Sadri Fegaier (SFAM), l'agent tous risques

À 38 ans, Sadri Fegaier est à la tête d'un petit empire à Romans-sur-Isère : SFAM, une entreprise spécialisée dans les assurances pour les appareils mobiles, mais aussi un haras et un jumping. Son entreprise connaît une croissance fulgurante. Elle est passée d'à peine une centaine de salariés en 2015 à 1 300 aujourd'hui. Mille autres recrutements sont à l'ordre du jour cette année. Qui est ce discret dirigeant drômois, encore inconnu du grand public et des investisseurs parisiens il y a deux ans, mais aujourd'hui deuxième actionnaire du groupe Fnac-Darty ? Notre éclairage à l'heure où le groupe est sous le coup d'une plainte officielle de l'UFC-Que Choisir.
(Crédits : DR)

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"J'ai un reproche à faire à Sadri Fegaier. Un seul. Lorsque nos PME drômoises chassent sur les mêmes terres de recrutement que SFAM, elles perdent systématiquement. Les conditions de travail et de rémunération sont tellement bonnes qu'il est difficile de lutter." Évidemment, Simon Francon plaisante. Le président de la CPME de la Drôme force le trait, avec humour, pour illustrer l'excellente réputation dont jouit, sur son territoire, l'entreprise créée par un enfant du pays, Sadri Fegaier.

"Je connais personnellement certains de ses salariés, les conditions de travail sont réellement très bonnes. Ce n'est pas du "pipeau"."

Il faut dire que SFAM, spécialiste de l'assurance téléphonie mobile et multimédia tous risques, y met les moyens. Elle a investi lourdement en 2016, dix millions d'euros, dans un immense siège social à Romans-sur-Isère (Drôme) et lance une nouvelle extension XXL qui devrait être opérationnelle courant 2019.

Un siège rutilant et clinquant de toutes parts, inauguré en grandes pompes avec feu d'artifice et DJ de renom. Sadri Fegaier a fait les choses en très grand. Peut-être même en trop grand ?

"Certains peuvent penser que c'est trop, que Sadri Fegaier veut exprimer une richesse, montrer qu'il est arrivé. Je le connais. Ce n'est pas cela. À mon avis, il veut mettre en valeur une réussite collective, prouver que son entreprise est aujourd'hui forte et puissante", affirme Patrick Gonnin, président du Medef Drôme-Ardèche, syndicat patronal auquel adhère le patron de SFAM.

Il insiste : "Il ne faut pas oublier qu'il a choisi de s'implanter dans un quartier sensible, c'est plutôt remarquable. Et puis, ces locaux magnifiques, c'est aussi une récompense pour ses salariés." En plus du self gratuit tous les midis pour les salariés, le siège social abrite une salle de sport, une crèche... L'ensemble est tellement cosy que l'entreprise drômoise a fait une entrée fracassante, en 2017, dans le classement Happy at work. Une entrée dont est particulièrement fier son patron.

Ce confort de travail est complété par une politique salariale alléchante, le salaire moyen dans le groupe est 40 % supérieur aux salaires moyens pratiqués dans ce secteur d'activité. Pourquoi tant de largesses ? "Je ne peux pas imaginer être le seul à être heureux dans mon entreprise et à profiter de sa réussite. C'est un succès collectif que je dois à l'ensemble des équipes. Je ne serais pas bien si je ne partageais pas mon bonheur avec elles", affirme Sadri Fegaier. Info ou intox ?

Le fait est que le turn-over est extrêmement faible, moins de 1 % rappelle l'entreprise. Du jamais vu pour un centre d'appels. Les syndicats eux-mêmes n'y trouvent rien à dire. Nicolas Zeimetz, délégué syndical CFDT basé à Roanne, sur l'ex-site du centre d'appels B2S racheté par SFAM il y a un peu plus d'un an, confirme :

"Quand Sadri Fegaier est venu à notre rencontre au moment du rachat, il nous a dit que personne ne devait gagner moins de 1 400 euros. Il a tenu parole. En moyenne, les rémunérations ont augmenté de 30 %. Et plus globalement, nos conditions de travail se sont vraiment améliorées. Avec B2S, le site était ouvert du lundi au samedi de 8 heures à 22 heures, avec un accord d'annualisation du temps de travail.

