Comment Boehringer Ingelheim réorganise sa présence en France

Un an après l’acquisition de Merial, le laboratoire pharmaceutique allemand Boehringer Ingelheim signe un exercice 2017 remarquable. Désormais en ordre de bataille, le groupe familial veut conquérir la place de numéro un mondial dans le marché de la santé animale. Dans cette stratégie globale, ses implantations françaises, et plus particulièrement les sites de la région de Lyon, auront un rôle à jouer.
Le siège mondial de Boehringer Ingelheim a Ingelheim près de Francfort, en Allemagne.
Le siège mondial de Boehringer Ingelheim a Ingelheim près de Francfort, en Allemagne. (Crédits : DR)

Pour consulter cet article en accès libre, souscrivez à notre offre d'essai gratuite et sans engagement.

Avec un chiffre d'affaires à 18,1 milliards d'euros, en hausse de 13,9 %, le laboratoire pharmaceutique allemand Boehringer Ingehleim signe en 2017 une année historique. Si son bénéfice net, grevé par les taxes, affiche un déficit de 223 millions d'euros, son résultat opérationnel grimpe en fait de 21 % à 3,5 milliards d'euros. "Nous avons dû faire face aux dépenses fiscales les plus importantes de l'histoire de l'entreprise", détaille Michael Schmelmer, membre du conseil d'administration et responsable des finances de Boehringer Ingelheim : "La réforme fiscale américaine a notamment pesé sur nos charges."

Cette hausse inédite du chiffre d'affaires du groupe familial s'explique principalement par l'intégration au 1er janvier 2017 de Merial, la filiale spécialisée en santé animale de Sanofi, dont le chiffre d'affaires avoisinait 2,6 milliards d'euros annuels en 2016.

Grâce à cette acquisition, Boehringer Ineglheim est devenu le numéro deux mondial du marché de la santé animale derrière Zoetis (ancienne filiale de Pfizer, aujourd'hui cotée en bourse) et devant MSD Santé Animale (filiale de Merck).

Merial, une acquisition stratégique

L'allemand réalise ainsi un chiffre d'affaires 3,9 milliards d'euros sur ce marché dynamique estimé à 25 milliards d'euros. Et le groupe prévoit que les ventes pourraient doubler d'ici 2030.

Principale cause évoquée : l'élévation du niveau de la vie dans les pays émergents entraînant une hausse de la demande en protéines animales et du nombre d'animaux de compagnie.

Lire aussi : "Le marché de la santé animale est déraisonnable" (PDG de Ceva)

L'acquisition de Merial est d'autant plus stratégique que les deux entreprises étaient très complémentaires. L'opération a permis à l'allemand de devenir leader dans les domaines des vaccins et des antiparasitaires, essentiels sur ce marché. Il est également numéro un sur les segments des animaux de compagnie, de l'équin et du porcin, numéro trois pour l'aviaire et numéro quatre pour le bétail.

Devenir le n°1 de la santé animale

Pour les années à venir, Joachim Hasenmaier, directeur de la division Santé Animale, résume la stratégie du groupe en quelques mots :

"Nous voulons rester leader partout où nous le sommes déjà et renforcer nos positions ailleurs. Les vaccins, les antiparasitaires et le diagnostic resteront l'objet prioritaire de nos développements. À terme, nous ambitionnons une position de leader dans l'aviaire."

L'objectif, à peine voilé, est de rattraper Zoetis et lui ravir sa place de numéro un.

Dans cette optique, les positions françaises de Boehringer Ingelheim pourraient jouer un rôle déterminant. Avec le rachat de Merial, la France est devenue un marché significatif, mais également un lieu de création de valeur de premier plan.

Fort de 2800 collaborateurs sur le territoire, le groupe y dégage en effet 1 milliard d'euros de ventes vers 150 destinations, ce qui en fait l'un de ses cinq premiers pays en chiffre d'affaires. Par ailleurs, 85% de tous ses vaccins vétérinaires sont produits sur le site de Porte des Alpes à Saint-Priest près de Lyon.

Des investissements importants à Lyon

"Lyon est le centre de gravité de Boehringer Ingelheim en France pour la santé animale. Il le sera aussi de plus en plus pour la santé humaine, confirme Joachim Hasenmaier. Récemment, près de 135 millions d'euros d'investissements ont été réalisés à Lyon, notamment sur le site de Porte des Alpes."

Ces vingt dernières années, 350 millions d'euros ont en effet été dépensés à Porte des Alpes, dont 70 millions d'euros pour un tout nouveau complexe de recherche et développement de l'activité santé animal. 200 chercheurs, jusque-là basés dans le 7e arrondissement de Lyon, s'y installeront en juillet.

65 millions d'euros supplémentaires ont également été engagés dans la construction d'un bâtiment de 5700 mètres carrés dédié à la production de vaccins aviaires. Un investissement en droite ligne avec sa stratégie de devenir leader sur ce segment.

Boehringer Ingelheim

Le Boréal à Lyon, siège de l'activité santé animale en France. (Photo : DR)

Enfin, le siège de l'activité animale à Lyon accueillera bientôt de nouvelles collaborations avec l'écosystème numérique. L'entreprise a en effet annoncé être actuellement en négociation d'un partenariat avec un incubateur lyonnais. Selon nos informations, il s'agit du réseau d'amorçage 1Kubator qui vient tout juste de se retirer du consortium de gestion et d'animation de la future Halle Girard, grand lieu totem de la Frenchtech dans le quartier de Confluence à Lyon.

