PGE : ce que demandent les professionnels du retournement lyonnais

Leur téléphone n’a pas cessé de sonner au cours des derniers mois. Les membres de Prévention & Retournement, une association lyonnaise qui regroupe les professionnels du restructuring dressent un premier bilan de cette crise sanitaire et de ses effets sur l’exercice 2020. Une occasion de soumettre également leurs mises en garde et leurs propositions pour améliorer le dispositif de PGE en place avant qu'il ne soit trop tard.
Si rien n'est fait, le mur de dettes qui s'annonce face aux entreprises pourrait venir grever leur capacité à réaliser des investissements et entraîner des problèmes de compétitivité, mettent en garde ces professionnels du retournement.

Avec ses 150 membres, l'association Prévention & Retournement a été sur le pont au cours des derniers mois. La crise sanitaire et économique qu'a connue la France a donné du travail aux membres de cette association pluridisciplinaire, regroupant des professionnels de la restructuration des entreprises à Lyon et Marseille.

Et dans ce cadre, les professionnels de la restructuration d'entreprises ont observé qu'après une période où les chefs d'entreprise ont d'abord dû gérer «l'urgence organisationnelle», afin de savoir quels sites et personnels devaient être placés en activité partielle, comment sécuriser leur trésorerie, etc, la liste des secteurs particulièrement touchés cet autonome n'a cessé de s'allonger : tourisme, événementiel, montagne, hôtellerie-restauration, aéronautique, automobile...

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« C'est lors de ce second confinement que nous avons été davantage contactés par des entreprises qui souhaitaient engager des réorganisations, afin de pouvoir faire face au contexte économique et d'être à l'avenir plus flexibles », observe Floraine Baritel, senior manager deal advisory chez KPMG, rapporteuse de la commission finance de P&R.

Le PGE, la meilleure solution pour combattre ?

Après un recours massif au dispositif phare du PGE (qui totalise à ce jour près de 140 milliards d'euros de prêts octroyés) on a vu, au cours des dernières semaines, des voix s'élever, estimant que ces PGE n'étaient au mieux pas suffisants, voire parfois refusés aux entreprises ayant trop attendu pour les demander.

Mais aussi particulièrement délicats à rembourser dans une économie toujours menacée par la Covid-19 et le spectre d'un possible troisième reconfinement.

« Le PGE est un dispositif qui a été ouvert à toute l'économie, hormis quelques formes de sociétés spécifiques, dans la mesure où existait un réel risque de défaillance massif du fait de besoins de trésorerie immédiats. Mais cet outil n'est en pratique pas octroyé lorsque la situation est trop dégradée, pour maintenir une activité qui n'a pas d'issue », reconnaît Floraine Baritel.

« Le PGE était limité à l'équivalent de trois mois de chiffre d'affaires pour la plupart des sociétés. Mais l'une des questions qui pourrait se poser est de savoir finalement si ce PGE ne pourrait pas être porté à quatre mois d'activité plutôt que trois, pour prendre en compte le second confinement qui a également pesé sur les entreprises », remarque Paolo Zoppi, managing partner chez Clairfield International et lui aussi rapporteur de la commission finance de P&R.

Pour autant, ces professionnels mettent en avant les risques d'une telle démarche, qui aurait pour effet d'augmenter le niveau d'endettement de certaines entreprises, déjà dangereusement fort. Mais leur principale observation va plus loin : « Avec le dispositif actuel, on demande aux sociétés de rembourser l'équivalent de 25 % de leur chiffre d'affaires annuel en l'espace de cinq ans -avec un différé maximum de 12 à 24 mois-, ce qui représente en moyenne 5 % de remboursement par année, alors que la plupart des entreprises françaises présentent un résultat net de l'ordre de 2 à 3 %, et un EBITDA de 8 à 12 %. Cela ne laisse donc plus de place à de nouveaux investissements », relève Paolo Zoppi.

Faire face à un mur de dettes

Cet outil, que Floraine Baritel qualifierait volontiers « d'excellente réponse à court-terme », pourrait donc, comme certains le craignent déjà, devenir une source d'inquiétudes plus marquées alors que les premières échéances de remboursements sont attendues pour avril 2021.

« Lors du second confinement, les entreprises ont pris conscience du mur de dettes qui s'accumulent face à elles à terme », note Floraine Baritel. Cet outil évolue cependant au rythme de la crise sanitaire, et des franchises complémentaires permettant de ne débuter le remboursement que mi-2022 sont déjà proposées par le gouvernement. Une solution vers laquelle bon nombre d'entreprises pourraient probablement se tourner pour tenter de gagner un peu de temps.

