Procédures collectives : "Il existe une réforme d’envergure à mener"

Quelques semaines après le déconfinement, le président du Tribunal de commerce de Grenoble, Dominique Durand, évoque le faible nombre de dépôts de bilans à ce stade tout en se montrant prudent. Car si le nombre de procédures n’a pas encore augmenté en territoire isérois, un rebond serait encore à craindre d’ici la rentrée selon lui. Un phénomène qui lui fait penser que le système actuel des procédures collectives bénéficierait d’une réforme d’envergure, post-Covid-19.
Le président du tribunal de commerce de Grenoble, Dominique Durand, estime que l'on pourrait voir un étalement des difficultés des entreprises post-Covid se produire bien au-delà de 2022.
Le président du tribunal de commerce de Grenoble, Dominique Durand, estime que l'on pourrait voir un étalement des difficultés des entreprises post-Covid se produire bien au-delà de 2022. (Crédits : DR)

La Tribune : Quelle est la situation des entreprises iséroises quelques semaines après le déconfinement ?

Dominique Durand : Nous vivons dans une époque paradoxale où le confinement a lui aussi confiné l'ensemble des procédures collectives des entreprises. Nous avons donc eu une période qui nous a permis de diviser quasiment par deux le nombre de procédures par rapport à l'an dernier. Pour le moment, nous n'avons que trois à six procédures par semaine, ce qui est très bas.

Cela s'explique par de multiples facteurs, à commencer par des entreprises qui n'ont pas encore pu compléter leur bilan comptable en raison du confinement et du recours au télétravail généralisé. Les mesures gouvernementales ont aussi été bien ciblées sur le plan économique, ce qui fait que les entreprises ont été tenues en respiration artificielle jusqu'ici, et cela dure encore dans certains secteurs.

Etes-vous inquiet pour la rentrée ?

Ce n'est qu'à partir du mois de juillet que l'on va se trouver face à d'autres réalités. Certaines entreprises ont récupéré des capitaux qui leur ont permis de tenir à travers le dispositif des Prêts Garantis par l'Etat (PGE). Ce n'est que lorsque l'on se retrouvera face aux échéances de remboursement que l'on pourrait constater des difficultés. Or, un étalement a été prévu jusque dans les années 2022, voire 2025. La question sera de savoir si celles-ci auront bien la capacité financière de rembourser ces prêts ? On pourrait ainsi voir un étalement des difficultés se produire bien au-delà de 2022. Les procédures en France construction actuellement ont été rallongé, par ordonnance, de trois mois.

Nous devrions donc voir les premiers effets de la période Covid-19 se décaler au mois de septembre, voir à la fin de l'été. Tout déprendra également de la capacité des bars, des restaurants et de l'hôtellerie à rouvrir, et du volume d'activité qu'ils pourront réaliser. Sur ce point, il faudra également faire la différence entre l'hôtellerie de tourisme et l'hôtellerie d'affaires, qui devrait être beaucoup plus touchée, de par la nature de son activité.

Certaines entreprises s'en sortent-elles mieux que d'autres ?

Les entreprises qui étaient déjà en difficulté avant le confinement ne ressortiront pas en meilleure santé. Nous avons présidé, la semaine dernière, la première séance physique de notre chambre de conseil. Nous n'avons pu prononcer que des liquidations d'entreprises qui étaient entrées en début d'année en procédure collective. Je crains donc pour les petites entreprises au niveau national, qu'elle soit TPE, commerçants, artisans. On voit bien que l'on commence à avoir des dépôts de bilan de chaînes nationales connues, telles que la Halle, Naf Naf, ou encore André...

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Toutes souffrent de la même chose, à savoir des baux très chers avec la bulle immobilière, ainsi que des années chahutées par des mouvements sociaux liés aux gilets jaunes et à la contestation de la réforme des retraites, qui ont impacté leur fréquentation.

Ces commerçants ont également subi l'ensemble des travaux que les municipalités, un peu partout à l'échelle de l'hexagone, ont réalisé au cours des dernières années et qui ont eu pour effet fermer la circulation en ville. Les commerçants ont subi des mutations d'une brutalité colossale, avec la fermeture des services de proximité en zone rurale également.

