STMicroelectronics : l'innovation de la dernière chance ?

L'annonce de mesures de chômage partiel, assortie d'une possible mise à l'arrêt de la division numérique de STMicroelectronics, électrise les salariés. Pour sortir de la crise, le groupe franco-italien veut parier sur sa dernière technologie FD-SOI, développée sur son site isérois de Crolles avec le CEA-Leti et Soitec. Un projet ambitieux pour l'entreprise et qui s'attaque au marché des objets connectés malgré des difficultés à convaincre les industriels.

L'année 2015 sera-t-elle celle du redémarrage de STMicroelectronics ? La direction du géant des semi-conducteurs s'essaye à vouloir faire oublier le climat social et économique tendu qu'elle rencontre ces dernières années. Entre 2007 et 2011, le groupe a enregistré des pertes d'emplois assorties de mesures de chômage partiel, ainsi qu'un effondrement de son chiffre d'affaires de 20 % à partir de 2005, dérapant alors de la 3e à la 11e place mondiale dans le classement de l'industrie des semi-conducteurs.

Le graal du FD-SOI

Pour rebondir et redorer son image, l'entreprise franco-italienne veut croire en la commercialisation du FD-SOI, sa dernière innovation développée depuis plusieurs années dans son usine de Crolles (Isère), et fruit d'une collaboration avec le CEA-Leti et le fournisseur Soitec, tous deux basés aussi dans le département. Annoncée comme pouvant révolutionner le marché des transistors dans les domaines du numérique, de l'automobile, voire à terme les microcontrôleurs et les imageurs, cette technologie repose sur une couche isolante ajoutée au milieu du wafer (plaque de semi-conducteur) et dont l'intérêt est de réduire les parasitages et les fuites de courant. ST compte démarrer la commercialisation, dès les mois prochains, des licences et des produits intégrant le Fully depleted silicon on insulator à destination des industriels de l'électronique.

À moins que l'annonce du Pdg Carlo Bozotti faite, en mai dernier, à Londres, face à des investisseurs, ne vienne contrarier cette ambition en portant un nouveau coup dur à l'entreprise, déjà rudement fragilisée. « Les niveaux de perte deviennent intenables. Le problème nécessite d'être réglé et nous allons y procéder », avait évoqué le dirigeant italien, au sujet de l'avenir de la division digitale du groupe (DPG), qui représente 12 % des 6,6 milliards d'euros de son chiffre d'affaires (chiffre 2014). Si le scénario d'une mise à l'arrêt venait donc à se confirmer, le site historique de Crolles pourrait être durement touché.

Une locomotive de la microélectronique locale

Depuis sa création en 1992, l'usine iséroise est ainsi l'une des principales locomotives de la filière microélectronique locale employant près de 3 900 personnes et générant quelque 20 000 emplois indirects sur le bassin grenoblois. De quoi rendre inquiets les syndicats de salariés, toujours en alerte, mais aussi certains partenaires.

« Aujourd'hui, Crolles est le site de fabrication des technologies numériques du groupe, avec des produits comme la Set-Top Box (décodeur pour la télévision). Si nous supprimons cette activité, nous n'aurons pas besoin d'atteindre le seuil technologique du 28 nm FD-SOI (noeud technologique limitant la taille des puces. Cela correspond en quelque sort au pixel sur une photo, NDLR) avant 15 ans, pour les produits restants, tels que les microcontrôleurs et les cartes de sécurité », met en garde Jean-Marc Sovignet, délégué central CFE-CGC de STMicroelectronics.

Autrement dit, plus les systèmes évoluent grâce à la R&D, plus cette taille aura tendance à se réduire pour être produite en plus grands volumes et embarqués dans de plus petits objets : 28 nm puis 24, 22, 18, 14, etc. Pour le syndicaliste, l'hypothèse de la fermeture du site isérois et son impact sur l'emploi seraient pour l'heure variable, en fonction du périmètre concerné :

« Il pourrait s'agir de DPG, qui inclut trois divisions dont celle qui travaille sur les circuits avancés. Ou alors seulement cette dernière. Il est très difficile d'obtenir une information précise. »

40 000 emplois induits par les nanotechnologies

Des sources estiment que l'entreprise pourrait profiter de cette réorientation afin d'accueillir, à Crolles, une partie de l'activité microcontrôleurs du groupe, jusqu'ici localisée sur le site de Rousset, dans les Bouches-du-Rhône. Mais ce ne serait pas sans conséquence, d'après Jean-Marc Sovignet :

