Pascale Chrétien : "L'entreprise doit s'occuper en priorité de ses collaborateurs"

Directrice de la qualité au sein du groupe EFI Automotive (CA : 220 M€), Pascale Chrétien a reçu lundi l'insigne de Chevalier de l'ordre national du mérite. Une distinction qui vient récompenser le parcours de cette ingénieure de formation, qui a passé une majeure partie de sa carrière dans l'industrie, des poêles de chauffage aux capteurs pour automobiles. Impliquée dans la montée en compétences de ses équipes, elle revendique un management qui tient à s'occuper des individus, avant même la qualité ou la productivité. Son rôle ? Fixer un cadre dans lequel chacun évolue en autonomie.

Acteurs de l'économie - La Tribune. Vous venez d'être décorée de l'insigne de Chevalier de l'ordre national du mérite par Clara Gaymard à l'hôtel de Ville de Lyon. Pour vous, que représente cette distinction, que peu de femmes issues du milieu industriel ont obtenue avant vous ?

Pascale Chrétien. Je me suis demandée pourquoi ma candidature, proposée par le cabinet du ministère de l'Economie et des Finances, avait été retenue. Mon parcours, et son caractère atypique - en tant que femme - ont certainement joué. J'ai aussi certainement été repérée car en 2013 j'ai été récompensée "Femme de production" des trophées des femmes de l'industrie de l'Usine Nouvelle. Mais le seul mérite que j'ai est d'avoir rencontré beaucoup de personnes auprès desquelles j'ai beaucoup appris. J'accueille cet insigne avec une grande modestie.

Dans Partage de valeurs, collection Entrepreneurs Forever, vous avez déclaré : "Dites bien que les jeunes filles ne doivent pas avoir peur de l'industrie". Or l'un des freins à l'entrée de femmes dans des univers réputés masculins est l'absence de personnes auxquelles d'identifier. Une telle décoration peut-elle faire de vous un "rôle modèle" ?

Avec l'association Femme Ingénieur, dont je fais partie, nous allons dans les collèges et lycées pour promouvoir le travail d'ingénieur et montrer sa diversité. Ce statut ouvre toutes les portes, dans tous les métiers. Il ne doit pas effrayer les jeunes femmes. Toutefois, je ne suis pas favorable à la mise en place de quotas. Il est seulement important d'embaucher les bonnes personnes avec les bons talents.

Quand je suis entrée dans le monde du travail, il y a trente ans, nous avions moins facilement accès à l'information. Je suis arrivée dans cet univers un peu par hasard, en fonction des opportunités. La seule décision que j'ai vraiment prise était celle de travailler dans la qualité car cette fonction me donne une vision globale de l'entreprise. J'ai rapidement compris que ce service transversal me permettrait de comprendre les rouages de l'entreprise. Mais si j'aspire à conserver une vision globale, je reste une femme de terrain : il faut savoir naviguer entre les deux. Impossible de savoir comment est l'eau si on ne met que le doigt dans le bocal. Il faut plonger.

J'ai débuté ma carrière chez Thomson, à la qualité pendant deux ans. C'est à ce moment là que je me suis rendue compte que les grands groupes ne me convenaient pas. Il est justement impossible d'avoir cette vision globale car on ne voit que quelques morceaux de puzzle. Par la suite, je n'ai travaillé que dans des entreprises à taille humaine.

Parmi ces entreprises figure Recticel, qui détient alors la marque Bultex. Après onze ans dans cette société, vous partez vous installer en 2003 en Italie. Vous obtenez rapidement un poste de directrice de production dans une usine de poêle de chauffage, Falci. Comment avez-vous relevé le challenge de l'expatriation ?