En dehors du secteur du commerce, quels sont les "grands gagnants" et "perdants" de cet épisode ?

On voit bien que les entreprises qui travaillent aujourd'hui avec les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique sont en mauvaise position. C'est le cas avec les acteurs de la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, qui disent avoir perdu 40 à 50 % de leur activité. Ils ne vont pas pouvoir tenir si la situation perdure. Nous suivons attentivement ces dossiers car le tribunal de Grenoble est l'instance spécialisée compétente pour traiter ces sujets.

De l'autre côté, il ne faut pas oublier qu'il y avait aussi des entreprises qui étaient en procédure collective avant le confinement, et qui cherchaient un repreneur. Et sur ce plan, nous n'avons jamais eu autant de candidats, notamment du côté des PME industrielles ! Certain se sont dit que c'était une occasion de récupérer une entreprise à moindre frais, avec peu de risques, et en cherchant à retrouver une rentabilité complémentaire.

Cette période va-t-elle avoir un impact également sur la manière dont vous évaluez les dossiers qui vous sont présentés en procédure collective ?

Bien entendu, lorsque l'on a face à nous des entrepreneurs du domaine de la restauration, on ne peut pas leur reprocher les résultats des quatre derniers mois. Ils ont subi de plein fouet une crise qu'ils n'avaient pas prévu. Mais sur la décision finale, nous allons devoir décider si nous pouvons donner une chance à une entreprise en lui permettant de payer ses dettes. Cela revient avant tout à des critères de rationalité, juridiques mais surtout économiques.

Même si ce n'est pas la faute d'une entreprise, comment continuer si elle n'a plus du tout d'argent ? Nous n'avons pas le droit de la laisser creuser sa dette si elle se présente à nous en procédure collective et qu'elle ne peut plus payer ses bailleurs ou ses collaborateurs.

Cette période particulière a-t-elle mise en lumière des éléments à corriger au sein des procédures collectives ?

Malheureusement, on n'exige plus  aucune formation pour devenir entrepreneur actuellement en France. La loi Pacte a en effet supprimé les dernières formations obligatoires. Or, il s'agit d'un fantasme absolu. On va même jusqu'à tromper les gens, avec le fantasme de Steve Jobs qui a créé sa boîte dans son garage.

Même s'il en existe, et que l'on dispose d'incubateurs efficaces permettant à ces entreprises de démarrer, les startups doivent ensuite passer une période allant de 3 à 10 ans avant de trouver leur marché. Or, les aides et l'accompagnement reçu durant leur phase d'amorçage s'arrête net au bout de trois ans, au moment même où elles finalisent leurs produits et commencent à avoir leurs circuits commerciaux.

Elles se retrouvent alors rapidement étranglées car la France ne dispose pas des mêmes incitatifs fiscaux que les Etats-Unis pour encourager l'investissement dans les startups. Sans oublier que pour certaines, il faudra plus de 10 ans pour devenir rentables....

Dans "le monde d'après", certains estiment que cette période aura permis d'ouvrir de nouvelles opportunités en terme économiques ?

La purge a, en effet, été brutale, ne laissant pas de chance aux moutons noirs de s'en sortir. Mais cela démontre aussi que le droit français des procédures collectives n'est pas adapté à la réalité d'aujourd'hui : les entreprises n'ont pas l'obligation de nous trouver avant d'être placées en cessation de paiements. Or, à ce stade, une grande partie d'entre elles n'ont déjà plus de fournisseurs, de clients à servir et parfois même beaucoup moins de collaborateurs. Nous ne sommes pas des magiciens.

C'est pourquoi je fais partie de ceux qui militent pour supprimer la case de redressement judiciaire, en basculant tout sur la procédure de sauvegarde afin de pouvoir procéder par anticipation. Cela est déjà le cas dans le droit allemand ou anglo-saxon. La différence, c'est qu'en France, on a des entreprises qui vont mal et qu'on maintient artificiellement en vie.

Or, un tiers des dépôts de bilan sont causés par des impayés, ce qui veut dire que les mauvais élèves entraînent les bons dans leur chute. Une réforme d'envergure est à mener dans le domaine des procédures collectives.

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