Fiducial : "Des méthodes managériales proches d'une secte"

L'énigme et la complexité de Christian Latouche, sa « formidable » intelligence, sa prospérité industrielle avec Fiducial, ses dérives autocratiques et, selon d'anciens salariés, « sectaires », enfin sa culture du secret l'exposent autant à la fascination qu'aux peurs et aux fantasmes.

« Dangereux et génial à la fois » résume une « autorité » du milieu de l'expertise-comptable. Secrète et discrète, même autarcique, la personnalité de Christian Latouche nourrit le mystère. Ce solitaire « insaisissable » intrigue, et exerce une emprise et une autorité qui effraient - jusqu'à pousser de nombreux témoins de l'enquête, y compris des représentants institutionnels, à la confidentialité -. Difficile de distinguer le réalisme du fantasme à propos de cet homme de «l'ombre » qui, selon François Turcas et Franck Morize (CGPME), aurait maillé un puissant réseau dans les hautes sphères de l'Etat, capable d'influencer les décisions parlementaires ou ministérielles en faveur des PME.

Visionnaire exceptionnel

Quelques traits majeurs sculptent cette personnalité « hors du commun ». Outre sa faculté « exceptionnelle » de visionnaire, Christian Latouche est cité pour son audace, pour sa capacité de travail considérable - sept jours sur sept, jusqu'à imposer aux proches collaborateurs une totale disponibilité : « Il les mange » assure Pierre Lajoie, délégué central CFE/CGC, par ailleurs laudateur -, pour son abnégation et sa pugnacité - « une fois qu'il a déterminé la gare d'arrivée, il ne démord pas de son projet et trouve toujours les moyens et le temps de l'atteindre», observe, admiratif et encore fasciné, son ancien directeur de la communication Bernard Fleur -, pour sa connaissance « rare » de la PME - « il constitue une manne inégalée d'informations sur les petites entreprises », soutient Franck Morize -, pour sa gestion du temps particulière - « il peut faire attendre son interlocuteur pendant deux heures et lui signifier alors de revenir le lendemain », sourit Bernard Fleur -, pour son particularisme « paternaliste qui ne le fera pas laisser de côté quelqu'un qui lui a été fidèle ». Enfin pour sa rigueur : « La gestion des agences, fondée sur de multiples tableaux de bord et reporting, est optimale. Jusqu'à l'exagération et à en être envahi dans son quotidien » précise un ancien directeur d'agence. Car ce « bulldozer » peut aussi être victime de son intransigeance et de ses excès. « Il nous interdisait d'utiliser Excel au seul motif qu'il déteste Bill Gates ».

François Hugues, délégué syndical, est pondéré. « Christian Latouche est ferme. Il ne flatte ni ne fait de concessions - « il ne sait ni dire merci, ni féliciter, ni faire plaisir ; c'est à la fois déstabilisant et moteur », confirme Didier Maïsto -. Il est impitoyable mais peut aussi se montrer généreux. S'il dit rarement oui, il peut intégrer des revendications syndicales si elles s'inscrivent dans son schéma et ne sont pas idéologues. L'obligation de ne pas le braquer oblige à trouver l'angle d'attaque qui va croiser son raisonnement ».

« Toujours dans l'action »

« Il ne regarde pas en face. Il est très agité, volubile, se balance sans cesse sur son fauteuil ». Cette exaltation et cette théâtralité, deux témoins les ont constatées lors d'un entretien de recrutement. L'un d'eux demeure marqué par les antagonismes du personnage, « à la fois brillant et insupportable », emporté dans son monologue et incapable d'écouter, embarqué dans une « revanche sur la vie qu'il m'a laissé comprendre ; son insistance pour connaître l'activité de mes parents et mon pedigree m'a d'ailleurs beaucoup étonné ». « Il a pour modèle - jusque dans les excès - les Etats-Unis : la loi du plus fort, du plus entreprenant, du plus créatif » résume Jean-Claude Spitz, président du Conseil régional Paris de l'Ordre des experts-comptables. « Il est toujours dans l'action. Il responsabilise et fait raisonner en patron » assure Didier Maïsto.

Sa difficulté de déléguer et de partager le pouvoir témoigne plutôt d'une confiance très relative aux autres, qui rappelle à Bernard Fleur d'étranges souvenirs. « Même les détails de la carte de vœux étaient réglés par lui ». Selon Alain Roux, fondateur de la Coordination des experts-comptables et qui fut son collaborateur, cette « main de fer » traduirait plutôt une « insuffisante confiance en lui. Lorsqu'on est sûr de soi, on recherche des collaborateurs plus performants que soi, qui vont combler ses propres lacunes, mettre en doute et obliger à progresser.

