Sanofi : pourquoi les syndicats appellent à la grève ce mardi en France

Les salariés des sites français de Sanofi sont appelés à participer à un mouvement de grève lancé ce mardi 19 janvier. A l’appel de la CGT, rejoint par d’autres syndicats en fonction des sites, ce mouvement veut alerter sur la question des conditions salariales, ainsi que sur la dégradation des investissements en matière de R&D, responsable selon eux des problématiques rencontrées sur les travaux du vaccin Covid-19. Près de 400 emplois de R&D seraient menacés dans le cadre d’un plan de restructuration annoncé l’été dernier.
Les élus CGT lancent un appel à la grève pour ce mardi. Objectif : Se mobiliser sur la question des salaires, mais également sur le terrain de la R&D, qu'ils estiment fortement fragilisée par les coupes réalisées au cours des 10 dernières années.
Les élus CGT lancent un appel à la grève pour ce mardi. Objectif : Se mobiliser sur la question des salaires, mais également sur le terrain de la R&D, qu'ils estiment fortement fragilisée par les coupes réalisées au cours des 10 dernières années. (Crédits : CHARLES PLATIAU)

Un bras de fer semble s'amorcer sur le front de la R&D chez Sanofi, sur fond d'une course au vaccin qui demeure un marathon pour ses équipes. Alors que le laboratoire lyonnais a annoncé, il y a quelques semaines, que son candidat-vaccin contre le Covid ne serait finalement pas prêt avant la fin de l'année 2021, les représentants du personnel veulent s'appuyer sur ces retards de développement pour alerter l'opinion publique sur la stratégie du fleuron hexagonal.

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La branche CGT vient de lancer un appel à la grève qui doit débuter ce mardi 19 janvier et qui pourrait s'avérer reconductible. Ses représentants craignent de nouvelles suppressions d'emplois à venir, alors que Sanofi avait annoncé à l'été dernier un nouveau plan de 1.700 postes, dont 1.000 en France, sur un total de 10.000 collaborateurs à travers le monde dont 4.100 au sein de l'Hexagone. Selon les syndicats, jusqu'à 400 salariés du département de R&D seraient concernés par cette réorganisation, une branche qu'ils estiment pourtant déjà fortement fragilisée.

« On nous a dit officiellement que les sites lyonnais ne seraient pas impactés par ces nouvelles suppressions, mais cela est d'autant plus facile à dire que nous avons déjà fait face à plusieurs plans au cours des années précédentes, les effectifs ont déjà été coupés », résume Fabien Mallet, élu CGT.

Et ce n'est pas la création d'une nouvelle usine de production de vaccins sur le site de Neuville-sur-Saône (490 millions d'euros d'investissements) prévue d'ici 2025, ou les 120 millions d'euros affectés à un nouveau centre de R&D pour lutter contre les maladies émergentes à Marcy-l'Etoile d'ici fin 2024, qui calme les représentants du personnel. « Il est bien d'investir sur la création d'un nouveau bâtiment, mais nous avons beaucoup de retard à rattraper au cours des dernières années. Il ne faut pas oublier que si la recherche se casse la figure, la production sera nécessairement impactée quelques années plus tard », ajoute Jean-Louis Peyren, coordinateur CGT-Sanofi.

Lire aussi : « Sanofi est résolu à développer un vaccin sûr et efficace contre la Covid-19 », Olivier Bogillot (Président France)

De son côté, l'élue CFDT Florence Fort dit attendre des annonces de la part de la direction, qui pourraient intervenir à ce sujet d'ici fin janvier. « Les équipes travaillant sur le vaccin dans la région lyonnaise ne devraient pas être touchées, mais nous avons également, au sein du groupe, plusieurs centres de recherche travaillant sur différents sujets qui pourraient être concernés ».

Des revendications plus larges concernant la R&D

D'autant plus que cette mobilisation prévue ce mardi aurait également un rôle plus large : celui de lancer un appel en faveur des conditions salariales des équipes, que les syndicats souhaitent voir bonifier en marge des NAO annuelles, tout en protestant contre les réductions de budget attribuées au département de R&D au cours des dernières années, responsables, selon eux, du retard accumulé dans le développement du vaccin anti-Covid.

L'ensemble des sites lyonnais devrait participer à cette mobilisation, ainsi que d'autres sites à l'échelle nationale, avec des élus CGT qui devraient être rejoints, en fonction des sites, par les sections FO, Sud Chimie, CFDT, CFTC et parfois CFE-CGC.

« Cette mobilisation fait écho à des éléments que nous identifions depuis une dizaine d'années, mais les difficultés que nous rencontrons concernant le développement du vaccin anti-Covid ont mis en lumière les difficultés internes au sein du groupe », estime Fabien Mallet.

