"Il faut nous diriger vers une agriculture plus régénératrice" (Markus Sandmayr, Blédina)

GRAND ENTRETIEN. La pandémie a contribué à rebattre les cartes, jusqu’au cœur du menu des tout-petits. A Limonest (Rhône), la marque française Blédina en sait quelque chose. Son directeur général France, Markus Sandmayr, estime que la crise du Covid a considérablement renforcé la sensibilité des consommateurs envers les enjeux environnementaux, mais aussi dans les questions de traçabilité et de provenance des aliments. Des impératifs qui poussent le spécialiste des petits pots pour bébé à baser sa croissance, à l’avenir, sur le développement des filières agricoles locales et bio.
Le directeur général de Blédina France, Markus Sandmayr, anticipe une chute de la natalité sur 2021 à la suite de la crise, qui pourrait avoir des effets sur la consommation des petits pots destinés aux bébés.
Le directeur général de Blédina France, Markus Sandmayr, anticipe une chute de la natalité sur 2021 à la suite de la crise, qui pourrait avoir des effets sur la consommation des petits pots destinés aux bébés. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE AUVERGNE RHONE-ALPES - Vous avez pris les rênes de Blédina depuis 2017, après une carrière au sein de différentes entités de la maison-mère, Danone. Durant cette année marquée par deux confinements, quelles tendances avez-vous constaté sur ce marché de la nutrition infantile : la crise sanitaire a-t-elle accéléré certaines transformations ?

MARKUS SANDMAYR - La crise sanitaire a renforcé plusieurs tendances qui existaient déjà, dont la place du local au sein de notre alimentation, mais aussi celle du bio, de l'origine des produits. Selon un sondage Opinion Way pour l'agence Insign, 64% de français estiment avoir augmenté leur consommation de produits français depuis l'épidémie de Covid, et seraient même prêts à y consacrer un budget plus élevé.

Le "fait maison" est aussi l'une des tendances fortes qui ressort de ces derniers mois, car 58 % des aliments bébé sont cuisinés aujourd'hui à la maison. Cela a d'ailleurs donné lieu, chez nous, au lancement d'une gamme Les Récoltes bio à mélanger, s'adaptant à ces nouveaux usages. Il s'agit de proposer non seulement des aliments au bon format, car les pâtes pour adultes ne sont par exemple pas adaptées aux tout petits, mais aussi de pouvoir préparer des repas en moins de 15 minutes.

Car même si les familles se sont retrouvées en télétravail durant ce confinement, elles ont bien vu qu'il était difficile d'avoir, en même temps, du temps pour cuisiner.

Plusieurs chiffres témoignent désormais d'un accroissement de la pauvreté au sein de la société, engendrée par cette pandémie, et en premier lieu d'une forme de précarité alimentaire. Qu'avez-vous observé durant cet épisode, et craignez-vous qu'elle ne s'installe également un autre public dont on a peu parlé : les agriculteurs, avec lesquels vous travaillez ?

Durant ce confinement, nous avons effectivement observé une hausse de la demande de dons sur nos produits, et une forme de précarité monter. Nous avons mené des campagnes auprès d'associations, en donnant près de 120.000 produits et nous voyons bien que la crise contribue à renforcer les difficultés sociales. Nous devrons donc veiller à ce que nos produits restent avant tout accessibles.

Du côté des agriculteurs, il était tout d'abord important pour eux de pouvoir continuer à vendre leurs produits. L'autre enjeu était également de pouvoir leur garantir une certaine stabilité des prix, face aux fluctuations observés sur une telle période.

C'est là où le local est devenu de plus en plus important : on a d'ailleurs vu que durant cette première phase de confinement, que davantage de produits sont venus de France, car les transports et la logistique sont devenus plus compliqués.

Comment vous positionnez-vous sur le marché de la nutrition infantile par rapport à vos concurrents ? Quelles sont notamment vos axes de différenciation aujourd'hui, alors que vous produisez près de 500 000 petit-pots qui sont produits par jour en moyenne au sein de votre usine de Brive-la-Gaillarde (Nouvelle-Aquitaine)?

Le marché du baby food représente près de 1 milliard d'euros annuels. Étant leader historique sur ce marché, avec 47 % des parts de marché en volume, nous présenterons la gamme de produits la plus large, qui couvre l'ensemble des moments de consommation des jeunes enfants, sous toutes ses formes.

Ce marché repose sur une réglementation très spécifique, qui impose par exemple certaines normes, comme le zéro résidu de pesticides notamment. Mais aujourd'hui, le bio prend une part de plus en plus importante et contribue plus fortement à notre croissance.