" Le représentant syndical, également négociateur de branche au niveau national, poursuit : "Nous avons désormais une amplitude horaire de 9 heures à 20 heures du lundi au vendredi et nous avons signé un accord sur les 35 heures, ce qui nous permet de bénéficier d'heures supplémentaires." Tous les représentants syndicaux du groupe sont basés dans la ville ligérienne. La CFDT mais aussi la CGT y sont implantées. Aucune section, en revanche, au siège de Romans-sur-Isère. "Je dois reconnaître que Sadri Fegaier est un dirigeant vraiment atypique. Dans les négociations de branche, j'en côtoie un certain nombre. Lui est différent. Il est à l'écoute, réellement. Il n'y a aucune condescendance de sa part, et beaucoup de bienveillance. Il est vraiment très abordable." Nicolas Zeimetz l'affirme : "Contrairement à ce que nous connaissions avec l'ancien propriétaire, nous ne sommes absolument pas dans un rapport de force, mais dans un vrai dialogue."

Interrogé sur ce point, Sadri Fegaier explique : "Quand j'ai rencontré les représentants syndicaux, je leur ai dit qu'ils n'auraient même pas besoin de demander. En réalité, ils ont plus que ce qu'ils souhaitaient."

Nicolas Zeimetz enfonce le clou : "Nous avons découvert des locaux incroyables à Romans. À Roanne, nous allons aussi bientôt bénéficier d'un nouveau site. Il n'y a que du positif pour l'instant. Je pense que c'est pour cela qu'il n'y a pas de représentant syndical dans la Drôme. Les salariés n'ont jamais ressenti le besoin de se structurer pour faire entendre leur voix et leurs attentes. Cela évoluera probablement avec la croissance." Le représentant syndical explique néanmoins que chaque salarié a des objectifs précis à tenir et qu'une partie de la rémunération leur est liée.

Bad buzz et management interne

"C'est trop beau pour être vrai." Sadri Fegaier résume de lui-même le sentiment éprouvé à l'écoute de ces louanges.

"J'ai entendu cette phrase des milliers de fois. À Romans, à Paris, partout. Une telle réussite en préservant le bien-être des salariés, ce n'est pas commun. Ces doutes peuvent s'entendre au début d'une croissance. Mais après plusieurs années de progression très soutenue ? S'il y avait un problème, il aurait déjà émergé."

En réalité, une seule problématique a jusqu'ici été mise en lumière. Celle abordée par l'association 60 millions de consommateurs, alertée par la multiplication de posts négatifs sur ses forums internet. Des alertes émises par des consommateurs s'estimant victimes d'une vente forcée. Selon France Info, la direction de la concurrence et de la répression des fraudes de la Drôme aurait reçu près de 250 plaintes émanant de toute la France pour des prélèvements non consentis ou pour des contrats mis en place sans l'accord du client. Un chiffre que cette administration n'a pas souhaité nous confirmer, arguant du devoir de discrétion professionnelle.

Sadri Fegaier balaie ces plaintes en rappelant le nombre de contrats vendus par SFAM : près de cinq millions. "Je pense que ce chiffre de 250 plaintes est faux. Mais même s'il était vrai, c'est une goutte d'eau rapportéee au nombre de clients. Tous les services clients doivent faire face à des mécontentements. Ceci étant, nous travaillons avec 6 000 vendeurs partenaires, il peut arriver que les choses soient mal expliquées. Nous le décelons et y remédions très vite."

Lorsque l'affaire est sortie, en février, générant un bad buzz pour la société - le premier pour cette entreprise restée jusqu'ici très discrète aux yeux du grand public -, Sadri Fegaier a dû prendre son bâton de pèlerin pour rassurer les salariés, inquiets de la tournure médiatique donnée à cette affaire.

"Les équipes ont été affectées, c'est certain. Sadri a tout de suite adopté une attitude très protectrice avec les salariés. Comme d'habitude. Il les a rassurés et a rencontré chacun de ceux qui se sentaient mal à l'aise ou inquiets", assure Adrien d'Alincourt, directeur administratif et financier et directeur stratégie de SFAM depuis un an.

