De l'envie à l'action : quand la jeunesse entreprend

"Les jeunes n'ont jamais autant eu envie d'entreprendre." C'est l'affirmation qui ressort de la plupart des études récentes menées sur le sujet. Une réalité qui s'explique par une envie de saisir une opportunité, de s'émanciper mais aussi par la valorisation du statut d'entrepreneur. Mais un paradoxe perdure : si les 18-30 ans sont nombreux à affirmer leur envie d'entreprendre, peu d'entre eux passent finalement à l'acte. Car des barrières, moins techniques que personnelles, restent encore à lever.

En 2014, Emmanuel Brehier et Benoît Plisson fondaient Ici & Là, à peine sortis de leurs études. Aujourd'hui, leur entreprise - qui commercialise des steaks et des boulettes de légumineuses - prévoit un chiffre d'affaires de plus de 800 000 euros fin 2017. "Nous venons également d'embaucher deux autres personnes, prévoyons de toucher encore plus de réseaux de magasins et visons le marché de la restauration commerciale", détaille Emmanuel Brehier. Leurs parcours est caractéristique de cette récente vague entrepreneuriale qui semble toucher la jeunesse française.

Pourtant, à l'origine, rien ne destinait ces jeunes étudiants ingénieurs de l'Isara à fonder leur entreprise. "Je n'étais pas réfractaire à l'idée de devenir salarié. Mais nous voulions porter ce projet qui nous tient à cœur sur l'alimentation de demain. Or, nous avions entre nos mains de quoi le développer nous-mêmes", se souvient-il. Finalement, c'est l'opportunité, l'idée, qui a conduit ces deux entrepreneurs à se lancer. Une expérience de terrain, corroborée par un rapport rédigé par Alain Fayolle, professeur et directeur du centre de recherche en entrepreneuriat de l'emlyon, pour la chaire de transitions démographiques transitions économiques : "Les jeunes entrepreneurs en France sont majoritairement des entrepreneurs d'opportunités, et moins de nécessité." Par exemple, alors que 2,6 % des 18-24 ans entreprennent, 2,4 % d'entre eux l'a fait par opportunité, contre 0,2 % par nécessité*. Une réalité illustrée par le directeur du PEPITE Beelys. "Nos étudiants regardent avant tout la proposition de valeur. En somme, ils vont d'abord créer un produit, puis, pour le gérer, une entreprise." Ainsi, en deux ans, 106 entreprises ont été créées au sein de Beelys, dont 88 % de sociétés.

Optimisme

Cet attrait des 18-30 ans pour l'entrepreneuriat peut aussi s'expliquer par un plus grand "individualisme", selon Jean-Claude Lemoine, directeur d'IncubaGem, l'incubateur de Grenoble école de management. "Ils cherchent un épanouissement à titre personnel." Autre raison de cet engouement : "Les outils pour créer une entreprise sont plus faciles, plus accessibles. On peut par exemple penser au statut d'auto-entrepreneur, un bel outil juridique, mais aussi à Internet, qui offre de facilités d'accès à l'information."  Par ailleurs, le mot même d'entrepreneur est aujourd'hui valorisé, ce qui n'était pas le cas il y a encore une dizaine d'années. Pour exemple, lors de l'entretien d'entrée pour intégrer Grenoble école de management, "auparavant nous cherchions des auditeurs, aujourd'hui, nous voulons des entrepreneurs".

Un glissement que constate également Alain Asquin : "Entreprendre était considéré comme un mot effrayant. Maintenant, il est la qualificatif positif d'une personne entreprenenante." Pour lui, cet acte est également devenu un sujet "optimiste". Il induit "un mode de vie, peut-être imaginé de manière romantique par les étudiants, mais ils veulent se sentir plus libres." Cette perception positive de l'entrepreneuriat se traduit dans les chiffres puisque selon le rapport d'Alain Fayolle, "il est perçu comme un bon choix de carrière par 62 % des 18-24 ans et 54 % des 25-30 ans, et il peut offrir un haut statut social pour 70 % des 18-24 ans et 71 % des 25-30 ans."

Barrières

Aussi, l'envie, l'intention d'entreprendre des jeunes Français est plus importante que celle des jeunes d'autres pays développés comparables, y compris celle des jeunes Américains. Pourtant, le taux d'entrepreneuriat, lui, est plus faible. Signe que le passage de l'envie à l'action reste difficile à mettre en œuvre. Car des freins perdurent.

A commencer par "l'autoperception des compétences", indique Alain Fayolle. Lors de leur sortie des études, certains ne se sentent pas en capacité de se lancer directement dans le grand bain entrepreneurial et préfèrent, dans un premier temps, intégrer une entreprise. Elle devient un moyen d'acquérir ou de consolider leurs compétences. "J'avais envie de travailler dans une grande entreprise et de monter en compétences, d'acquérir de l'expérience et de comprendre les différentes problématiques dans une société pour les assimiler et trouver mes propres règles", illustre Pauline. Ancienne étudiante de Skema, l'école de commerce lilloise, elle cherche aujourd'hui sa voie après trois ans passés en entreprise. Jusqu'à créer son entreprise ? "C'est une chose à laquelle je pense car ça peut me permettre d'exprimer mes idées, et non pas celles d'un autre, et de les mettre en action." Comme elle, la proportion de jeunes qui souhaitent créer une entreprise cinq ans après la fin de leurs études est plus importante que ceux qui veulent en créer une directement à la sortie.

Les autres barrières peuvent également être sociales, "certains étudiants peuvent aussi ne même pas l'imaginer, indique Alain Asquin. Par exemple, les jeunes filles sont souvent meilleures élèves à l'école et elles suivent une réussite conformiste, qui passe par l'obtention du diplôme." La famille peut également jouer un rôle important dans la décision, ou non, de devenir entrepreneur.

Alors "effet de mode ou véritable lame de fond ? Aujourd'hui, je ne saurais pas y répondre. La seule chose dont nous sommes certains c'est que jamais les jeunes n'ont autant eu envie d'entreprendre", conclut Alain Fayolle.

* L'ensemble des chiffres cités dans l'article sont tirés du Global Entrepreneurship Monitor et synthétisés dans le rapport d'Alain Fayolle pour la chaire transitions démographiques transitions économiques.

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Commentaire 1
à écrit le 18/06/2017 à 23:32
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Bravo pour cet article qui montre que la jeunesse n'est pas signe d'incompétence et fainéantise. Ils ont l'envie d'entreprendre. Donnons leurs les moyens techniques maintenant. Vous pouvez découvrir nos portraits de jeunes décideurs et leurs conseils...

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