Monin Mécanique, la stratégie par les hommes

A la reprise de l’entreprise familiale, Sébastien Monin a fait le choix de revoir entièrement sa gestion dans un but précis : pérenniser l’activité et les emplois. Un lourd chantier sur dix ans qui demande l’implication de l’ensemble des salariés, au quotidien.
Nicolas Martinez et Sébastien Monin ont mis en œuvre le système de production Monin Mécanique. Reportage photo : Laurent Cerino/Acteurs de l'économie

Sur une partie des murs de l'entreprise familiale, de grands panneaux blancs affichent des tableaux dessinés au feutre dans lesquels sont inscrits un ensemble d'éléments difficilement déchiffrables pour un non initié. On distingue des points d'amélioration, des objectifs à réaliser et problèmes à résoudre ; on peut y lire aussi leur état d'avancement, des indicateurs et même y voir griffonnés… des pendus (comme le jeu éponyme).

Des ensembles intégrés au Système de production Monin Mécanique (SPMM) et classés dans deux grandes catégories appelées Kaizen (amélioration en japonais) Technique et Kaizen Organisationnel. Un concept de gestion d'entreprise dérivé du Toyota product system (TPS). Sans notion, difficile à nouveau de comprendre de quoi il s'agit. Si bien qu'en simple visiteur, on se croirait dans un cours de stratégie d'entreprise enseigné aux étudiants d'écoles de commerce, voire même dans le bureau d'un mathématicien.

Une PME spécialisée dans la haute précision

Nous sommes en fait à Rillieux-la-Pape dans l'entreprise Monin Mécanique. Une PME industrielle, sous-traitante pour l'aérospatial, l'armée et les équipementiers automobiles. Une société de 35 salariés spécialisée dans la production, de haute précision, de petites séries et qui, malgré de belles références, subit comme tant d'autres, en bout de chaîne, les conséquences de la crise de 2008.

Métier « difficile », « contraignant » et « cyclique », qui demande aux salariés de Monin Mécanique précision et attention, la filière de la sous-traitance se doit d'évoluer, d'innover et consolider l'existant sans pour autant occulter le savoir-faire et les Hommes qui font sa richesse. En 2011, à seulement 24 ans, lorsqu'il reprend les commandes de l'entreprise familiale créée un demi-siècle plus tôt par son grand-père (Pierre-Eugène), Sébastien Monin s'y est engagé. Il change radicalement la stratégie de l'entreprise avec pour objectifs : « Pérenniser l'activité, gagner de l'emploi et surtout des parts de marché ». Sans en dénaturer l'histoire.

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Anthony Aguilar, tourneur sur commande numérique dans l'atelier de Monin Mécanique

 Les fondamentaux sont identiques mais le marché est global

La sous-traitance ne ressemble plus à ce qu'elle était durant et après les Trente Glorieuses. Entre 1948 et l'ouverture du petit atelier Monin Mécanique de 35 m2 à Villeurbanne, et 2012, année du « plus gros investissement dans l'histoire de l'entreprise » avec l'achat d'un centre de tournage-fraisage pour un montant de 720 000 euros, les fondamentaux du métier sont restés les mêmes mais le marché s'est globalisé, les crises se sont multipliées et les machines de plus en plus perfectionnées sont arrivées. Obligeant les entreprises à se transformer, et les salariés à évoluer et se former.

« Il y avait un écart entre les attentes des clients et l'entreprise, indique Sébastien Monin, passé par l'Ecole catholique d'arts et métiers (Ecam) de Lyon. Il fallait donc pousser l'organisation de l'entreprise sans qu'elle se fasse au détriment de l'équipe. Ce qui, en France est généralement l'inverse. » Le jeune patron a donc fait le choix de sortir la PME de l'artisanat à son industrialisation en faisantdes tableaux, schémas et fiches pratiques tout azimut dignes d'un chercheur.