Chez Bultex, j'ai été responsable qualité, puis de production, chef d'atelier, responsable de production, à la supply chain. Ensuite j'ai eu la chance de construire une usine, et de devenir la directrice du site. En 2003, quand je suis partie en Italie, l'expatriation s'est passée naturellement. Quand vous n'avez pas le choix, que vous devez vivre dans un pays, vous devez vous adapter. Je ne connaissais pas l'italien. J'avais seulement appris mon CV par cœur, ainsi qu'une vingtaine de pages pour pouvoir prononcer quelques phrases. Cela m'a permis de développer l'écoute dans la mesure où quand on ne connaît pas la langue, on est obligé de prêter davantage attention. Falci avait une problématique : passer d'une organisation artisanale à une organisation industrielle. Ce que je savais faire.

Vous rentrez en France en 2006 et prenez la direction industrielle de Dietal, fabricant de luminaires. L'entreprise auvergnate détient alors deux usines en France et une autre en Roumanie. Vous devez accompagner la fermeture d'un des sites. Quels enseignements avez-vous retiré de cette expérience ?

Lors de la crise de 2008, nous avons été contraints de fermer une usine dans le nord de Lyon, à Belleville. Ce fut un moment difficile. Cette usine avait déjà connu nombre de plans sociaux. Il restait alors 86 personnes : elles étaient les plus expérimentées mais n'avaient pas forcément de diplômes. Or, dans le modèle français, sans diplôme il est difficile de trouver un emploi. Pourtant, ils avaient acquis des compétences au cours de leur carrière dans l'entreprise. C'est à ce moment là que je me suis rendue compte que nous aurions dû travailler davantage sur la valorisation des acquis d'expérience pour qu'ils puissent retrouver une employabilité. Désormais, je coache mes collaborateurs pour les faire monter en compétences, soit grâce à ma courte expérience, soit par l'intermédiaire de supports de formation mis à notre disposition en France.

Dans ce sens, vous avez déclaré : "J'ai créé de la valeur chaque fois que je me suis occupée, dans cet ordre précis, des gens, puis de la qualité, puis du service client, puis de l'efficience et de la productivité." Le facteur humain doit-il passer avant tout dans l'entreprise ?

Si on ne s'occupe pas d'abord des individus, si on n'apporte pas l'énergie nécessaire, cela ne sert à rien. Aujourd'hui, je parcours le monde car nous avons des usines sur tous les continents et s'il est bien une chose qui nous rapproche, c'est cette idée de création de lien. Après, les façons de manager sont différentes.

Par ailleurs, si l'on tient compte en priorité de nos collaborateurs, notre niveau d'exigence peut être sans limite par la suite. Le cadre que l'on donne est un espace de liberté. Si le manager ne donne pas de cadre, ses collaborateurs ne pourront pas savoir s'ils ont bien exécuté leur tâche. Ils sont alors freinés. Je dirige, car il faut donner un cap, un sens. Et ensuite, j'essaye de fixer un cadre dans lequel chacun évolue pour qu'il puisse savoir dans quelle aire de jeux il peut avoir autonomie de décision, d'innover, d'avancer.

En 2009, vous suivez le programme AMP (Advanced Management Programme) au sein de l'emlyon. Cette démarche est-elle liée à une envie de relever un nouveau challenge, un besoin de monter en compétences ou un défi personnel ?

Il faudrait tous les dix ans se remettre en cause, et ne pas rester sur ses acquis. Plus je voyage, plus j'en suis persuadée. Par exemple, quand je vais en Chine, je vois les choses bouger en l'espace d'un mois seulement. Il est bon de se remettre en cause, de prendre des pauses et d'avoir du recul pour mieux avancer par la suite.

Concernant cette formation, j'avais besoin de reprendre les fondamentaux en stratégie et en finance. Pour le volet leadership, les enseignements étaient nouveaux. Cette formation m'a permis de conceptualiser des actions que je percevais, de donner du sens à des pratiques que j'avais de façon intuitive.

Entrée en 2012 chez EFI Automotive, une ETI spécialisée dans les capteurs pour automobiles, vous êtes depuis 2014 chargée du déploiement du plan stratégique et directrice de la qualité et de l'amélioration de la performance du groupe. Quels défis devez-vous relever ?

