François Turcas : qui succédera au Roi ?

Février 2012. Il règne sur la CGPME du Rhône depuis vingt ans et sur celle de Rhône-Alpes depuis dix-huit. Il les a hissées au sommet, au prix d’une foi et d’un enthousiasme plébiscités, mais aussi de méthodes et d’une gouvernance dont la récente élection consulaire a cristallisé la contestation. L’identification du charismatique architecte au syndicat patronal est-elle allée trop loin ? François Turcas engage son ultime mandat. L’heure du bilan, alors que la (guerre de) succession pour s’emparer de cette redoutable « machine » institutionnelle, politique, financière éminemment influente, se prépare.
©Laurent Cerino/Rea

« Tout est programmé. J'ai choisi celui qui me succédera. Il aura une forte fibre humaniste et internationale, saura rassembler, sera disponible et aura la santé. Mais je ne dévoilerai son identité que lors de ma dernière année de responsabilité ». « Sera-ce Philippe Grillot ? », l'interroge-t-on. « Non ». « Guy Mathiolon ? ». « Non ». « Emmanuel Imberton ? ». « Non. Il est à la CGPME mais n'en est pas adhérent ». Il n'en dira pas plus. Ainsi François Turcas, 65 ans, coupe court au « dossier » de sa succession, sans qu'il soit possible de distinguer dans son propos les parts de vérité et de bluff, d'embarras, de duperie et de sincérité. S'est-il seulement intéressé au sujet, lui qui en mai prochain entame officiellement son ultime mandat de trois ans ? Rien n'est sûr. Et on soupçonne dans sa posture dilatoire et sibylline l'angoisse qu'une telle interrogation, volontiers tabou, éveille. Angoisse car les trajectoires professionnelle et humaine, donc l'existence et la reconnaissance de François Turcas ont germé, grandi, prospéré, presque intégralement dans cette CGPME du Rhône (et dans celle de Rhône-Alpes) qu'il a accouchée il y a vingt ans et qu'il a porté haut. Très haut. Son charisme, sa chaleur humaine, son enthousiasme, sa rhétorique et même ses excès ont façonné un syndicat patronal qui s'est escrimé pas à pas à extraire de leur solitude près de 3500 chefs de (toutes) petites et moyennes entreprises. Il l'a peu à peu doté d'une organisation, d'une structure, de moyens grâce auxquels son mouvement a étendu son champ de compétences auprès des adhérents, creusé le sillon d'une influence désormais considérable, rongé progressivement l'hégémonie d'un Medef longtemps condescendant, et sanctuarisé sa représentativité. Les initiatives, notamment à l'international, dans le domaine de la formation et de l'accompagnement des dirigeants, en faveur d'une convivialité et d'une solidarité synonymes de « décloisonnement », on définitivement cerclé le rayonnement de la CGPME locale. CCIT de Lyon, de Saint-Etienne Montbrison, de la Drôme, de Villefranche-sur-Saône, Carsat Rhône-Alpes, SEPR, Ifir, IUT... les présidences qu'occupent ses mandants en témoignent. « François a tout donné au syndicat. Qui le lui a bien rendu », résume une figure « historique » de l'organisation. L'un et l'autre sont indissociables. Interdépendants. Symbiotiques. Ils ne font qu'un. De la reconnaissance au pouvoir, ils se doivent tout. Ce qui consubstantiellement rend l'enjeu de la succession, pour chacun d'eux, particulièrement aigu.

 

Diatribes

 

Et les interrogations s'accumulent. (comment) Peut-on succéder à une telle incarnation du syndicat ? François Turcas acceptera-t-il de dépersonnaliser progressivement son exercice du pouvoir ? Proposera-t-il suffisamment tôt une alternative ? Y'aura-t-il alors le débat et confrontation démocratiques ou résultera-t-elle d'une désignation maquillée ? Quelles singularités humaines et comportementales le successeur idoine devra-t-il posséder pour honorer, consolider et faire fructifier le bilan ? Jusqu'où François Turcas peut-il exercer sa posture « gaullienne » ? Privilégiera-t-il son avenir ou celui du mouvement ? Préférera-t-il embarquer ce dernier dans le sillage de son départ au risque d'une autodestruction, même inconsciente, de son « œuvre » ? Divisera-t-il et s'emploiera-t-il à délégitimer ses « adversaires » pour mieux régner ? Sera-ce « après moi la fin » ou « après moi la pérennité » ? Et d'aucuns d'interpréter ces légitimes et cruciales questions à l'aune d'une « fin de règne » qu'ils auscultent sévèrement et étayent de manifestations symptomatiques : une gouvernance obsolète, ankylosée, circonscrite à une efficace, osmotique mais fragile troïka - composée des secrétaires généraux Franck Morize (Rhône) et Cyril Amprino (Rhône-Alpes) auxquels il dit avoir « tout donné » et qui lui ont « tout donné » - un comité directeur - qui désigne le président - « résigné » et confiné à une « chambre d'enregistrement », des méthodes « clientélistes » fondées sur la contrepartie de services et censées assurer le pouvoir d'influence de leurs instigateurs, des comportements omnipotents voire autocrates - « comment interpréter autrement la décision de François, que personne y compris au Medef n'a osé contester, d'imposer l'élection du président et du bureau consulaires lyonnais à main levée alors que le règlement stipule le bulletin secret ? » questionne un élu CGPME -, l'exposition à des dérives népotiques - la fille de François Turcas est désormais salariée du syndicat, en charge des relations extérieures et de la collecte d'adhésions -, la quête « obsessionnelle » de ressources financières pour entretenir et fortifier la « machine de guerre », enfin une appropriation, une capture « personnelles » de l'organisation « propriété » hier des adhérents et désormais d'un aréopage - « pour cette raison, le binôme Turcas - Morize n'est plus représentatif, juge l'élu consulaire Kamel Boutiab -... Bref un « système à l'image de celui de Ben Ali ou de Moubarak », ose même un cacique emblématique du syndicat. Autant d'admonestations qui enveloppent l'atmosphère volontiers nauséabonde que les récents « évènements » consulaires - affaires judiciaires impliquant l'ancien président de la CCI de Lyon Guy Mathiolon, guerre face au Medef lors des élections lyonnaise et régionale, tentative de destitution du nouveau président de la CCIT... - ont exhalée. « Il règne un climat de défiance au sein de la CGPME. Auparavant, son combat était face au Medef ; maintenant, il est interne », évoquent en substance des adhérents.

