Police, à l’épreuve du management

Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur, sera présent, ce vendredi 29 juin, pour la cérémonie de sortie de la promotion des élèves commissaires et officiers de l'Ecole nationale supérieure de la police (ENSP). Acteurs de l'économie-La Tribune s'était rendu il y a quelque mois au coeur de cet établissement, près de Lyon, à la rencontre de ces femmes et de ces hommes ayant choisi une carrière de commissaire, dévoués à la fonction, et qui devront, dorénavant gérer, motiver, faire grandir, accompagner, protéger des équipes engagées dans une mission d’intérêt général de sécurité. Un rôle qui réclame un management singulier, adapté, bienveillant, et clairvoyant que s’emploie à inculquer l’école. Une école du management qui a beaucoup à apprendre. Des autres et aux autres.
(Crédits : Laurent Cerino / ADE)

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Femmes et hommes, gardiens de la paix, officiers ou lieutenants, générations Y et plus anciennes. C'est une véritable petite entreprise de 89 personnes que Pierre Freyssengeas doit faire tourner quotidiennement depuis qu'il est sorti de l'École nationale supérieure de la police, il y a deux ans, son diplôme de commissaire de police en poche. Prendre ses nouvelles fonctions, "exigeantes, atypiques et hors normes", est tout "naturel", pour celui qui évolue dans le milieu depuis dix ans, guidé par une "conviction", une "envie d'évoluer", et un "souhait de se voir charger de nouvelles responsabilités". Un poste pour lequel Pierre Freyssengeas admet un dévouement total.

"On est commissaire en permanence. Il faut une grande disponibilité ainsi qu'un bon équilibre familial", avance-t-il.

Occuper ce rôle demande une présence, une écoute, une attention et une dynamique permanentes auprès de son équipe. "Je me sens responsable de mes troupes", atteste le commissaire. Policier dans le sang, il porte néanmoins aujourd'hui davantage la casquette de chef d'orchestre. Celui à qui revient de mettre en musique une partition, de la manière la plus juste possible, de "donner le tempo", de gérer l'accordage entre l'ensemble des collaborateurs afin d'obtenir les résultats désirés, et ce, dans un environnement contraint.

école de police

Pierre Freyssengeas

Un rôle de manager qui se construit et s'apprend patiemment. Car au-delà de la gestion des enquêtes, de la sécurité, des victimes et des auteurs, commissaire de police, c'est avant tout disposer de bonnes capacités managériales pour faire fonctionner ce petit monde.

"Au départ, quand on prend le poste, le besoin de s'acculturer est évident. Nous sommes dans l'observation et la découverte des relations humaines, reconnaît-il, mais avec les acquis, on possède un socle tant sur les savoir-être que sur les savoir-faire." Une base inculquée à l'école des commissaires.

Une "école de l'exigence"

Installée sur les hauteurs de Lyon, à Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, l'École nationale supérieure de la police (ENSP) est le seul établissement à former les chefs de la police - avec son site de Cannes-Écluse (Seine-et-Marne) qui forme les officiers.

Ici, les candidats viennent de toute la France dans le but d'obtenir le précieux sésame, mais également de se former tout au long de leur carrière. Dans cet ancien couvent, les étudiants apprennent les fondamentaux du parfait commissaire : le commandement, les techniques (ordre public, renseignement, police judiciaire, etc.), et le management opérationnel. Sans compter des semaines de stage sur le terrain. Une "école de l'exigence", où seuls les meilleurs et les plus aguerris peuvent prétendre aux 22 mois d'apprentissage.

"Le concours réalisé en externe et en interne est très sélectif. Sur le millier de candidats au concours externe, seule une trentaine est reçue", explique le directeur adjoint de l'école Éric Angelino.

Les futurs apprentis issus d'univers différents doivent correspondre parfaitement à l'ADN de la police et porter les valeurs de "bon sens, de défense, de sécurité, de protection des plus faibles, déroule celui qui est également contrôleur général de la police nationale. De plus, le sens de l'équité, de la justice, la neutralité et le discernement sont indispensables". Ce que l'école s'emploie à "transmettre et à partager".