La sensibilisation des familles concernant la planète est très importante et l'arrivée d'un bébé est souvent le déclencheur d'une consommation plus bio. Nous avons ainsi lancé une gamme de produits bio en 2018 qui compte désormais une soixantaine de références, car notre objectif est vraiment de nous diriger vers une diversification de la nutrition, avec l'idée de couvrir l'ensemble des besoins spécifiques aux nouveau-nés (sels, sucre, protéines, apports en graisses, etc).

Assurer des volumes à l'échelle industrielle dans le domaine du bio n'est-il pas un défi pour une marque comme la vôtre ? Comment l'adresser ?

Le bio est un segment que l'on soutient, avec l'engagement d'atteindre en même temps sur ce segment les 80 % d'ingrédients d'origine française, et nous l'avons atteint cette année. Pour assurer une telle conversion, il nous faut bien entendu continuer à développer nos approvisionnements, notamment en fruits et légumes.

Nous avons par exemple l'exemple des pénuries de carottes rencontrées, qui nécessitent encore d'aider les agriculteurs à la conversion. Pour cela, nous travaillons avec la fédération nationale pour l'agriculture biologique (FNAB) et investissons 5 % du chiffre d'affaires de notre gamme bio dans des aides à la conversion bio pour les agriculteurs.

Cela est nécessaire car le délai pour passer d'une production traditionnelle à une production de bio peut prendre deux ans, et même grimper jusqu'à cinq ans sur certains fruits, comme les poires ou les pommes. Les producteurs ont donc besoin d'aide, mais aussi d'un engagement en matière de rémunération.

Vous fixez-vous l'objectif d'accroître encore cette part du bio au sein de votre production et jusqu'à quelle proportion ?

Aujourd'hui, le bio représente près de 10 % de notre volume de production, car notre alimentation offre déjà de hauts standards de qualité, avec notamment le zéro résidu de pesticides pour l'alimentation infantile. Nous pensons qu'il faut avant tout avoir le bon équilibre entre le bio et le conventionnel, afin de proposer les deux gammes. Le plus important reste de concevoir ces produits avec des nutritionniste et chefs cuisiniers.

Nous avons 17 % de parts de marché sur le segment de bio pour l'alimentation des tout-petits, ce qui nous place comme le n°2 en marque nationale sur ce marché. La crise a bien entendu ralenti un peu notre évolution, car dans une période comme celle-ci, se pose également une question d'accessibilité en matière de prix. Cela demeure un enjeu, faisant que l'on ne peut pas non plus se diriger vers du 100% bio.

Blédina Bio

En attendant, vous vous êtes engagés à augmenter la part d'ingrédients français d'ici à 2025 dans l'ensemble de vos gammes de produits. Pour y parvenir, quel type d'engagement prenez-vous auprès des producteurs, qui sont près de 200 à collaborer avec votre marque ?

Pour atteindre une agriculture régénératrice, nous travaillons sur les contrats de long terme avec les producteurs, qui peuvent s'échelonner entre 5 et 10 ans. Nous sommes conscients que l'agriculture n'est pas un domaine rapide, et qu'il ne faut pas penser sur du court terme si l'on fait développer des pratiques agricoles plus durables pour la conversion bio, la réduction de l'empreinte carbone, ou encore la biodiversité au sein des sols.

Nous avons une équipe interne de huit personnes au sein des fonctions achats qui accompagne les agriculteurs sur leurs pratiques. Pour certains, nous travaillons déjà avec eux depuis 20, voire 30 ans et il existe une relation bien établie. Compte-tenu des exigences de productions intégrées dans le cahier des charges du marché de la nutrition infantile, ces producteurs ne peuvent toutefois nous dédier qu'une partie de leurs productions ou parcelles. Généralement, le reste de leurs produits est vendu à travers de la vente directe ou des coopératives.

Votre groupe a été créé en 1881 en région lyonnaise, par le pharmacien Léon Jacquemaire : cette implantation locale se ressent-elle encore elle-même dans vos opérations ?

En plus de notre siège qui demeure situé à Limonest, nous avons en effet l'une de nos quatre usines qui est située à Villefranche-sur-Saône et qui se spécialise plus particulièrement dans les céréales infantiles. Historiquement, la région Auvergne Rhône-Alpes est l'un des berceaux de la production de céréales, mais aussi de pommes et de poires.