Placée sous le feu des projecteurs au cours des derniers mois, la stratégie du laboratoire Sanofi n'a pas convaincu l'ensemble de ses équipes. Plutôt qu'un pari technologique qui se serait révélé perdant, certains évoquent un choix ayant consisté à « prendre la voie la plus maîtrisée et la moins coûteuse pour déployer un candidat vaccin à moindre coût, au lieu de lancer plusieurs voies thérapeutiques en même temps ».

« Face à une pandémie mondiale, on a fait un choix plutôt financier », dénonce la CGT.

Plusieurs représentants syndicaux déplorent également qu'en l'espace de 12 ans, les effectifs de recherche du groupe au niveau français aient été divisés par deux : « Ce qui s'est passé avec les premiers essais cliniques est la preuve que nous sommes dans un groupe aujourd'hui désorganisé et déshabillé de son savoir-faire et de son matériel », estime Jean-Louis Peyren.

Un sujet qui semble en effet cristalliser les revendications des salariés : « Sanofi se présente comme le leader mondial du vaccin et en même temps, nous ne sommes même plus sur la 3e marche du podium », avance-t-il.

 Une externalisation de la recherche pointée du doigt

D'autant plus que selon la CGT, les récents investissements réalisés par Sanofi dans le domaine de l'immunologie à travers des biotechs iraient dans le sens d'une poursuite de l'externalisation de la recherche. « Si nous n'avions pas détruit notre propre recherche en coupant la moitié de notre département d'immunologie, nous n'aurions pas besoin de rattraper ce retard en rachetant des biotechs », estime Fabien Mallet.

Son homologue Jean-Louis Peyren affirme que le laboratoire français avait les compétences en interne il y a une dizaine d'années, « mais a ensuite subi, depuis, des plans d'économie de 2 milliards d'euros à peu près tous les deux ans. Et à chaque reprise, ces plans se traduisent par des suppressions de postes et donc, des pertes de compétences », ajoute-t-il.

Pour Florence Fort, élue de la CFDT, sa branche s'associe à cet appel sur l'ensemble des sites industriels, mais d'abord pour porter le sujet des récentes NAO, prônant des augmentations de salaires non pas individuelles, mais collectives face aux efforts produits par les équipes au cours des derniers mois. Elle se dit cependant plus réservée sur la question d'un possible lien entre les coupes budgétaires réalisées dans la R&D, et le retard pris dans le développement du vaccin.

« Des investissements ont eu lieu dans ce domaine, ce retard est un phénomène qui n'est pas inhabituel lorsque l'on doit sortir un nouveau vaccin, même s'il est vrai qu'en faisant plus d'investissements, les recherches peuvent déboucher plus vite », nuance Florence Fort.

Parmi les revendications des syndicats, figurent également les plans de réorganisation en cours (Chloé et Pluton), « avec une stratégie qui consiste plus largement à externaliser une grande partie des activités liées à la chimie dans une nouvelle société Euroapi, dont Sanofi ne serait propriétaire qu'à 30 %. Il s'agit d'un désengagement clair de la chimie pour le groupe, faut clairement se réorienter vers les biotechs. Or, pour nous il demeure nécessaire dans le contexte actuel de conserver les deux axes et de ne pas tout miser sur un seul axe thérapeutique », avance Fabien Mallet.

De son côté, le groupe Sanofi rappelle qu'il prévoit d'investir en France « plus de 6 milliards d'euros en R&D sur les trois prochaines années. L'entreprise est l'un des premiers investisseurs en R&D en France, toutes industries confondues et a lancé des investissements à hauteur de 610 millions d'euros dans la région lyonnaise », rappelle sa direction.

L'enjeu de produire pour ses concurrents

Depuis quelques semaines, des voix s'élèvent également, à l'interne comme à l'externe, afin que Sanofi ouvre ses outils de production à des concurrents comme Pfizer ou Moderna. Déjà sur la ligne de départ, ces derniers peinent à fournir le volume attendu par les marchés, estimé à 14 milliards de doses sur les deux prochaines années.

« Une telle démarche nécessiterait un léger investissement pour adapter l'outil productif, mais il est tout à fait possible de l'imaginer si telle est la stratégie décidée », estime Fabien Mallet, qui souligne qu'il s'agirait surtout d'un cap « psychologique » à franchir que de passer du rôle de fabricant mondial à celui de sous-traitant, qu'une partie des salariés appelle de ses voeux.

D'autant plus que le vaccin à ADN à venir, développé par AstraZeneca, est basé sur un principe de démultiplication du virus transformé. « C'est quelque chose que nous savons faire en interne », rapporte les élus CGT. Même si le sujet demeure délicat à chiffrer, Sanofi serait aujourd'hui capable de produire jusqu'à 2,5 millions de doses journalières pour l'ensemble de sa quinzaine de vaccins à travers le monde.