Instaurer le management par le lean

En duo avec Nicolas Martinez, rencontré sur les bancs de l'école lyonnaise, depuis promu chef d'atelier, ils étudient un moyen de perfectionner l'outil industriel de Monin Mécanique au profit des Hommes et de l'entreprise. A lui le flux physique de la production, et Sébastien Monin les problématiques d'encadrement. A l'âge où les étudiants préfèrent les soirées aux dissertations, les deux apprentis-ingénieurs planchent « nuit et jour » pendant un an sur la nouvelle stratégie. Pour parvenir à ces tableaux et schémas, ils s'appuient sur une méthode apprise à l'école : le lean management. Une philosophie à leurs yeux qui n'est autre qu'un système de gestion d'entreprise qui découle du Toyota product system (TPS). Un concept développé au Japon par le groupe Toyota au début des années 1960, pour lequel tous les éléments contribuent à un tout.

Auparavant, « on ajoutait des briques les unes sur les autres, en fonction du temps. Lorsque nous sommes arrivés, nous avons tout remis à plat en appliquant notre concept : le système de production Monin Mécanique ». Son but : « Elimination des gaspillages, développement et amélioration continus des compétences des individus et réflexion à long terme. » Une nouveauté pour une petite entreprise de mécanique, habituée depuis sa création, à la gestion traditionnelle. « Avant nous étions autonomes, mais on ne s'occupait que de nos productions, il n'y avait pas ou peu de suivi », explique Denis Berthet qui entame sa dixième année au poste de tourneur. « Il fallait donc faire quelque chose pour gagner en qualité, en temps et en optimisation », se félicite Anne-Sophie Guerpillon qui en dehors de ses cours de droit international à l'université multiplie les contrats avec l'entreprise.

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Monin Mécanique est une PME spécialisée dans la haute précision

Habituer, démystifier, convaincre

Mais modifier des habitudes de travail n'est pas une sinécure. Surtout quand certains ont connu deux générations de patrons. Cependant l'avantage de Sébastien Monin, à son arrivée, est d'avoir eu le soutien permament de son père Pierre, directeur de la société en 1971. En douceur et progressivement, la transmission s'est faite. Même s'il a fallu « convaincre » des bienfaits du changement. A l'écoute du projet, Pierre Monin est de loin le premier à l'avoir encouragé et lui donner carte blanche. Il faut dire que l'ancien directeur partage un point commun avec lui : « Privilégier l'Homme à la rentabilité ».

Gérer son entreprise tel un bon père de famille, c'est ce qu'il lui a inculqué. Et les deux hommes sont habités par la même envie : voir évoluer l'entreprise pour ne pas la laisser péricliter au profit d'un concurrent. « J'ai repris une société en bonne santé, précise Sébastien Monin. Mon père, qui adore les chiffres, a mis en place la gestion analytique de l'entreprise à son arrivée ; moi, je m'occupe de développer un nouveau management pour rendre l'entreprise plus performante. » Jamais pessimiste, son directeur envisage d'atteindre 4,5 millions d'euros de chiffre d'affaires d'ici 5 ans malgré la baisse de 15 % de l'exercice l'année dernière. Un objectif réalisable mais qui demande alors une implication de tous. « On n'impose pas, on propose, on écoute », prévient le dirigeant passionné de philosophie qui mange, dort et pense au lean management.

Une nouvelle pensée d'entreprise

Le « travailler ensemble » justement c'est la nouvelle pensée de Monin Mécanique. Celle qui pourrait la faire évoluer. La responsable qualité, l'ajusteur-fraiseur, le magasinier, le préparateur d'atelier, tout l'effectif a dû se mettre au parfum puisque le concept demande du temps. Habituer, démystifier, convaincre. En moyenne, dix années sont nécessaires pour que le lean management se transforme en une culture d'entreprise. Dix années durant lesquelles, étape après étape, la PME familiale va se transformer. Déjà dès 2011, l'atelier a entamé sa réorganisation. La vingtaine de machines de haute précision ne sont plus alignées les unes à côté des autres mais installées dans des ilots définis. Optimisant et redynamisant ainsi l'espace.