Selon ces professionnels de la restructuration d'entreprises en difficulté, l'un des enjeux sera cependant de déterminer dans quels secteurs la crise actuelle pourrait, au final, s'avérer plus structurelle que conjoncturelle.

« Dans le domaine des transports aériens par exemple, les avions sont désormais cloués au sol depuis près d'un an, avec des clients qui tardent à revenir voyager, conséquence des contraintes posées à tour de rôle au sein des différents pays. Il existe donc une prise de conscience que les voyages vont être bousculés durant un certain temps », observe Paolo Zoppi.

Pour accompagner la reprise, l'association lyonnaise Prévention & Retournement estime que les entreprises françaises auront donc besoin d'accéder à des financements de leur fonds de roulement et de leur cycle d'exploitation avant de pouvoir songer à rembourser leurs dettes.

« Nous proposons donc que la capacité de mobilisation d'un PGE soit portée de trois à quatre mois d'activité d'une entreprise, et qu'il soit assorti d'une demande auprès de la Commission Européenne autorisant la France à étaler encore davantage le remboursement », note Paolo Zoppi.

 Celui-ci va même plus loin et estime qu'il faudrait idéalement que le délai de remboursement « soit porté à sept ou huit ans, avec deux années de différé afin que les échéances soient en cohérence avec les niveaux de résultat des entreprises ».

Car si aucun aménagement n'est trouvé de manière globale, l'association Prévention & Retournement craint notamment que ce ne soient les niveaux d'investissement des sociétés françaises qui pâtissent durablement de cette situation. « Les petites entreprises pourraient se retrouver face à un mur de dettes à rembourser dès cette année et auront besoin de continuer à réaliser, en même temps, des investissements pour ne pas présenter de retard de productivité face à leurs concurrents européens », rappelle Floraine Baritel.

"Il est encore temps de proposer des aménagements"

Alors que certaines entreprises pourraient être contraintes de se rapprocher des tribunaux de commerce afin d'opter pour la voie de la renégociation avec leurs partenaires bancaires de l'ensemble de leur dette, « il ne faut pas oublier qu'à chaque fois qu'une telle procédure est entamée, cela signifie pour l'entreprise la fin des prêts bancaires octroyés à l'avenir. Elles ne pourront donc pas par la suite faire appel aux banques pour financer un nouvel investissement », rapporte Paolo Zoppi.

C'est pourquoi ces professionnels estiment qu'à ce titre, il peut être encore temps pour l'État français de s'engager à proposer tout d'abord un renforcement partiel des contregaranties offertes par Bpifrance sur les prêts d'investissements aux entreprises, afin qu'elles puissent continuer à emprunter durablement pour leurs projets d'avenir.

Bien que l'Etat français ait ouvert la porte à une période de franchise complémentaire de 12 mois pour les PGE, dont les conditions d'octroi restent cependant à détailler, l'association Prévention & Retournement jugerait également bon que la France puisse proposer une conversion des PGE contractés sous forme de prêts participatifs, qui seraient élargis à l'ensemble des entreprises (TPE, PME, ETI et grands groupes), afin d'alléger la charge de remboursement de celles-ci.

Un dispositif à ne pas confondre cependant avec une entrée au capital directe ou encore à une nationalisation pure et dure : « l'idée est justement de ne pas venir diluer l'actionnariat en place, mais d'assainir la structure de bilan en venant positionner une nouvelle ligne aujourd'hui peu utilisée, qui se placerait entre les capitaux propres et l'endettement », traduit Paolo Zoppi.

Un rachat de la dette pour plus de flexibilité

Selon lui, la solution ainsi imaginée serait que le bras armé de l'Etat, Bpifrance, puisse proposer de racheter le montant de la dette contractée par une entreprise à ses partenaires bancaires, en vue de lui offrir ensuite plus de flexibilité dans le calendrier de remboursement.

Et le fait que l'État soit aujourd'hui déjà fortement engagé vis-à-vis des garanties offertes sur le PGE de l'ordre de 70 à 90 % ferait selon ces professionnels du retournement que le gouvernement aurait aujourd'hui « un double intérêt » à trouver des solutions de ce type, afin d'éviter le risque de défaillance.

« En se positionnant en quasi fonds propres, l'État pourrait ainsi offrir un outil plus flexible et un amortissement plus long sans pour autant nationaliser ou diluer le capital, puisque ces outils ne seraient rattachés aucun droit de vote ».

Une solution qui ne serait, pour l'heure, toujours prévue que pour les TPE, mais néanmoins à l'étude pour les ETI, en priorité pour les structures qui disposent d'une bonne cotation bancaire.

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