Casino : À Saint-Etienne pour la vie ?

Sous la férule de son PDG Jean-Charles Naouri, la "tête" de Casino est définitivement à Paris, les jambes demeurant à Saint-Étienne où collaborent encore 3 500 salariés. L'enseigne de grande distribution et la capitale ligérienne font-elles toujours corps commun ? Enquête.
Le siège social des sociétés du groupe Casino se situe bien à Saint-Etienne mais le board est quant à lui, rue de l'Université à Paris.

Avec la fusion Auvergne Rhône-Alpes, le groupe Casino a perdu sa place de premier employeur régional au profit de Michelin. Il n'en demeure pas moins la principale locomotive économique de l'agglomération stéphanoise, où il emploie 3 500 collaborateurs (sur un total de 15 000 dans la région), dont 2 300 pour le seul siège social. Près de 120 ans après sa création par Geoffroy Guichard, le groupe de distribution - qui a refusé de répondre à toute demande d'interview, NDLR - est le dernier géant du bassin stéphanois, territoire où il reste encore très ancré.

Division du corps et de l'esprit

Certes, le board du groupe a pris ses quartiers rue de l'Université, à Paris. C'est là que le PDG Jean-Charles Naouri, successeur d'Antoine Guichard, a établi ses bureaux. C'est aussi le lieu où se prennent les décisions en matière de stratégie internationale. Mais le siège social des sociétés du groupe se situe bien à Saint-Étienne.

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La capitale ligérienne reste donc le centre névralgique de Casino. Une position qui impacte significativement le dynamisme de l'économie stéphanoise. En effet, le groupe travaille avec un grand nombre d'entreprises de services, dont il est souvent un client majeur, quand il n'en est pas le principal partenaire. C'est notamment le cas des agences de communication commerciale Gutenberg networks et Altavia Saint-Étienne. Ou encore l'ancienne mutuelle de casino, Miel mutuelle, qui réalise toujours la majeure partie de son activité avec le groupe de distribution.

Dans une moindre mesure, Casino fait également appel à des fournisseurs locaux dans le secteur de l'agroalimentaire : eaux minérales gazeuses Parot, Laiterie du Forez, Sicarev, fromagerie Guilloteau, pommes du Pilat, etc. À titre d'illustration, un quart de la viande bovine commercialisée en France par Casino est produite dans la Loire.

Transports et hôtellerie

L'influence économique de Casino se fait également ressentir sur le secteur des transports. "Une bonne part des transporteurs ligériens de marchandises générales sont en relation avec le groupe Casino" résume Sylvie Plotton, secrétaire générale de la FNTR (Fédération nationale des transports routiers) de la Loire. En revanche, les relations entre le groupe de distribution et les transporteurs locaux ont évolué ces dernières années :

"Autrefois, de nombreuses TPE/PME avaient une activité importante avec Casino. Aujourd'hui, le groupe représente toujours de gros volumes d'activité pour le secteur, mais il s'est davantage ouvert aux grands transporteurs nationaux."

Le distributeur stéphanois est également un acteur clé du tourisme d'affaires. Le siège du groupe Casino reçoit chaque jour plusieurs dizaines de personnes originaires, entre autres, de la région parisienne. Le groupe est aussi le premier utilisateur de la ligne TGV Saint-Étienne-Paris. Une aubaine pour le secteur hôtelier.

"Casino reste un client privilégié de nos établissements", observe Alain Boyer, directeur de l'hôtel Kyriad de Saint-Étienne et président des hôtels de chaîne au sein de l'UMIH (Union des métiers et des industries de l'hôtellerie) de la Loire.

Si Casino quittait Saint-Étienne, "ce serait une catastrophe hôtelière qui mettrait à mal au moins la moitié des établissements stéphanois. La perte de chiffre d'affaires se situerait entre 10 % et 15 % du chiffre d'affaires".

Le secteur hôtelier stéphanois serait d'autant plus fragilisé qu'il dépend en quasi-totalité de la clientèle d'affaires et que les taux d'occupation y demeurent très faibles (43 % en moyenne pour les trois étoiles).

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Attachement au territoire

Dans son histoire récente, le bassin stéphanois a été profondément meurtri par les disparitions successives des géants Manufrance et Giat industries. Cela explique sans doute la crainte récurrente d'un éventuel départ de Casino.

"À Saint-Etienne, nous savons mieux que quiconque que l'économie n'est pas un acquis éternel, note Michel Thiollière, maire de Saint-Étienne entre 1994 et 2008. Il n'est pas interdit de penser que le groupe Casino ait, peu à peu, intérêt à placer ses centres de décisions ailleurs qu'à Saint-Étienne."

L'option d'un départ brutal et définitif semble toutefois fort peu probable pour la plupart des observateurs. "Je n'y crois pas, ne serait-ce que pour une histoire de coûts", estime Martine Laguerre, secrétaire générale de l'Unsa Casino.

"Casino est présent à Saint-Étienne depuis 1898 et il faut encore fournir des preuves d'attachement à la ville !", s'agace de son côté un cadre de l'enseigne.

La question avait notamment refait surface en mars 2006, lors de l'annonce de la vente du nouveau siège du groupe à un investisseur financier, Matrix securities, pour un montant de 86,3 millions d'euros. L'opération était assortie d'un bail commercial à long terme au bénéfice de Casino. En réalité, il s'agissait d'une opération visant à rationaliser le patrimoine immobilier du géant stéphanois. D'ailleurs, celui-ci a racheté son siège social de 90 000 m² (dont 36 000 m² de bureaux) au fonds britannique quelques années plus tard, en juillet 2013.

