Thierry Emin, Oyonnax Rugby : "Ici on parle rugby avant de parler business"

L'Oyonnax Rugby a retrouvé la Pro D2 en fin de saison dernière, à l'issue du match de barrage perdu face à Grenoble. Thierry Emin, président de l'Oyonnax Rugby, directeur général du fabricant de papier et de carton ondulé Emin-Leydier, explique les conséquences de cette descente après avoir côtoyé l'élite du rugby français durant une saison. Et les ambitions affichées pour le club professionnel de l'Ain.
Thierry Emin est le président de l'Union Sportive Oyonnax Rugby.
Thierry Emin est le président de l'Union Sportive Oyonnax Rugby. (Crédits : DR)

Acteurs de l'économie - La Tribune : Quelle place occupe l'Oyonnax Rugby dans l'économie locale ?

Thierry Emin : Notre actionnariat éclaté montre que le club n'appartient à personne sauf à son territoire. Ici, on parle rugby avant de parler business ! Et l'impact économique du club est important. Nous dépensons chaque année 800 000 euros uniquement pour loger les joueurs.

Quant à l'impact indirect, chacun des 100 000 spectateurs qui assistent aux matches dépense entre 35 et 45 euros localement en essence, en restauration, en hébergement... Nous avons aussi calculé l'impact induit du club, à travers ses propres dépenses locales et les dépenses locales des entreprises que nous faisons travailler. Nous l'évaluons à 60 millions d'euros annuels. Le club est un vrai moteur économique !

Votre descente en Pro D2 a de nombreuses conséquences, à commencer par une baisse globale de votre budget. Etes-vous menacés ?

Notre chance est d'être basé sur cet actionnariat éclaté : aucun ne dispose de plus de 20 % du capital. Nous n'avons pas de gros partenaire qui menacerait de baisser son aide de 30 % avec la descente en Pro D2. Au contraire, tout en étant relégués, nous effectuons une augmentation de capital de 500 000 euros. Le principal impact sur le budget provient de la baisse des droits télés, qui chute de 2,3 millions d'euros. Cela explique plus de la moitié de la baisse de notre budget, qui passe de 15 à 11 millions d'euros.

Elle a aussi des conséquences internes. Quel est son impact sur l'organisation de l'Oyonnax Rugby?

Le groupe professionnel de Pro D2 sera aux trois-quarts celui qui évoluait en Top 14. Les joueurs cadres restent. C'est essentiel pour jouer les premiers rôles dans ce championnat difficile. Nous complétons le groupe professionnel en faisant signer deux jeunes issus de notre formation. Cinq autres jeunes signent un contrat espoir et rejoignent aussi le groupe professionnel. Et nous revoyons notre formation de joueurs professionnels.

Dans quel sens ?

Nous venons de créer un groupe élite, qui est intermédiaire entre le centre de formation et le groupe professionnel. Une douzaine de joueurs âgés entre 19 et 23 ans, ayant le potentiel de devenir professionnel dans un avenir proche, intègrent ainsi le groupe professionnel en bénéficiant d'une formation spécifique, avec un entraîneur attitré. L'objectif est de favoriser l'arrivée des jeunes en professionnel, parce que nous n'aurons jamais les budgets des grands clubs du Top 14.

Nous devons donc trouver d'autres façons de faire, afin de rester maître de notre recrutement. Quelques clubs la mettent déjà en pratique au niveau européen. En France, nous ne sommes que le troisième club à le faire. Cela permet de professionnaliser notre façon de faire. Et nous aurons un avis d'entraîneur sur la capacité de ces joueurs à passer professionnels. Nous voulons nous baser sur un avis objectif, davantage que sur un raisonnement par l'affect, qui prenait parfois trop de place.

Désormais, quel est votre principal défi économique ?

Nous manquons de visibilité au niveau national. Depuis plusieurs mois, nous avions lancé un travail important sur l'identité visuelle et sur la communication de l'image du club. Nous aurions souhaité déclencher notre plan au sein du Top 14. La descente est une mauvaise surprise, aussi de ce point de vue.

Mais nous déploierons tout de même ce projet compte-tenu du besoin flagrant de visibilité. Nous constatons que le club a une très forte résonance au niveau local et régional, mais au-delà, Oyonnax est peu connue.

Dans le Loiret par exemple, qui sait où est notre ville ? Nous pouvons nous appuyer sur notre notoriété dans le monde du rugby, où nous sommes un club reconnu et apprécié, après deux passages dans le Top 14 au cours des dernières années.

Quelle est votre ambition en terme de visibilité ?

Nous devons porter notre identité pour pouvoir à terme aller accrocher des partenaires nationaux. Nous allons donc nous appuyer sur l'atout que sont les montagnes du Jura. Nous nous présentons désormais comme le club de l'Ain et des montagnes du Jura. C'est notre nouvelle signature, qui sera basée sur l'humilité.

Cela se traduit par un logo dynamique, découpé en forme de sapin, symbole de nos montagnes. Nous accueillons également un nouvel équipementier, Hungaria, qui est aussi celui de Toulon et de La Rochelle. Il nous a choisis parce que nos valeurs correspondent à ce qu'il cherchait.

Le rugby professionnel français peut-il s'ouvrir aux investisseurs étrangers, comme c'est le cas de plus en plus pour le football ?

Une chose est sûre, chez nous, l'ancrage restera local. Dans le rugby professionnel, on voit que la plupart des présidents veulent véhiculer une histoire et une passion localement. On vient de voir le modèle de Biarritz, qui a fait venir des gens de Hong Kong, sans résultat.

Je ne crois pas trop aux investisseurs étrangers, car le rugby professionnel reste financièrement accessible aux investisseurs locaux. Nous ne sommes pas dans la situation du football, où les enjeux sont sans commune mesure, et où l'investissement local n'est plus viable.

Quel est l'objectif de l'Oyonnax Rugby pour cette saison en Pro D2 ?

L'objectif est de remonter le plus vite possible en Top 14 ! Pour cela, il faudra terminer dans les deux premiers du classement. Après, il faudra être prêt pour les phases finales. Cela signifie qu'il faut non seulement être capable de supporter un championnat long, mais aussi être très solide en phases finales, car c'est un autre championnat qui démarre. Nous n'étions pas prêts à cela cette année. Mais c'est ce tempérament prêt à en découdre sur des matches couperets que nous devons travailler.

Ultimement, que peut espérer l'Oyonnax Rugby dans les prochaines années ?

Notre rêve est de faire comme Castres, qui est devenu championne de France alors qu'elle est une des plus petites villes du Top 14. Mais ce club bénéficie aussi d'un grand sponsor, les Laboratoires Fabre. Malgré ce contre-exemple, on voit bien que le rugby des grandes villes est inexorable.

Nous qui étions la plus petite ville (23 000 habitants, NDRL) du Top 14, nous véhiculons le rugby des petites villes, celles qui parfois atteignent leur rêve. Quand nous sommes montés dans le Top 14, nous sommes déjà allés là où personne n'aurait imaginé que nous allions. Nous redescendons, mais nous y avons pris goût ! Alors nous nous structurons pour nous installer durablement dans les dix premiers du Top 14.

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