est de guider les implantations économiques, d'éviter l'étalement urbain, de faciliter la mobilité des habitants et de porter la visibilité de ce bassin économique et culturel au niveau international." En bref : de rayonner comme une métropole, sans avoir à en subir les contraintes politiques.


Un territoire "en peau de léopard"

Car dans le difficile dialogue du "ni avec toi, ni sans toi", le Grand Lyon n'a pas réussi à convaincre tous ses voisins. La Communauté de communes de l'Est Lyonnais, qui constitue pourtant le territoire d'expansion de l'agglomération lyonnaise et comporte sur son territoire le très convoité parc d'activité de Genas, a décidé de ne pas en être ; Villefranche non plus, tiraillée par un désaccord entre ses édiles ; dans l'Ain, on ressasse encore le traumatisme de la création de la communauté urbaine de Lyon en 1967, à l'occasion de laquelle le département s'était retrouvé dépecé de quelques communes. A l'Ouest en revanche, la maire (PS) de Roanne, Laure Déroche, manifeste ouvertement son intérêt pour le projet : "Roanne a vécu trop longtemps recroquevillée sur elle. Sur tous les thèmes développés par le pôle, nous avons vocation à apporter une contribution complémentaire". Une stratégie volontaire qui s'appuie autant sur la perspective des infrastructures routières et ferroviaires à venir (A89, LGV Paris-Clermont-Lyon) que sur le vieil adage selon lequel il est plus facile aux Roannais de s'entendre avec les Lyonnais qu'avec les Stéphanois. Mais pour ce qui concerne la troisième couronne lyonnaise, celle qui s'étend du Grand Lyon jusqu'aux contreforts des Monts du Lyonnais, le sénateur-maire (UMP) d'Oullins François-Noël Buffet regrette que le G4 fondateur "ne se soit pas donné les moyens de parlementer", et veut croire que certaines communes n'auraient pas été complètement hostiles au projet. L' élu, qui défend pour Lyon le choix de la métropole plutôt que du pôle métropolitain (à l'image du projet construit par Christian Estrosi, député-maire de Nice), pointe également du doigt le grand absent du projet : l'aéroport de Lyon-Exupéry. L'équi­pement a pourtant été repéré par tous les acteurs - privés comme publics - comme le principal site de développement de l'aire urbaine lyonnaise. La pression foncière y est d'autant plus élevée que la stratégie d'expansion du secteur est désorganisée, l'aéroport étant situé à l'interface de quatre schémas de cohérence territoriale différents. L'échec des pourparlers a laissé quelque amertume du côté du G4, mais Gérard Collomb reporte ses espoirs sur le comité de pilotage que devrait constituer la préfecture dans les prochaines semaines. Le préfet s'apprêterait en effet à nommer un grand nom de l'urbanisme pour orchestrer l'aménagement des alentours de l'aéroport, en concertation avec toutes les collectivités territoriales concernées… et le pôle métropolitain lyonnais.


"La Région doit reconnaître le rôle politique des grandes métropoles"

Elus, chefs d'entreprise, universitaires ont beau reconnaître de manière unanime l'échelon métropolitain comme un niveau de décision pertinent pour administrer l'aire urbaine, l'outil qui a vu le jour n'en demeure pas moins empêtré dans les luttes de pouvoir et d'influence qui traversent toute la vie politique locale. A la Région, on s'inquiète du devenir des communes qui resteront sur le quai, et de la pérennité des mécanismes de solidarité régionale. On s'émeut contre ce "faux syndicat mixte" qu'est le pôle métropolitain, fermé sur le plan légal aux départements et à la région. On peste surtout contre sa première concrétisation : le lancement d'un syndicat mixte de transport, destiné à coordonner tout le réseau interurbain (construction de parking relais, lancement d'une "carte orange" commune à l'ensemble du réseau) : le "cœur du c œur" des compétences de la Région, qui coordonnait d'ailleurs depuis 2005 le projet REAL (Réseau express de l'aire lyonnaise) avec douze collectivités territoriales sur les mêmes thématiques. "Il ne s'agit pas de jouer les pieds écrasés, mais construire un pôle métropolitain suppose un minimum de dialogue", s'énerve Elisa Martin, conseillère régionale (Parti de Gauche). Le résultat ne s'est pas fait attendre : mi-février, le Conseil régional rendait un "avis réservé" à la construction du pôle métropolitain, montrant son inquiétude sur le fond. Maurice Vincent, sénateur maire (PS) de Saint-Etienne, confie sa "déception" face à cette réaction : "Dans toutes les autres régions, les conseils régionaux ont rendu un avis favorable. Il est dommage qu'en Rhône-Alpes nous n'ayons pas été soutenus". En coulisse, on murmure que si les services de la Région et du pôle étaient d'accord sur les modalités opérationnelles, entre élus la négociation virait plutôt au dialogue de sourds, achoppant sur des questions de périmètre territorial et de chef de file. "La Région ne peut pas revendiquer d'être l'alpha et l'omega de toutes les grandes politiques, tonne-t-on du côté du G4. Elle doit reconnaître la place et le rôle politique des grandes métropoles".
En dépit des résistances, le pôle métropolitain poursuit pas à pas son avancée, avançant des orientations communes dans la promotion de l'agriculture péri-urbaine, renforçant les passerelles entre les différentes stratégies touristiques. Donnant à voir, surtout, les réalités d'un travail souterrain engagé depuis deux ans.     

 

 

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