Comment les achats publics peuvent basculer vers l’innovation

Faire entrer l’innovation au sein du secteur des achats publics : c’est désormais la priorité de nombre de donneurs d’ordre publics. Si les outils pour parvenir à intégrer ces innovations au sein des procédures normées des fonctions achats existent, cette évolution n’est pas uniquement une question technique. Elle nécessite avant tout un nouvel état d’esprit.
La SNCF investit auprès d'un réseau de 31 000 fournisseurs, dont 25% de PME ou TPE.

Alors que le secrétaire d'Etat en charge du Numérique a proposé de faire passer le seuil Mapa (marché à procédure adaptée) de 25 000 à 100 000 euros pour faciliter l'entrée des PME et startups innovantes dans le domaine des achats publics, les grands donneurs d'ordres mènent actuellement un travail de fond pour parvenir à capter les innovations du marché.

A l'échelle locale, le Département de l'Isère, qui conclut près de 3 000 marchés publics par année dans des domaines très variés (travaux publics, services, fournitures, transports, etc), travaille justement à reconfigurer actuellement son service des achats pour accompagner des pratiques différentes et trouver des solutions innovantes.

"Il ne faut pas que l'innovation se résume uniquement à la dématérialisation des documents au sein du service juridique. Il faut regarder d'autres façons d'aborder les choses", affirme Magalie Bouexel, directrice des affaires juridiques et des achats au Département.

Selon elle, l'une des manières d'introduire de l'innovation est par exemple la conclusion de chartes de la commande publique avec des acteurs comme la fédération du bâtiment, "afin de s'entendre sur des engagements réciproques".

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Elle cite également l'exemple du secteur agroalimentaire, où le Département a amorcé un dialogue avec les producteurs de fruits et légumes afin que la filière se structure en vue de pouvoir répondre à des marchés de denrées alimentaires.

Selon elle, la puissance publique a un rôle d'exemplarité à endosser sur ce sujet : "On ne peut pas toujours dire que c'est la faute d'un décret qui ne permet pas ceci ou cela. Il faut que la commande publique donne une impulsion".

Logique de partenariats innovants

Pour Olivier Rohr, responsable de l'innovation fournisseurs chez SNCF Réseau, le défi pour implanter des innovations au sein d'un groupe public consiste aussi à "accepter que l'innovation puisse aussi venir de l'externe".

A ce titre, la refonte du Code des Marchés publics en 2016 a permis à la SNCF de nouer des partenariats d'innovation sur plusieurs projets du groupe comme le TGV du futur, ou encore l'informatisation des postes d'aiguillages.

"Ces nouveaux types de partenariat laissent une plus grande place à l'innovation en permettant un échange avec les fournisseurs sur plusieurs rondes. On peut ainsi réaliser par exemple un marché R&D en amont pour y accoler ensuite un marché pour les premières séries".

Au total, la SNCF investit chaque année 16,6 milliards d'euros en achats auprès d'un réseau de 31 000 fournisseurs, dont 25% de PME ou TPE.

"L'un des défis reste de capter et implanter les innovations. C'est pourquoi nous avons mis en place une politique d'innovation ouverte avec des rencontres Innovations Days aux côtés de nos fournisseurs et que nous aimerions ouvrir également à d'autres sociétés, pour développer de solutions dans différents domaines, comme les chatbot par exemple", poursuit  Olivier Rohr.

Une démarche qui se traduit également par la mise en place de 4 Fab Labs dédiés à l'Iot, à l'intelligence artificielle, au big data et à la maintenance prédictive. "Nous avons également deux autres outils, que sont SNCF Développement, ainsi que deux fonds d'investissements qui nous permettent de sourcer et accompagner les start-ups à potentiel".

Des critères qui évoluent

"Les grands groupes s'approprient de plus en plus l'objectif de 2% d'achats innovants prévus par Le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi d'ici 2020", estime Pierre Nguyen, expert technique innovation à l'Union des groupements d'achats publics (UGAP).

Ce dernier constate en même temps l'essor des nouveaux objets ou services innovants proposées aux acheteurs publics, tels que les drones ou encore des services proposés sur smartphones.

Si le prix reste souvent évoqué encore comme l'un des critères des appels d'offres publics, les entreprises sont de plus en plus souvent prêtes à payer davantage pour une innovation susceptible de lui apporter un bénéfice à plus long terme.

"L'analyse doit être globale : un robot automatisant une fonction peut être plus coûteux à l'achat, mais ce n'est pas forcément le cas si l'on raisonne en Coût total d'achat (TCO), voire même en valeur ajoutée", résume Olivier Rohr.

"Les entreprises sont conscientes que l'innovation a un coût. Une réflexion s'amorce non plus sur le prix d'achat, mais sur les performances à long terme et les gains lors de l'utilisation", rapporte Pierre Nguyen, qui cite en exemple l'essor de dispositifs connectés permettant de mesurer l'hydrométrie, mais aussi de réduire ainsi la quantité d'eau ainsi que le nombre d'arrosages nécessaires au sein des collectivités par exemple.

"Ces solutions connectées sont en plein boom et vont encore se développer à destination des acteurs publics", estime-t-il.

Une question d'état d'esprit

Si certains considèrent encore l'innovation comme une prise de risque, elle représente aussi un facteur de différenciation et de marketing qui permet d'accéder à des retombées positives en termes d'image pour les "early adopters" qui franchissent le pas. "Ceux qui sont les premiers à adopter une solution ont souvent tendance à communiquer sur cet aspect innovant", observe Pierre Nguyen, à l'UGAP.

"Au final, incorporer de l'innovation au sein des achats publics est d'abord une question de bonne volonté et de curiosité. Les gens aspirent souvent à trouver de nouveaux produits révolutionnaires, mais c'est parfois des petites choses qui peuvent faire la différence en bout de ligne", ajoute Olivier Rohr, à la SNCF.

Un état d'esprit des grands acheteurs publics qui doit aller de pair avec une autre évolution, d'après lui : "Nous connaissons bien en France le principe de précaution, mais il faudrait également instaurer un droit à l'erreur, qui n'est pas incompatible avec des questions de sécurité. Cela nécessite de bien encadrer les choses, tout en se donnant la possibilité d'expérimenter".

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