Le très fort ego de Christian n'explique pas à lui seul ce réflexe de défense et cette quête insatisfaite de reconnaissance personnelle ». Son degré de confiance semble indexé à l'envergure de son entreprise, et l'osmose, classique chez les créateurs d'entreprise, apparaît ici particulièrement aiguë. Et la plupart des témoins de greffer ses caractéristiques autocrates et boulimiques à des failles, des blessures, même à une « certaine sensibilité » et à une « timidité ».

« Firme »

Cette singularité connait une matérialisation managériale elle aussi particulère. Un ancien directeur d'agence révèle un « système » qui étouffe la critique, l'initiative, et la créativité. «Absence de formation et de culture du développement commercial, faibles motivations, responsabilités très réduites: cela concourt à assujettir le salarié qui doit se mettre au service de la « Firme». Cela a pour effet de le déresponsabiliser». L'inféodation grandirait proportionnellement au grade: « Plus on s'élève, plus on est au garde-à-vous des volontés de Christian Latouche ».

Selon une source « privilégiée », à force de répandre un climat anxiogène, le fondateur de Fiducial se serait entouré d'un cercle de collaborateurs découragés de contredire ou de mettre en doute, et dont la docilité pourrait le sacraliser et ne plus permettre de corriger les possibles égarements. Et d'affirmer que cette situation, aggravée par son esseulement au sein de l'Ordre et de la profession, éloigne peu à peu Christian Latouche du « monde réel » et l'exhorte à croire au « complot. De même qu'il considère toute critique comme une opposition, il estime que toute personne qui l'attaque, même dans son droit, lui veut du mal ».

Culture du secret

Un ancien responsable d'agence, réputé, distingue de son côté le président et sa famille, «plutôt sympathiques et droits», d'une hiérarchie subalterne - « pour certains, des serpillières» - qui se livrerait une intense lutte de pouvoir et serait disposée à toutes les allégeances et compromissions « pour être bien vue. Elle m'a presque détruit. Et Latouche n'est pas intervenu, par peur de la désapprouver». Selon plusieurs anciens collaborateurs, la culture du secret, caractéristique de Christian Latouche, innerverait jusque dans un «climat » qui mêlerait discipline de fer, catégorisation entre « bien vus » et « mal vus », et même « espionnage, une cinquième colonne ». Ce « système » inclurait des méthodes de «pression morale déstabilisatrices », qui « cassent » et sont susceptibles de « pousser vers la sortie ceux dont Latouche ne veut plus ou de convaincre de rester ceux qu'il veut conserver. Il agit en Roi de droit divin, certain que son argent peut tout acheter : gens, entreprises, idées». Parmi ces méthodes, celle de « l'autruche : on laisse pourrir la situation très lentement, on manie le chaud et le froid, on élude les conflits pour désarçonner la personne jusqu'à la rendre dingue».

Pour tous, « ces pratiques malsaines s'apparentent à celles d'une secte». Le discours, « omniprésent», qui tendrait à consubstantialiser l'épanouissement personnel et professionnel à l'implication dans l'entreprise « y participe ». « Cette notion de secte a toujours circulé dans l'entreprise » corrobore un autre ancien salarié, qui «faillit être anéanti » et « revit» depuis qu'il est sorti de la « Firme ». Octobre 2004.

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Commentaires 3
à écrit le 03/12/2022 à 20:45
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J ai travaillé 19ans dans ce groupe. Christian Latouche est un grand patron. Si tous les dirigeants étaient comme lui, la France ne serait pas en déclin. Je garde de très très bons souvenirs de lui. Patrice Argp

à écrit le 03/12/2022 à 20:45
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J ai travaillé 19ans dans ce groupe. Christian Latouche est un grand patron. Si tous les dirigeants étaient comme lui, la France ne serait pas en déclin. Je garde de très très bons souvenirs de lui. Patrice Argp

à écrit le 04/05/2021 à 17:04
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J ai rencontre CL pour devenir son collaborateur. J'ai été séduit par la personne au cours du rdv de recrutement ns avons plus parlé de plongé que de travail. J'ai découvert que j'allais travailler avec un "empereur". J'ai voulu partir au bout de 3...

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