Feu Vert : les franchisés, au cœur de l'ADN... et des conflits

Les franchisés, à l'origine majoritaires, ont façonné la culture Feu Vert. La stratégie du groupe a, depuis, provoqué de vives tensions auprès d'eux. La récente installation, à Genève, de la centrale d'achats les apaisera-t-elle ou au contraire les exacerbera-t-elle ?

À l'origine exclusivement structuré en franchises, le réseau Feu Vert s'est progressivement réorganisé en faveur de succursales, au gré de l'intégration des « centres autos » Casino puis Carrefour, et du rachat de franchises. En France, franchises (179) et succursales (131) composent désormais le maillage de manière sensiblement égale, et les singularités des premières - « esprit d'entreprendre, autonomie, rigueur de la gestion, sens de la performance et des résultats, franc-parler », résume l'ancien président Claude Chavet - ont sculpté le squelette des secondes, mais aussi ont contraint les salariés du siège social d'Écully chargés du back office d'une part à une bienvenue exigence professionnelle, d'autre part, au fur et à mesure de l'accélération de l'internalisation, à abandonner une culture de partenariat voire de subordination au profit d'une logique hiérarchique.

L'esprit franchisé a innervé la culture même des succursales, se félicite l'actuel président Bernard Perreau. Pour autant, tout est-il idyllique dans le meilleur des mondes ? Là encore, les raisonnements et les injonctions consubstantiels au LBO n'ont pas été neutres, et ont dégradé les relations entre les sociétés franchisées et leur tutelle. Aux vertus familiale, de proximité, humaine, d'intuitu personae qui caractérisaient le Feu Vert « d'avant » se sont substitué une identité financière, un horizon limité au temps du dispositif (cinq ans) et une autorité supérieure peu visible et peu accessible, cimentés dans la perception d'une certaine désincarnation entrepreneuriale.

« La meilleure des négociations »

Au-delà, affirme Marc Oudin, « heureux » cédant en 2014 de cinq établissements situés en Alsace et en Moselle qui cumulaient huit millions d'euros de chiffre d'affaires et 80 salariés, l'obnubilation mercantile du propriétaire et du management et l'obsession de réduction des coûts comme de valorisation à court terme de l'entreprise ont pris pour cible « notamment » les marges (« en déclin »), les remises de fin d'année, et les redevances (8 % du chiffre d'affaires et « à la hausse, soi-disant justifiées par des investissements en cross canal, communication, informatique, hot line, etc. ») des franchisés.

Les règles de fonctionnement de la plate-forme logistique de Saint Vulbas (Ain), par laquelle transite la grande majorité des approvisionnements fournisseurs y concourent par leur durcissement et la réduction drastique de la marge de manœuvre, déplore l'entrepreneur. Des approvisionnements dont, affirme de son côté Bernard Perreau, « au moins 95 % » sont imposés auprès de fournisseurs référencés, avec lesquels a été accomplie « la meilleure des négociations » restituée « dans son intégralité » aux franchisés - « que nous aimons associer à la politique tarifaire, au choix des produits et des marques, à la stratégie de services » - comme aux succursalistes.

« Une illusion de transparence »

Selon Marc Oudin, la direction de Feu Vert s'emploie à se défaire des « petites » structures et à internaliser les plus profitables - à partir d'un point de bascule positionné autour d'1,8 million d'euros de chiffre d'affaires. Objectif, pour le groupe asservi à un fonctionnement « mécaniste, de type néo-taylorien » : amortir le poids « considérable » du back office administratif, lesté par le coût prohibitif du contrôle et de la procédure, en le débarrassant des « emmerdements » inversement proportionnels à la taille de l'établissement. « Ces petites structures franchisées, aux logiques artisanales, voient leurs marges compressées mais maintenues juste au niveau nécessaire pour qu'elles traitent en propre l'ensemble des problèmes sociaux, logistiques, organisationnels. »
Les relations, complexes, qu'entretiennent les franchisés et leur tutelle et qu'au gré de cessions ou de rachats Bernard Perreau est parvenu quelque peu à apaiser, pourraient ne pas s'améliorer avec la montée en puissance de la nouvelle centrale d'achats, créée à Genève et opérationnelle depuis novembre 2014. Seule une poignée de salariés y œuvre, et négocie les accords commerciaux avec les grands donneurs d'ordre internationaux. Bernard Perreau réfute, dans ce choix helvétique, tout dispositif d'optimisation fiscale ; « Une fois les contrats conclus, les succursales et franchises françaises s'approvisionnent et vendent exclusivement sous pavillon français et donc l'intégralité de leur activité relève de la fiscalité hexagonale ». « Cette centrale est une couillonnade », objecte Marc Oudin, initiée selon lui pour donner l'illusion d'accroître la transparence des relations, des négociations et des tarifications.

Les conditions du contrat de mariage fragilisées ?

Et, comme le démontre l'un des maîtres d'œuvre du dispositif, l'intérêt est substantiel. « Comment dope-t-on les résultats d'une entreprise ? Par l'augmentation du chiffre d'affaires, la compression des coûts, ou l'optimisation de la marge. L'entreprise ne peut accomplir la première condition, elle a déjà largement satisfait la seconde et ne peut plus espérer de gain significatif, il ne lui reste donc que la troisième pour améliorer son bilan. » Et c'est là, selon cet expert financier, que se niche l'intérêt de la centrale d'achats. En effet, de droit suisse, cette structure permet de s'exonérer des contraintes liées à la loi de modernisation de l'économie (LME) - délais de règlement, etc. Surtout, certaines des obligations qu'impose le contrat de franchise relevant du droit français ne sont plus sanctuarisées ; et parmi elles, au moins en théorie, la politique de remise fournisseurs dont bénéficient les établissements franchisés. Dès lors, les conditions d'équité, d'éthique et de loyauté « peuvent être fragilisées. » De quoi peut-être mieux diagnostiquer l'origine des dissidences, « nombreuses ces dernières années » parmi des franchisés « peu confiants dans la nouvelle gouvernance » ?

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