SITL : l'administrateur judiciaire, le seul véritable gagnant du dossier

« 15 heures par jour pendant six mois ». C'est à ce rythme que l'administrateur Robert-Louis Meynet a conduit le redressement judiciaire d'une société SITL que « tout », reconnait-il, promettait à la disparition. Il apparaît au carrefour de toutes les injonctions paradoxales, qu'il est parvenu à déminer grâce à un sens - et un opportunisme - politiques aigus, et un incontestable talent de contorsionniste. Le seul véritable gagnant du dossier.
"Pourquoi SITL a-t-elle été sauvée alors qu'absolument aucun argument économique ou industriel ne le justifiait ?"

« Hors norme ». C'est ainsi que l'administrateur judiciaire nommé par le Tribunal de commerce de Lyon résume un dossier auquel, du 2 janvier au 18 juin 2014, il s'est consacré « 15 heures par jour sans interruption ». Hors norme - « c'est même du jamais vu en France » - car 400 licenciements ont été évités dans une entreprise alors « sans clients, sans fournisseurs, sans outil de travail, sans activité ».

Un chiffre illustre l'ampleur de ce dossier : 9 000, soit le nombre de mails qu'il a échangés. Il ? Robert-Louis Meynet, aux commandes de l'étude éponyme. Et dont les singulières épithètes employées pour caractériser l'envergure du chantier posent, malgré elles, LA question : pourquoi SITL a-t-elle été sauvée alors qu'absolument aucun argument économique ou industriel ne le justifiait ?

"Bagarre de tous les instants"

Ces six mois seront ceux d'une « bagarre de tous les instants », conduite aux côtés du juge commissaire Jacques Delille, et émaillée d'une série ininterrompue d'obstacles, de rebondissements, de déconvenues, d'espoirs... et de négociations avec - ou sous la pression - d'un environnement politique national et local omniprésent. Des comptes SITL opaques ou « très compliqués » à déchiffrer, un enchevêtrement de structures juridiques qui révèle que le seul actif de l'entreprise : les brevets et savoir-faire, est la propriété personnelle de Pierre Millet et peut donc échapper à la procédure de redressement, un modèle économique ubuesque - SITL, alors productrice quasi exclusivement de machines à laver, avait pour client et pour fournisseur uniques une seule et même société, FagorBrandt, à laquelle elle était donc totalement inféodée. Enfin, des relations antithétiques avec le Tribunal de commerce de Nanterre, en charge de gérer le redressement en France de FagorBrandt et l'avenir des 1 750 emplois.

MDA et Grand Frais en lice

Mais Robert-Louis Meynet va prendre appui aussi sur la détermination « sans faille » et l'implication « de chaque instant » du préfet Jean-François Carenco (qui, pour l'épauler au quotidien, met à sa disposition le préfet Patrick Férin), sur le « remarquable » investissement de la délégation régionale des services de l'Etat pilotée par Pascal Bodin, sur la « qualité » des équipes de l'Aderly (Agence pour le développement économique de l'agglomération lyonnaise) qui exerceront un « rôle majeur » pour séduire des repreneurs étrangers, et sur les prémices « encourageants » d'une reconversion industrielle vers les véhicules électriques et les filtres à eau initiée « avec flair et conviction » par le Pdg de SITL.

Quelques candidatures se manifestent. Parmi elles, celle de Michel Vieira, Pdg du spécialiste lyonnais de l'électroménager discount MDA, qui renoncera faute d'obtenir du repreneur de FagorBrandt la cession d'une des marques phares ; celle aussi de la chaîne de supermarchés Grand Frais - propriété de la famille Bahadourian -, selon nos informations découragée par les services du maire de Lyon hostiles à l'implantation d'un nouveau spectre pour les commerces de proximité.

L'offre d'Abu Dhabi hâtivement écartée ?

Deux offres crédibles se profilent alors. Celle de Cenntro Motors, et celle d'un fonds d'Abu Dhabi, Al Amana, représenté en France par Emmanuel Delepoulle, Pdg de la société iséroise Snep Euroform. Son prix de cession proposé est le mieux disant, elle prévoit l'investissement d'au moins 25 millions d'euros et la reprise de 218 salariés, et, explique le délégué CFE-CGC François B. laudateur sur la pertinence du projet et le professionnalisme des futurs dirigeants, a la préférence d'une partie des organisations syndicales. Las, l'imbroglio juridico-administratif portant sur l'enjeu majeur : les 64 000 m2 de terrain, aggravé par le recours intenté sur la cession dudit terrain par l'avocat de la CGT Fiodor Rilov, effrayent les investisseurs de l'Emirat et les dissuadent d'accomplir leur engagement financier.

Cette condition suspensive non honorée, l'offre devient caduque. Reste quelques questions aux interprétations les plus contrastées : l'administrateur judiciaire et ses partenaires institutionnels ont-ils traité de manière impartiale cette offre que d'aucuns jugeaient particulièrement fiable, c'est-à-dire à la fois solide financièrement et inférieure mais réaliste socialement ? Ont-ils « tout » ou au contraire « peu » fait pour sécuriser le risque de ces investisseurs ? Ont-ils espéré que s'impose l'offre de Cenntro Motors, qui assurait la préservation du double d'emplois - selon l'article R 663-3 du code du commerce, l'un des deux facteurs, avec le chiffre d'affaires, déterminant la rémunération de l'administrateur - mais aussi permettait au Grand Lyon de réaliser une juteuse opération immobilière ?

« L'insauvable sauvé »

In fine seule en course, cette dernière s'acquitte d'un chèque de 500 000 euros, préférant maintenir son offre plutôt que d'attendre la liquidation judiciaire - dans le cadre de laquelle, précise le président du Tribunal de commerce Yves Chavent, certes elle ne déboursait pas les 15 millions d'euros promis sur trois ans mais ne pouvait non plus prétendre aux conditions de négociation du terrain ou à l'accompagnement des pouvoirs publics. Une stratégie qui d'ailleurs continue d'interloquer parmi les acteurs du dossier.

Robert-Louis Meynet, dont les détracteurs ne manquent pas d'insister sur l'affaire de corruption dans laquelle il apparaît dans les années 2000 et dont il sortit blanchi en première instance, en appel et en cassation, aura indéniablement accompli un coup de force : « sauver l'insauvable ». Sa rémunération ? « 40 000 euros », qui, rapportés aux 4 700 heures de travail - dont près de la moitié accomplie par lui-même - réalisées par son cabinet, s'apparentent à un sacrifice financier... mais aussi à une démonstration professionnelle et donc à un « investissement sur l'avenir » dont son étude ne devrait pas manquer de tirer profit. « Il jouait une carte majeure de sa carrière. Il a réussi », reconnaît l'un de ses contempteurs.

 >> A suivre ce vendredi : "J.-F. Carenco, A. Montebourg, B. Vallaud : lutte au sommet de l'Etat."

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