Pour Jean-Louis Peyren, il est nécessaire désormais de ne pas se tromper de combat : « Nous avons désormais assez de vaccins et de techniques diversifiées qui seront mises sur le marché d'ici à quelques semaines. La course contre la montre au vaccin et du passé, ce qui compte aujourd'hui c'est la course à la vaccination ».

Une question qui mobilise à Paris

La ministre Agnès Pannier-Runacher, déléguée à l'Industrie, a elle-même tenté de « remettre les choses en perspective », affirmant que « 3 mois de retard » sur le déploiement d'un vaccin demeurerait tout de même « une performance extraordinaire ».

Quant à la possibilité que plusieurs industriels comme Sanofi puissent contribuer à fabriquer les produits déjà homologués, la ministre a avancé que des questions d'ordre techniques devaient être étudiées, concernant notamment la possibilité de s'assurer d'un transfert technologique en accéléré, sur quelques mois au lieu de 12 à 18 mois en temps normal, ou encore d'être en mesure de coupler cette action à celle de la production des vaccins antigripaux, dont la demande continue d'être forte.

Les revendications des représentants du personnel ont cependant trouvé écho auprès du député LFI François Ruffin, qui questionnait lui aussi, en fin de semaine dernière, la voie empruntée par Sanofi :

« On a cassé l'outil industriel en divisant par deux le nombre de chercheurs au cours des 10 dernières années. On comptait 11 laboratoires en France, il en reste aujourd'hui 3. Sanofi s'est aussi désengagé de tous les produits non rentables : la cardiologie, les antibiotiques, la neurologie, le diabète », affirmait François Ruffin devant l'Assemblée nationale.

Il a réclamé l'ouverture d'une commission d'enquête à l'Assemblée nationale visant à faire lumière sur les raisons du retard dans le développement d'un vaccin par Sanofi.

Contactée, la direction de Sanofi a confirmé que la suppression d'un millier de postes en France évoquée, "répartie sur les 3 prochaines années", se faisait "dans le cadre d'un plan de départs volontaires, faisant depuis l'objet d'une procédure d'information/consultation", qui démarre "comme prévu en ce début d'année". Elle précise ne pas être en mesure de communiquer d'informations "avant de les présenter aux instances représentatives du personnel".

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Commentaires 9
à écrit le 19/01/2021 à 13:05
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11 janvier : Le groupe pharmaceutique français Sanofi a annoncé avoir signé un accord pour l'acquisition de la société britannique spécialisée en immunologie Kymab. Sanofi procédera à un paiement initial d'environ 1,1 milliard de dollars, qui se...

à écrit le 19/01/2021 à 13:03
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Plus d’un milliard d’euros d’aides publiques en dix ans. Voilà une évaluation de ce que le groupe Sanofi a engrangé ces dernières années via le crédit d’impôt recherche (CIR), un dispositif d’aides publiques qui vise à soutenir et encourager les effo...

à écrit le 19/01/2021 à 11:39
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Les groupes pharmaceutique investissent en effet de moins en moins dans la R&D et préférent racheter des startups qui se sont spéciliser sur une maladie/molécule. Ces startups sont financées par des Buisness Angels qui revendent ses Startups avec de ...

à écrit le 19/01/2021 à 11:12
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Les groupes pharmaceutique investissent en effet de moins en moins dans la R&D et préférent racheter des startups qui se sont spéciliser sur une maladie/molécule. Ces startups sont financées par des Buisness Angels qui revendent ses Startups avec de ...

à écrit le 19/01/2021 à 8:02
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De la grandeur à la décadence.. Sanofi préfère jouer en Bourse et engraisser ses actionnaires plutôt que de se concentrer sur son cœur de metier.. Mais est ce que tout cela n'est pas voulu ?? Vivre sur ses acquis n'est pas eternel

à écrit le 19/01/2021 à 5:04
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SANOFI se gave sur la vente de vieilles molécules au détriment de la recherche. Tant que les financiers dirigeront la France on ira dans le mur.

à écrit le 18/01/2021 à 20:08
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Que sanofi remplace ses chercheurs par des trouveurs , ça ira mieux ensuite .

à écrit le 18/01/2021 à 18:58
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Encore une journée d'action de cégétistes bourgeois de Sanofric vivant sur le trou de la sécurité sociale tandis que les cadres font partie de la catégorie sociale la moins touchée par le chômage de longue durée tout en bénéficiant des ARE et du régi...

le 18/01/2021 à 19:16
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?? Par le passé, je vous ai trouvé plus pertinent.

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