 

Sans doute François Turcas, dont personne ne conteste la légitimité ni l'extraordinaire contribution à l' « œuvre » syndicale - sensiblement plus brillante que son parcours entrepreneurial -, paie-t-il aussi les circonvolutions, parfois nécessaires, les pressions contradictoires, et les écartèlements, inévitables, auxquels sa position l'expose. Des comportements d'autant plus contestés qu'il cultive copieusement une réputation de franchise, d'amitié, et de fidélité. La gestion de l' « affaire » Guy Mathiolon en est symptomatique. Comme l'examine l'élu consulaire Pierre Mossaz, arbitrer entre l'intérêt de la Chambre et l'intérêt du syndicat, entre l'enjeu humain et l'enjeu institutionnel, entre la cause générale et la cause partisane, est une source de dilemmes. « Tout discernement de ce type est potentiellement source de conflit. Assurer, dans de tels contextes, une ligne de conduite cohérente est parfois compliqué. Et les situations ne manquent pas. Exemple ? lorsqu'un syndicat patronal exerce un lobbying pour que la CCIT affecte une partie de la taxe d'apprentissage dite « libre » à tel ou tel organisme de formation dont ledit syndicat assure la gestion ».

 

Dignité

 

L'âpreté du combat endogène à la CGPME est à la hauteur de l'empire édifié par son architecte. Un empire financier, aussi l'opportunité de servir utilement la cause entrepreneuriale et le tissu socio-économique, enfin une exposition publique, politique, et institutionnelle qui assure un pouvoir d'influence considérable et donc convoité. De quoi susciter l'appétit des prétendants. L'avenir à court terme de François Turcas semble limpide. Les possibles prétendants à sa succession qui sont insuffisamment soutenus au sein du mouvement (Philippe Grillot), qui sont momentanément hors jeu (Guy Mathiolon), « qui n'a ni les velléités ni les chances de me succéder », déclara François Turcas à l'Officier de police judiciaire qui le questionna dans l'affaire Barthélémy, qui sont extérieurs au département (André Mounier, qui toutefois n'exclut pas une candidature régionale), qui sont trop décriés ou illégitimes aux yeux des entrepreneurs (Franck Morize). Selon nos informations, le désormais ex-président du Conseil des Prud'hommes Patrice Duret se serait ouvertement positionné auprès de François Turcas. Le premier vice-président de la CCIT de Lyon Emmanuel Imberton rassemble, pour l'heure, les suffrages. Neuf, discipliné, apprécié dans les rangs patronaux et consulaires pour son ouverture, sa rigueur, et sa diplomatie, l'ancien DRH chez Valeo et à la Ciapem aujourd'hui Pdg de la Cotonière lyonnaise (marquage publicitaire) se positionne lui-même « modestement au deuxième étage d'une fusée dont François Turcas a, de manière exceptionnelle, poli le fuselage et armé le moteur. J'arrive dans l'histoire de la CGPME après la rédaction du premier tome ; j'espère contribuer utilement à celle d'un nouveau chapitre ». A 54 ans, conscient de son potentiel, l'ancien élu UMP de Vienne progresse prudemment. Habilement. L'enracinement de sa légitimité lui imposera toutefois de travailler concrètement à gommer son image « anti-Collomb ». Et de s'exposer davantage, donc d'affronter plutôt qu'éluder les conflits et les arbitrages.

 

Ces interrogations demeurent, pour l'instant, confinées au microcosme décisionnel de la CGPME, et semblent n'atteindre ni la dynamique générale ni la cohorte d'adhérents. Reste que par la stratégie d'hyper lisibilité qu'il s'est imposée et dont, dans les mêmes proportions, il habille « son » syndicat jusqu'à exhiber une visibilité fusionnelle, François Turcas expose autant qu'il s'expose. Tour à tour admiré et jalousé, redouté ou applaudi, il engage dorénavant son ultime tour de piste. Derrière lui, des prétendants loyaux, et des ennemis qui sauront employer leur pouvoir de nuisance. Face à lui, un enjeu, aussi excitant que redoutable : (s') assurer une issue digne du parcours exemplaire qui aura été le sien. Dans son intérêt. « Comme dans celui de la CGPME, complète l'un de ses élus consulaires. Car face à elle, le Medef est aux aguets. Tel le renard, il attend patiemment de s'emparer du copieux fromage que le corbeau pourrait lâcher ». « Oui, je suis un faiseur de rois », claque François Turcas. Aura-t-il le pouvoir et le devoir d'appliquer le privilège à sa succession ?

 

 

 

 

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