Un redéploiement des activités en France

"Les implantations de la région lyonnaise sont très importantes pour Boehringer Ingelheim et le site continuera à grandir à l'avenir", a indiqué Hubertus von Baumbach, président du groupe, lors de la présentation des résultats à la presse.

Toutefois, comme Boehringer Ingelheim l'avait annoncé lors de l'acquisition de Merial en 2017, 200 fonctions supports basées à Lyon devraient être rapatriées vers l'Allemagne avant la fin de l'année prochaine. Le siège mondial de l'ex-Merial étant transféré à Ingelheim, il n'y a pas de raison, selon la direction, de conserver ces fonctions à Lyon. "Des solutions sont proposées pour que chaque salarié puisse être accompagné", indique-t-elle.

Parallèlement, pour finaliser son repositionnement en France, Boehringer Ingelheim a prévu la cession, d'ici 2019, de son unité de production médicaments génériques pour animaux basée Saint-Herblon en Loire-Atlantique.

Selon le groupe, "l'activité essentiellement centrée sur les antibiotiques ne correspond plus à la priorité donnée (par l'entreprise) sur la prévention, c'est-à-dire les vaccins, les antiparasitaires et le diagnostic".

Lire aussi : Le labo pharmaceutique Boehringer va vendre son site de Loire-Atlantique

Les enjeux du pôle "santé humaine"

Les activités de santé humaine en France se limitent, quant à elle, à 500 personnes réparties entre la commercialisation, la R&D et quelques fonctions supports. Ses enjeux sont radicalement différents.

"L'accès au marché français est compliqué, explique Michel Pairet, directeur de la R&D de Boehringer Ingelheim. Le problème principal que nous rencontrons tient à la validation des prix des médicaments avec les autorités françaises. Les négociations sont difficiles."

Après plusieurs années de discussion, l'un des best-sellers du groupe, l'antidiabétique Jardiance qui représente pourtant près d'un milliard d'euros de recettes ailleurs dans le monde, n'est ainsi toujours pas autorisé en France. Toutefois, l'entreprise n'est pas le seul laboratoire à rencontrer ce genre de problème.

jardiance

Une vision "holistique" de la santé

Sur le long terme, l'articulation entre santé humaine et santé animale devrait néanmoins devenir plus évidente. C'est en tout cas le souhait de la direction au siège du groupe à Ingelheim près de Francfort. On y prône en effet une vision "holistique" de la santé, selon laquelle santé humaine et santé humaine sont intiment liées. Un concept très proche de celui de "santé globale" développé en son temps par Charles Mérieux, ancien dirigeant de l'Institut Mérieux.

"Nous sommes parmi les rares acteurs du marché à pouvoir transférer des innovations en pharmaceutique humaine vers la santé animale. Nous avons déjà des résultats, notre savoir-faire est ainsi utilisé pour soigner des chats atteints de diabète", explique Hubertus von Baumbach, président de Boehringer Ingelheim.

De cette manière, les dépenses en R&D de l'un, bénéficie à l'autre.

Une stratégie qui ne marche pas pour tous

Une stratégie que confirme Michel Pairet, directeur de la R&D du groupe :

"Nos équipes de chercheurs en santé animale assistent aux grandes réunions annuelles des chercheurs en santé humaine afin de déterminer si certains développements peuvent s'appliquer dans leur domaine. Cette coopération s'est accrue avec l'intégration de Mérial, car le pôle santé animale de Boehringer Ingelheim était principalement spécialisé dans les vaccins qui ne se prêtent guère à des transferts interespèces. La plus grande diversité de son portefeuille change désormais la donne."

Pourtant, d'autres laboratoires s'y sont essayés sans forcément rencontrer le succès escompté. C'est notamment le cas de Pfizer, qui a finalement vendu sa filiale Zoetis en bourse à partir de 2013, et de Sanofi. La cessions de Merial par le groupe français était en effet motivée par le fait que "les activités de recherche en santé animale et humaine étaient de moins en moins synergiques comparativement à ce qu'elles avaient pu être à une certaine époque".

Sanofi et Boehringer Ingelheim, des positionnements antagonistes

Pour Emmanuel Maingard, coordonnateur CFDT chez Sanofi, cette synergie amoindrie s'explique en réalité par une externalisation de plus en plus importante de la R&D de Sanofi restreignant de fait les possibilités de coopération entre les différentes entités de recherche du groupe.

La vente de Merial par Sanofi permettait également l'acquisition de l'activité santé grand public (médicaments sans ordonnance) de Boehringer Ingelheim tout en dégageant 4,7 milliards d'euros de cash qui financeront de futurs achats de brevets et autres biotechs.

Une situation totalement opposée à celle de Boehringer Ingelheim, entreprise familiale allemande prudente, qui limite drastiquement ses acquisitions tout en investissant plus de 20% du chiffre d'affaires de son activité de santé humaine dans sa R&D.

Lors de la présentation des résultats 2017 Hubertus von Baumbach a d'ailleurs averti : pas de nouvelle acquisition prévue à court terme.

"Nous ne pouvons pas simplement acheter notre croissance, nous devons aussi la construire."

Une stratégie qui ne lui fait prévoir qu'une "légère augmentation des revenus pour 2018".

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.