« Crolles 2 (installée à proximité de l'usine historique Crolles 1, NDLR) n'est pas taillée pour cela. Les coûts de production seraient alors plus élevés. »

Si la construction de Crolles 3, annoncée pour le FD-SOI, a bel et bien commencé, « la direction se laisse la possibilité de la dédier à d'autres activités comme celles du site de Rousset », glisse Dominique Savignon, secrétaire du comité d'entreprise pour la CGT. Un élément que la direction du groupe ne souhaite pas commenter, mais qui sème l'inquiétude au sein du tissu grenoblois. « S'il n'y avait pas d'entreprises telles que ST dans la région, posséder un tel tissu de chercheurs ne servirait plus à rien, rappelle Jean-Pierre Bernard, professeur associé à Grenoble Ecole de management et dirigeant de Nanolab, société de consulting spécialisée dans l'ingénierie. Nous comptons près de 40 000 emplois induits par les nanotechnologies au sens large. » Pour lui, le FD-SOI fait partie intégrante de l'écosystème local :

« C'est un ensemble de partenaires locaux qui la font exister : de sa conception par le CEA-Leti, au fournisseur de couche isolante Soitec à ST qui en réalise les briques de base, en passant par d'autres sociétés qui bâtissent des applications. »

Pour Soitec, son principal fournisseur en substrats avancés, cette annonce est donc « forcément inquiétante ». « Mais ST a suffisamment développé cette technologie et convaincu le monde pour que Samsung et GlobalFoundries puissent l'utiliser », estime Christophe Maleville, directeur digital electronics chez Soitec.

En concurrence avec Intel

Sur ce marché, le groupe franco-italien se retrouve face à l'américain Intel, qui a commercialisé dès 2012 une technologie concurrente, le FinFET.

« Il n'est pas certain que celle-ci parvienne à s'imposer, car elle nécessite de changer les règles de composition des circuits, pour les concevoir en 3D et non plus en 2D », explique Arnaud Bournel, responsable du master information, systèmes et technologies à l'Université Paris-Sud et expert en nanoélectronique pour l'Observatoire français des micro et nanotechnologies (OMNT).

En raison de son adaptabilité et de ses meilleures performances en matière d'efficacité énergétique et de réduction des courants de fuite, le FD-SOI serait particulièrement mieux adapté aux technologies embarquées comme les objets connectés et les téléphones mobiles. « Les industriels font face à des demandes pour réduire la consommation d'énergie et à une miniaturisation de plus en plus importante », explique Jean-Pierre Bernard, qui y voit là un avantage de taille pour la technologie de ST.

Son principal atout : conçue sur la surface des tranches de silicium, « la FD-SOI obtient de meilleurs rendements que le FinFET, plus difficile à produire. En revanche, ses plaques de silicium sont plus coûteuses », nuance Jean-Pierre Della Mussia, ancien rédacteur en chef du magazine Electronique International, aujourd'hui consultant indépendant. Du côté de l'entreprise iséroise, Laurent Malier, directeur de la plateforme technologique répond que « le FD-SOI présente de bons points pour toutes les applications demandant de l'autonomie, et où la puissance requise est variable, car elle possède une vraie capacité à s'ajuster ».

Sony intéressé

Pour autant, ses arguments seront-ils suffisants pour convaincre les industriels ?
Début mai, le constructeur japonais Sony a fait savoir qu'il l'utiliserait pour équiper sa prochaine génération de circuits de géolocalisation tandis que le coréen Samsung, qui devait franchir le pas après l'acquisition de licences, continue de jouer sur les deux tableaux en annonçant la production de son futur processeur Exynos en 10 nm FinFET d'ici à fin 2016. « Bien que le marché n'ait pas encore tranché, la cote du FinFET a remonté en flèche après cette annonce », estime l'expert Arnaud Bournel, rappelant que si Samsung venait à abandonner la FD-SOI, ce serait un gros point noir pour ST. Le groupe coréen aurait ainsi l'habitude de mettre en concurrence deux technologies pour choisir la meilleure. « La FD-SOI représente pour Samsung une porte de sortie, au cas où le FinFET ne soit pas un succès », pense Jean-Pierre Della Mussia.

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