Nicolas Zeimetz, le représentant syndical CFDT, constate lui aussi que la politique commerciale n'est pas un problème. "Nous avons des formations permanentes pour améliorer les process. De plus, nous sommes dans une démarche de certification ISO 9001. Il y a une vraie vigilance sur la qualité. Très honnêtement, nous ne sommes pas depuis longtemps dans le groupe SFAM, mais je n'ai jamais constaté de pression ou quelque consigne que ce soit allant dans le sens d'une vente forcée." Et d'ajouter : "Dans un groupe qui grossit aussi vite, et où il y a tant de recrutements, il peut arriver quelques dérapages."

Croissance et ambition

Ceci explique peut-être cela alors. SFAM est passée d'une centaine de salariés en 2015... à 1 300 en 2017, dont 900 téléconseillers. "Tous en France", insiste le dirigeant qui met un point d'honneur à se différencier de sa concurrence sur ce point. Il prévoit de créer 1 000 nouveaux postes cette année, dont 400 à Romans-sur-Isère, autant à Roanne et 200 à Paris, au sein notamment de l'agence digitale Actualys, rachetée l'année dernière.

En 2015, l'entreprise réalisait un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros. Elle prévoit 500 millions cette année. Et compte bien dépasser le milliard d'euros pour 2020, en dupliquant à l'étranger son concept d'assurances tous risques pour les appareils mobiles.

Les chiffres pourraient faire tourner des têtes, mais Sadri Fegaier les énonce calmement. Une attitude à l'instar de l'ensemble de la conversation. Confiant et sûr de lui, mais étonnamment sobre.

"À 38 ans, je suis déjà milliardaire (SFAM est valorisée 1,7 milliard d'euros, NDLR), mais pourquoi s'arrêter là ? Je veux toujours mieux pour mon entreprise, pour mes proches, pour moi. Je ne me contente pas de petites réussites. Je n'ai pas de complexe, pas de limite à mon ambition."

À tel point qu'il reconnaît sans détour qu'il se verrait bien prendre le contrôle du groupe Fnac-Darty, un de ses partenaires commerciaux les plus importants. Il a déjà acquis 11 % du capital en début d'année, à la surprise générale : personne n'avait vu arriver le discret Drômois. Et même si le conseil d'administration lui a fermé ses portes mi-mai pour cause de possible conflit d'intérêts, Sadri Fegaier, qui refuse pour l'heure de commenter l'investissement, ne revoit pas ses ambitions à la baisse, malgré les critiques à son encontre.

Le chemin parcouru depuis son BTS et ses premières ventes de téléphones portables dans la cour du lycée laisse rêveur. "J'avais emprunté 90 000 francs à la banque et à une association d'aide à la création d'entreprise. J'ai arrêté mes études pour ouvrir un magasin indépendant de téléphonie, puis je suis passé sous franchise SFR et j'ai ouvert cinq magasins entre 2000 et 2010." La fulgurance de l'assurance tous risques intervient avec l'arrivée de Free sur le marché. "J'ai senti qu'il allait devenir compliqué pour SFR de résister, je me suis réorienté vers l'assurance. J'avais constaté dans mes magasins que les clients n'étaient pas satisfaits des assurances disponibles à cette époque." Tout s'est ensuite enchaîné très vite, jusqu'à l'arrivée d'Edmond de Rothschild Investment Partner au capital, en 2016, puis du fonds d'investissement Ardian en février dernier offrant à Sadri Fegaier, fils de modestes immigrés tunisiens, une crédibilité que plus personne ne peut lui contester.

Ne souhaitant visiblement pas s'étendre sur le sujet, le presque quadragénaire glisse seulement que pour un enfant d'immigré, "c'est toujours un peu plus compliqué". Et risque un conseil :

"Il ne faut pas hésiter à forcer sur le costume-cravate pour contrebalancer les doutes. Il faut rassurer. La présentation extérieure est très importante."

Humilité

Malgré cette réussite vitesse XXL, le jeune entrepreneur affirme garder la tête sur les épaules. "Je suis quelqu'un de simple, je ne fais pas la fête, je ne dépense pas d'argent à tort et à travers." Son entourage semble d'ailleurs conquis par cette personnalité surprenante, alliant savamment ambition démesurée, humilité et intelligence.