Bienveillance politique

Quel que soit le bord politique, les élus stéphanois et régionaux ont toujours fait preuve d'un certain volontarisme quand il s'est agi de conserver le géant de la distribution sur le territoire. Ainsi, en 2004, le conseil régional a mis sur la table une subvention exceptionnelle de près de trois millions d'euros pour financer la déconstruction et la dépollution par Epora du terrain qui allait accueillir le futur siège de Casino. Ce tènement, situé à proximité immédiate de la gare TGV de Châteaucreux, a ensuite été revendu au groupe de distribution, au prix plancher.

"Dans ces cas-là, soit on adopte une posture dogmatique en disant que les affaires d'un grand groupe privé ne nous regardent pas, soit on se dit que l'on ne peut pas se permettre de perdre un acteur économique de cette importance", justifie Jean-Louis Gagnaire, député de la Loire et ancien vice-président délégué au développement économique de la Région Rhône-Alpes.

"À l'époque, le siège du groupe employait 2 700 salariés et des rumeurs circulaient à propos d'un éventuel déménagement à l'Isle-d'Abeau, poursuit l'élu stéphanois. Ils ne sont pas venus nous faire du chantage à l'emploi. Nous avons compris de nous-mêmes ce qu'il fallait faire. Finalement, les collectivités locales ont réussi à faire pencher la balance du bon côté."

Pragmatique, l'élu socialiste insiste : "Il est important pour les collectivités d'être attentives, d'être dans le temps des affaires. Les grandes entreprises ont aussi besoin d'être soignées et si on ne leur fait pas sentir qu'on les aime, elles vont ailleurs."

Sans oublier, bien sûr, les considérables rentrées fiscales liées à la présence d'un groupe international de cette ampleur (48,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2015). "Il serait suicidaire de la part d'un élu, quel que soit son bord politique, d'oublier que Casino est un acteur majeur", renchérit le président de la délégation stéphanoise de la CCI Lyon métropole, André Mounier.

Respect et confiance

La plupart des institutionnels locaux assurent entretenir de saines relations avec le groupe.

"Deux ou trois fois par an, je rencontrais Jean-Charles Naouri afin d'échanger sur le développement du groupe et du territoire, se souvient Michel Thiollière.
Ces rendez-vous informels étaient très utiles."

Une manière pour l'enseigne stéphanoise de peser sur la vie politique locale ? "Je n'ai jamais constaté de rapport de déséquilibre ni d'enchère ou de surenchère de la part de Casino, assure l'élu. Nos relations ont toujours été basées sur le respect et la confiance."

Il faut dire que, de son côté, le distributeur stéphanois joue volontiers le jeu de l'ancrage local. Son directeur des relations extérieures, Claude Risac, préside, depuis janvier 2015, le conseil de développement de Saint-Étienne métropole, instance consultative de l'agglomération. Le directeur du développement durable de Casino, Gilbert Delahaye, est, quant à lui, très présent au sein de la chambre de commerce et d'industrie stéphanoise dont il est vice-président et président du groupe de travail environnement.

L'implication du groupe se traduit également par des actions de soutien aux institutions locales : Musée d'art moderne, Comédie de Saint-Étienne, Estival de la Bâtie, etc., et, bien entendu, dans l'équipe de football l'ASSE. Enfin, le groupe sait également s'assurer la bienveillance des médias locaux dont il est l'un des plus importants annonceurs.

Enseignement supérieur

Casino consolide également sa présence dans le domaine de l'enseignement supérieur. Grand pourvoyeur de stages et de taxe d'apprentissage, le groupe a renforcé ses liens depuis quatre ans avec l'université Jean-Monnet (UJM). Une licence professionnelle consacrée aux métiers de la distribution a été créée, ainsi qu'un master 1 depuis cette année avec l'IAE de Saint-Étienne. Un master 2 doit voir le jour à la rentrée prochaine. Toutes ces formations sont uniquement proposées en alternance.

"Depuis la rentrée, nous avons élaboré des formations continues avec le groupe Casino", ajoute Cécile Romeyer, vice-présidente de l'UJM, en charge des relations entreprises et entrepreneuriat.

Le géant stéphanois est par ailleurs très actif au sein de la fondation de l'université dont il est l'un des fondateurs et principaux mécènes. Jean-Charles Naouri en est le président d'honneur.

Plus récemment, le géant de la distribution a réaffirmé son attachement au territoire ligérien en volant au secours de l'Entreprise laitière de Sauvain, une fromagerie dont il a pris le contrôle en septembre 2015 afin d'en assurer la pérennité. La PME de quinze salariés basée dans les Monts du Forez (Loire) enregistrait alors de lourdes pertes.

L'opération a permis au passage de continuer de valoriser la collecte d'une vingtaine de petits producteurs laitiers du département. Le modèle d'opération qui fait dire à certains observateurs que l'esprit d'Antoine Guichard, l'ancien patron stéphanois du groupe, est toujours présent.

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Commentaire 1
à écrit le 28/06/2016 à 21:25
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Les 2 grandes villes de l'ouest ont de quoi faire envie avec les 2 plus grands sièges sociaux d'entreprises privées de la nouvelle région. N'en déplaise.

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