"Le concours permet de savoir si l'on est fait pour ce métier ou non", admet Fatima Gabour de la 68e promotion, qui passera ses examens à la fin du mois de février.

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Fatima Gabour

Challenge à relever

Métier pas comme les autres, commissaire de police est donc, à l'image des officiers de sapeurs-pompiers, une profession singulière qui amène un "engagement" à toute épreuve.

"Vous n'avez pas d'heures, on vous sollicite tout le temps, il faut faire des choix parfois au détriment de sa vie personnelle. Nous sommes là pour servir, seulement", lance Éric Angelino.

Avec cette force et ce sang-froid de rigueur, le métier demande surtout de bien savoir manager des hommes et des femmes que vous "emmenez au feu". Une particularité que les futurs commissaires doivent acquérir dès le début de leur formation. "Comment prend-on en compte ces aspects ? Là réside le vrai challenge", annonce Fatima Gabour, évoluant dans le secteur privé avant de rejoindre les rangs de la police, et motivée par un "métier d'action, stratégique et d'intérêt général". Un challenge auquel l'école prépare.

"Un commissariat possède un management particulier. Voire même plusieurs managements dans une journée. À nous de leur donner les méthodes et les outils", souligne le directeur adjoint.

Un enseignement vital. "Plus tard, ils seront sans cesse dans la recherche de l'efficience de leurs équipes, comme peut l'être un chef d'entreprise", ajoute-t-il. Mais apprendre à diriger de l'humain dans ce contexte particulier est complexe, même après plusieurs années d'expérience.

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Régis Orsini

"On a l'impression de posséder les bonnes pratiques, de bien gérer des conflits, néanmoins, en venant les confronter aux professeurs, on repart avec une vision différente", explique Régis Orsini, élève commissaire, lui aussi de la 68e promotion, ayant intégré l'ENSP par la voie interne afin de suivre la formation initiale.

Stage de management

Si l'école leur fournit les rudiments notamment psychologiques et théoriques, "il faudra tout de même une expérience entre six mois à un an avant de bien manager une équipe", convient Régis Orsini qui connaît parfaitement le fonctionnement de la police puisqu'il a gravi l'ensemble des échelons depuis son entrée en 1993. Passer au statut de commissaire représente pour ce quadragénaire une "continuité", une "volonté de prendre les rênes et des décisions".

"Quand ils sortent de l'ENSP, ils possèdent d'une vraie vision des enjeux, ont appris les grandes lignes du management, de la gestion, des budgets, mais ne sont pas des experts. Cela s'apprend petit à petit, notamment par des sessions de formations", montre le commissaire divisionnaire Laurent Moscatello, chargé des formations continues.

C'est pourquoi l'école propose des stages quelque temps après (six à huit mois) la prise de poste. Pierre Freyssengeas est ainsi venu en suivre un durant une semaine. Baptisé "première approche managériale", il permet d'"échanger sur ses premières expériences" avec d'autres commissaires. Tout au long de sa carrière, chaque commissaire peut en effet "progresser en management", mais "il s'agit d'une démarche personnelle", précise le commissaire Moscatello.

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Laurent Moscatello

La formation et le management n'étant pas dans la culture de la police. Suivant le grade, il s'agira de se former au management opérationnel pour les commissaires confirmés ("reprise d'une équipe et management collectif", "pilotage individuel de ses collaborateurs directs", etc.) ; au management tactique pour les commissaires divisionnaires ("manager ses pairs", "maîtrise des entretiens de pilotage individuel", etc.) ; au management stratégique et leadership pour les commissaires généraux ("approfondissement du leadership et de la vision stratégique", etc.).

"Un bon commissaire doit avoir une vision transversale de son service, tout en étant ouvert sur l'extérieur, avance Régis Orsini. Il doit être à l'écoute, prendre le temps. C'est sans doute le plus difficile à mettre en place. Pour cela, il faut prendre du recul, déléguer, être capable de gérer le stress de la fonction. Commissaire demande un important travail personnel, pour lequel l'école nous donne des réponses, mais qui ne sera pas suffisant tant que l'on ne les a pas confrontées au terrain."