L'atelier est aujourd'hui impeccable, net, rangé. « Pour l'image de l'entreprise, c'est important », pense Denis Berthet. Parallèlement, l'ensemble des salariés jouent le jeu. Aida Chaabouni vient tout juste d'arriver au poste de chargée de la qualité sur toute la chaîne de valeur du produit. Pour cette quadragénaire, le lean management n'est pas une nouveauté et en approuve la méthode. « Chacun apporte sa contribution pour faire évoluer la manière de faire de l'ensemble de la société. » Tout le monde a son mot à dire et peut faire remonter des informations. « Mon bureau reste toujours ouvert », insiste Sébastien Monin. « Nous sommes dans le management participatif, précise Nicolas Martinez, 26 ans et bras droit du patron. On travaille tous dans le même sens et pour un même but. »

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Denis Berthet, tourneur chez Monin Mécanique

La réussite de l'entreprise.

La méthode renforce aussi les liens. « S'il y a un problème, tout le monde s'entraide », remarque Joël Baviera, 26 ans passés dans l'ajustage et arrivé en 2011 chez Monin Mécanique à la même période que son actuel directeur. Son collègue Jean-Philippe Montillot, préparateur d'atelier, passé par l'école La Mache (Lyon) le rejoint : « C'est plus simple de se dire les choses tout en conservant le respect les uns envers les autres. »

En trois ans, l'organisation a été revue - « nécessaire si nous voulons survivre demain » -, et la proximité s'est installée. « Nous sommes suffisamment proches de nos salariés, on les tutoie. Ainsi, on a supprimé le côté solennel qui existait sous mon grand-père et mon père », justifie Sébastien Monin qui doit, à 26 ans, se faire respecter par des hommes et femmes d'expérience et plus âgés. Un respect partagé. « On sait où il veut en venir, ce qu'il veut faire », explique satisfait Denis Berthet. « L'entreprise est saine et bien gérée avec à sa tête un jeune patron dynamique à qui on fait confiance », confirme Joël Bavière.

Retour sur investissement

Aujourd'hui chez Monin Mécanique seuls quelques irréductibles pourfendeurs d'une méthode à l'ancienne montrent encore des signes de réticences face aux exposés et discours « thésards » des deux ingénieurs de l'Ecam. Tout changement amène son lot de critiques. Certains n'y voient pas l'intérêt au quotidien, sur le terrain. D'autres doutent sur leur implication demandée, en continu. Mais tous s'accordent à dire que la nouvelle stratégie engagée par leur directeur porte ses fruits.

L'entreprise de mécanique commence ainsi à en percevoir les bénéfices, encouragée également par la reprise de l'activité. Tant sur sa relation clientèle (la PME a été désignée numéro 1 par son client Safran 1 pour sa capacité organisationnelle) ; que sur le plan économique (elle a pu sauver l'année 2013 de la catastrophe grâce au chômage partiel dont le complément) ; que sur les investissements - « mieux réfléchis » (d'abord humains puisque l'entreprise va à nouveau embaucher 30 personnes à 3 ans que matériel avec l'agrandissement de 300 m2 de l'atelier).

Embarquée dans une démarche inédite mais lourde « humainement », peu commune à une PME spécialisée dans la mécanique, l'entreprise familiale fait figure d'exception dans le paysage de la sous-traitance industrielle. Elle continue de résister quand d'autres mettent la clé sous la porte. Le management par le lean en est le moteur mais pas seulement. « Nos équipes aiment l'entreprise », prévient Nicolas Martinez, les salariés croient et apprécient leurs dirigeants, et ses dirigeants « aiment ses Hommes et la technique », annonce Sébastien Monin. Un socle fondateur essentiel pour la pérennité de l'entreprise.

 Retrouvez le prochain numéro d'Acteur de l'économie en kiosques le 26 juin 2014

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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