Au total, nous employons près de 450 salariés au sein de cette région, dont environ 400 au siège. Cet ancrage régional est renforcé par les producteurs et agriculteurs que nous avons ici, et avec lesquels nous montons des programmes de sensibilisation et de visites des champs, la Cueillette des curieux.

Vous évoquez également un engagement en matière de biodiversité, un terme de plus en plus prisé à l'heure actuelle par différentes marques. Comment cela se traduit-il concrètement dans une entreprise comme la vôtre et quelles sont les cultures qui manquent aujourd'hui en France ?

L'un de nos défis est de nous diriger vers une agriculture plus régénératrice, qui présente une diversité plus forte. Cette question est intégrée plus largement au sein du groupe Danone, qui a fait l'engagement d'ici 2025 de se fournir uniquement auprès d'une agriculture qui respecte la biodiversité et les sols. C'est pourquoi le groupe dans son ensemble a lancé une démarche visant à développer la variété des espèces.

L'une des problématiques que l'on rencontre, c'est que l'agriculture et l'industrie ont généré une forme de standardisation des fruits et des légumes. Nous avons par exemple lancé un programme d'accompagnement pour sauver la poire Williams en France car jusqu'ici, les pratiques favorisaient les cultures ayant un rendement supérieur.

Or, la poire Williams demande plus de travail, c'est pourquoi nous avons mis en place un programme visant à planter 40.000 poiriers sur 2021. Nous proposons également une hausse de rémunération de 20 % aux agriculteurs cultivant des poires, car ces fruits ne sortent pas chaque année. Si nous ne faisons rien, ils seront à terme remplacés par des pommes... La fraise bio est un autre exemple de culture au rendement moins attractif, qui est donc moins cultivé en France.

On voit désormais se développer une tendance forte vers l'alimentation végétale, s'appuyant à la fois sur des préoccupations environnementales visant à réduire l'empreinte carbone de nos consommations, mais également sur une tendance vers de nouveaux régimes plus light ou vegan. Comment se traduisent ces tendances au sein de l'alimentation des tout-petits ?

Bien entendu, la part du végétal va augmenter encore car les enjeux concernant l'empreinte carbone des productions sont présents. Le groupe Danone a d'ailleurs annoncé des investissements au sein de plusieurs de ses gammes de produits dans ce sens.

Nous pensons qu'il est important d'exposer les enfants, dès le plus jeune âge à des aliments variés. Chez Blédina, nous avons quelques références 100% végétales. Mais il s'agit surtout de participer à la découverte des goûts pour le bébé. Car les préparations à base de viande permettent un apport en fer, qui représente un des besoins pour les tout-petits. Dans cette volonté de découverte, nous avons par exemple réintroduit aussi des légumes oubliés (ex : le panais, la patate douce) afin de développer ces variétés oubliées.

Mais nous ne devons pas projeter les obsessions des adultes sur le tout-petit, qui ont des besoins différents des nôtres. C'est pourquoi il n'est pas du tout recommandé d'avoir une alimentation infantile 100 % végétale, qui pourrait provoquer des carences.

Quelques mots enfin sur l'année qui s'apprête à démarrer : comment envisagez-vous la consommation à l'échelle des prochains mois ?

Nous voyons arriver un recul du taux de naissances en France. Car comme dans toute crise économique, la natalité baisse. C'est déjà le cas, puisque nous enregistrons actuellement un taux de -1,6.

Il y aura automatiquement moins de petites bouches à nourrir, mais cela ne représente pas un recul énorme. Tout dépendra également de la manière dont les foyers choisiront de consommer à l'avenir, et de la manière dont les services de restauration collective, aujourd'hui à l'arrêt, pourront reprendre.

Mais ce qui est sûr, c'est que les consommateurs auront davantage besoin de proximité à l'avenir. Le local, le bio et le "fait maison" vont donc continuer à se renforcer. Les jeunes familles, qui habitent au sein des grandes métropoles et qui ont peu d'espace pour vivre, auront certainement besoin de produits pratiques pour cuisiner.

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Commentaires 2
à écrit le 21/12/2020 à 15:22
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J'ai découvert que "Ver de Terre Production" donner des débuts de solution a utiliser d'urgence, avant que cela soit de plus en plus difficile, du fait de la dégradation climatique!

à écrit le 21/12/2020 à 10:02
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Oui mais comment faire de l'alimentation saine au sein d'une union européenne prise en otage par le lobby agro-industriel et donc incapables même de bannir ces puissants poisons que sont les néonicotinoides ? A savoir que les produits les plus da...

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