Encore faut-il qu'"il [le commissaire] se rende compte que le relationnel est important", avance Céline Gindre, qui intervient à l'ENSP en tant que formatrice pour le compte du cabinet de conseil Nicomak.

"Les épaulettes ne suffisent pas, ajoute Laurent Moscatello. À leur sortie de promo, ils endossent les responsabilités et sont donc en prise directe avec les difficultés du quotidien et celles du corps social. Les premières erreurs surviennent alors du management."

Le commissaire de police doit savoir répondre au mieux aux enjeux qui sont les siens. D'autant plus que l'exercice de la profession demande d'avoir l'esprit solide pour, à la fois, faire face aux contraintes imposées par sa hiérarchie et adapter son management à l'époque.

Générations nouvelles et hiérarchie

Entre les attentes de nouvelles générations de policiers, pour un management plus collaboratif, plus à l'écoute, plus ouvert et la pression exercée par certains élus politiques et supérieurs à la vision managériale sclérosée, conduire un commissariat de police est une mission délicate. "Nous observons alors une vraie demande d'accompagnement", constate Laurent Moscatello. Notamment chez les nouveaux commissaires plus enclins à affronter les réalités et les évolutions.

"Nous avons des bases, mais ne sommes pas des génies. Nous avons besoin de clés pour améliorer notre gestion, car nous ne manageons pas de la même manière les jeunes générations et les confirmés", souligne l'ancien élève de la promotion 66, Pierre Freyssengeas.

Un facteur fondamental qui "bouleverse la maison police comme partout ailleurs", affirme la formatrice. Ce qui demande une adaptation et une évolution des pratiques. Ce à quoi s'engage désormais l'école dans ses formations : "Les conditions de travail ne sont plus les mêmes qu'hier. À présent, le volet bien-être au travail a été ajouté à nos modules", souligne Éric Angelino.

école de police

Éric Angelino

En particulier pour pallier les suicides et prévenir le burn-out chez les commissaires. "Cela nous interroge encore plus sur ce que nous devons faire et entreprendre, ajoute le directeur adjoint de l'école. Même s'ils sont formés et endurcis, l'aspect humain est toujours là."

 Une dimension à laquelle doit faire face la profession sur le terrain.

"Le malaise du policier est là, avance Laurent Moscatello. Augmenter les moyens, acheter des voitures, etc. ne suffit pas. Il est nécessaire de savoir bien manager et de comprendre les besoins."

Et de citer en exemple une expérience menée dans deux commissariats sur les attentes des policiers. "Il en ressort que l'écoute active, la reconnaissance, le temps passé et la volonté de s'extraire du chiffre sont les quatre demandes prioritaires." Pour Céline Gindre, la police de demain devra inclure ces aspects si elle veut évoluer.

"Il manque une réelle politique RH, une vraie vision impulsée d'en haut", soutient-elle. Les réponses tarderaient à venir, mais la période de transition est en cours.

"Nous sommes sur une période de changement, où le collaboratif se développe, où l'on réinvente le fonctionnement, et donc le management de la police aussi. Et avec l'appui d'experts du privé, issus d'univers croisés, nous pouvons offrir des clés managériales nouvelles", se félicite Laurent Moscatello.

En attendant, certains commissaires - clairvoyants des mutations de la société -  n'hésitent pas à prendre des initiatives individuelles en menant des actions internes alors "qu'ils ne sont pas forcément soutenus", indique la formatrice.

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Céline Gindre

Pour ces femmes et ces hommes engagés dans le changement, il s'agit d'appliquer une vision nouvelle afin de gérer leurs équipes de la manière la plus bienveillante possible, et ce, avec la longueur d'avance caractéristique du chef d'entreprise. Et Éric Angelino d'assurer : "La prise d'initiatives des commissaires est encouragée afin qu'ils puissent, ensuite, tirer le meilleur de leurs collaborateurs."

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