"Je travaille avec SFAM depuis quatre ans. J'ai été convaincue par la personnalité de Sadri Fegaier", commente Nicole Guedj, avocate et ancienne ministre.

"Il est passionné par la vie de son entreprise, il maîtrise tous les dossiers sur le bout des doigts. C'est un garçon peu expansif, discret mais très engagé aussi bien dans la vie des affaires que pour des causes humanitaires. J'ai beaucoup d'ambitions pour lui."

Christophe Cochet est, lui, avocat au sein du cabinet parisien Aklea et spécialiste en fusion/acquisition. SFAM est devenu son principal client depuis deux ans. "Depuis le premier jour où je l'ai rencontré, j'ai su qu'il irait loin. Il a une intelligence sortant de l'ordinaire : une intelligence de compréhension, d'écoute et d'anticipation remarquable. Je l'ai pris au sérieux tout de suite."

Même écho du côté d'Adrien d'Alincourt, débauché il y a un an de chez PWC, à la veille de son passage au statut d'associé. "Sadri ne parle pas beaucoup. Il n'en a pas besoin, il a un charisme naturel. Il s'exprime simplement et avec respect pour chacun de ses interlocuteurs, quel que soit leur niveau. Il a une capacité à entraîner les équipes derrière lui assez impressionnante."

Un investisseur parisien, souhaitant rester dans l'ombre, va même jusqu'à parler "d'exception" :

"Retrouver chez un même homme une telle excellence opérationnelle et une vision à long terme, c'est extrêmement rare. Cela lui donne le droit d'avoir une ambition sans limite."

Le directeur commercial de SFAM et connaissance d'enfance de Sadri Fegaier, Olivier Cotte, pousse encore plus loin le cortège de louanges : "Il ne s'emporte jamais, il explique toujours ses décisions par des démonstrations de bon sens. Il réfléchit longtemps avant de prendre une décision. Mais quand elle est prise, il ne doute plus, il fonce."

Tous lui reconnaissent une intuition hors pair et une capacité de travail très importante. "Entre 9 heures et 18 heures - une journée de travail normale donc -, il est capable d'abattre une somme de tâches phénoménale", admire Christophe Cochet. "Je suis bien occupé, mais je ne fais pas de journée à rallonge. J'ai besoin de beaucoup de sommeil, je me couche tôt. Par contre, quand je travaille, je suis hyper concentré", sourit le dirigeant de SFAM.

Son entourage met également en avant son aisance, quel que soit le milieu. "Il sait adopter les codes et les langages très rapidement. Il a très vite trouvé sa place dans les sphères financières parisiennes qu'il ne connaissait pas il y a encore peu", souligne l'avocat d'Aklea.

"Je suis un caméléon, c'est vrai. Je m'adapte très facilement à mon environnement", sourit Sadri Fegaier.

Le cheval et la famille comme soupapes

"Ce n'est pas parce que je suis milliardaire que j'ai changé toute ma vie. Je suis resté extrêmement proche de mes amis, de ma famille, de ma sœur par exemple avec qui je suis en train de monter une école d'équitation pour les enfants autistes. Et je resterai toujours accessible pour mes salariés. Cela ne changera jamais", affirme celui qui a recruté lui-même les 400 premiers salariés de son entreprise.

Sa soupape : le cheval. Surprenant, l'entrepreneur est épris de saut d'obstacles. Une discipline qu'il a découverte sur le tard, à la trentaine. Il s'entraîne aujourd'hui très régulièrement sous la houlette d'un cavalier de renom, Carlos Lopez, et participe presque tous les week-ends à des compétitions. Avec succès. Il a même remporté le prestigieux Prix de Cannes il y a deux ans. Incapable de s'en tenir là, Sadri Fegaier a fait construire un magnifique haras, dit des Grillons, et a monté sa propre compétition, un jumping 5 étoiles reconnu internationalement.

"Je suis organisateur, propriétaire et participant. Je pense que c'est unique. Comme pour SFAM, je pousse toujours plus loin la perfection. Les gens m'ont pris pour un rigolo au départ. Aujourd'hui, ils savent que je suis droit et fiable. Plus personne ne doute. Je tombe mais me relève à chaque fois..."

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