EFI Automotive est une entreprise de taille intermédiaire ayant une culture internationale jeune - la première usine chinoise existe depuis un peu plus de dix ans. La société reste encore ancrée à Beynost. L'idée est de la développer, d'en faire une entreprise globale. Nous ne voulons pas centraliser, mais plutôt que les filiales restent autonomes sans être indépendantes. Pour ce faire, le groupe s'appuie sur des standards - comme les valeurs, la vision, les principes d'action - ensuite déclinés en fonction des sites.

Lors de votre arrivée, votre rôle était également de mettre les "usines françaises au niveau d'excellence". Qu'en est-il aujourd'hui ?

Ce n'est pas seulement mon rôle. Toutes les usines ont bien progressé, même si du travail reste à faire. Après, je ne pense pas que l'usine française soit celle référente. Mon travail est aussi d'aller chercher les bonnes pratiques partout, de ne pas sectariser les usines. Mais justement de montrer qu'elles sont les bonnes pratiques visibles afin de valoriser le travail de chacun.

Développement durable, technologies numériques (big data)... le secteur industriel est aujourd'hui en pleine mutation, contraint de s'adapter pour ne pas mourir. Comment intégrez-vous ces enjeux au sein de vos usines ?

On se met dans le mouvement. Sur la question du développement durable, nous avons sorti notre première charte RSE (responsabilité sociétale des entreprises) sur l'éthique des affaires, les achats durables, ou les questions de sécurité et d'environnement. Elle figure désormais dans les comptes sociaux de l'entreprise. Cet exercice nous a permis de nous rendre compte que nous remplissions déjà de nombreux critères, sans pour autant la savoir. Nous sommes également poussés dans cette démarché par nos clients, les constructeurs automobiles.

EFI Automotive investit chaque année 8 % de son chiffre d'affaire en R&D. A quels projets ces investissements sont-ils destinés ?

Nous devons développer de nouveaux produits afin de suivre la législation du marché. Les normes évoluent beaucoup dans le milieu automobile. Par ailleurs, nombre de nos capteurs sont liés aux émissions diesel et essence. Or, si en 2040, comme le veut le gouvernement, nous ne devrons plus vendre de voiture diesel, nous devons nous adapter au marché. Nous devons nous tenir prêt face à cette tendance à l'électrification des véhicules. Toutefois, notre stratégie ne peut pas être monoforme car la vitesse de chaque pays est différente. Par exemple, en Chine, je prends un taxi électrique depuis deux ans. L'impulsion que nous allons donner en sera donc pas la même en Chine qu'aux Etats-Unis.

Pour développer ces nouveaux capteurs nous nous appuyons sur des centres d'expertise comme le CEA, nous intégrons également beaucoup les fournisseurs pour comprendre ce qui se fait. En outre, pour être en amont dans les développements, afin d'être en avance au moment où sortent les spécifications techniques, la proximité client est essentielle.

L'un de nos enjeux est d'accélérer sur cette partie innovation afin d'être en temps et en heure avec les ruptures qui arrivent dans le monde de l'automobile.

Quelle est la feuille de route d'EFI Automotive pour l'année 2018 ? Avez-vous des projets d'ouverture d'usine ?

Nous devons continuer à nous développer, à être rentable. Nous visons également de nouveaux clients, au Japon, et continuons à développer notre présence en Allemagne, où sont présents les donneurs d'ordre. L'avantage d'être sur tous les continents est que notre marché est mondial : quand nous gagnons des affaires en Chine, nous pouvons ensuite les récupérer au Mexique ou aux Etats-Unis.

La question des ouvertures d'usine reste en discussion. En Amérique, nous avons une usine aux Etats-Unis et une autre au Mexique. Celle mexicaine est le low-cost de l'Amérique. Nous avons le même modèle en Europe, avec une usine en France, et une autre en Turquie. Cependant, en Asie, nous avons seulement un site en Chine. Dans un projet global, il ne serait pas impossible d'envisager l'ouverture d'une usine low-cost sur ce continent. Il faut savoir que chaque usine livre son propre continent, pour des questions de leadtime, pour s'affranchir des problèmes de devise.

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